mardi 3 mars 2015

L'équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la vie privée d'autrui

  • Les faits
L'affaire en question concerne le site d'information Médiapart et plus précisément l'affaire dite "Bettancourt" . Ce dernier avait publié des enregistrements effectués par l'employé d’une femme milliardaire au domicile de celle ci.

La femme en question soutient alors que ces publications constituent une atteinte à l'intimité de sa vie privée au sens des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal.

Une décision de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 avait déjà statué que «  constitue une atteinte à l'intimité de la vie privée, que ne légitime pas l'information du public, la captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel »

A sa suite, la Cour d'appel de renvoi (Cour d'appel de Versailles, 4 juillet 2013) retient que « la diffusion d'enregistrements, que l’éditeur, le directeur de publication du journal ainsi que les journalistes en cause, savaient provenir de l'intrusion dans la sphère intime de la victime, caractérisait un trouble manifestement illicite en ce qu’il constituait une atteinte à la vie privée de cette dernière ». La cour ordonne de retirer du site toutes publications des enregistrements illicites. Elle leur interdit de publier tout ou partie de ceux-ci quel que soit le support et les condamne in solidum à indemniser la victime d'une somme de 20 000 euros pour son préjudice moral.

  • Le pourvoi

Un pourvoi est alors formé contre cette décision.

Les demandeurs soutiennent :
  • Qu’une atteinte à la vie privée ne résulte pas seulement des conditions d'obtention des enregistrements mais suppose également que les propos diffusés portent effectivement atteinte à l'intimité de la vie privée
  • Que la diffusion par voie de presse d'enregistrements, même attentatoire à ce droit, ne constitue plus un trouble manifestement illicite si elle se trouve justifiée par l'exercice légitime du droit à la liberté d'expression. La résolution du conflit entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression suppose une analyse du contenu des informations publiées ce que la cour d'appel n'a pas fait.
    Les requérants s'appuient notamment sur l'article 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CESDH).

  • La décision de la Cour de Cassation

Le pourvoi est rejeté. La captation, l'enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel constitue bien une atteinte à la vie privée. Cela ne peut être légitimée par l'information du public.

La liberté de recevoir et de communiquer des informations est soumise à des restrictions prévues par la loi. Dans une société démocratique, ces restrictions sont nécessaires à la protection des droits d'autrui et notamment le droit au respect de la vie privée. Elles sont en accord avec l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme.

La Cour dans ce nouvel arrêt en date du 15 janvier 2015 rappelle sa solution de 2011. Elle confirme qu'il est possible de sanctionner pénalement les atteintes à la vie privée indépendamment de la teneur des propos enregistrés. Même si les enregistrements ne contiennent pas d’informations privées, l'atteinte est caractérisée par le seul fait d’enregistrer, de manière clandestine et dans des circonstances intrusives, les propos de la personne.

La jurisprudence fait ressortir trois critères constitutifs de l’atteinte, ici rappelés :
– la clandestinité du procédé ;
– la localisation de l’enregistrement ;
– et la durée de l’enregistrement, 
En l’espèce, les enregistrements sont effectués au domicile de la victime, à son insu et pendant une année.

Le pourvoi ne peut pas non plus se fonder sur le terrain de l’article 10 de la CESDH protégeant la liberté d'expression et l’information du public dans une société démocratique. La Cour rappelle l’inefficacité de cet article pour légitimer la publication d'enregistrements clandestins lorsque l'information « aurait pu être satisfaite par un travail d'investigation et d'analyse mené sous le bénéfice du droit au secret des sources »

La Cour de cassation réfute donc ici une excuse "d'intérêt général"  invoqué par les journalistes en question pour justifier l'atteinte portée à un droit protégé dans le cas ou aucun autre moyen légal n'est envisageable pour établir cette information. La Cour européenne des droits de l'Homme accepte plus souvent cette excuse. Il est probable que Mediapart engage par la suite une action devant cette Cour.

F.L



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