Depuis plusieurs années, la Cour de cassation a repris la
théorie anglo-saxonne de l’estoppel
permettant de condamner une partie, sur le plan procédural, dès que
celle-ci se contredit au détriment d'autrui. Certes, dans un arrêt du 27
février 2009, l’assemblée plénière a affirmé « que la seule circonstance
qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement
fin de non-recevoir ». Toutefois, la Cour de cassation n’exclut pas
l’application de la règle dite de l’estoppel et elle se réserve le droit d’en
contrôler les conditions d’application.
La Cour de Cassation définit ainsi progressivement ces conditions, ainsi que l’illustre un arrêt de la chambre commerciale rendu le 10 février 2015.
En l’espèce, la société Éditions Atlas avait conclu avec Mme X un contrat dénommé « contrat d'agent commercial », afin de donner à l’intéressée un mandat pour promouvoir, diffuser et prendre des commandes d'éditions et d'ouvrages. La société a ensuite résilié le contrat et Mme X l’a alors assignée.
La défenderesse a soutenu que la résiliation du contrat faisait suite à une faute grave commise par la demanderesse dans l’exécution du contrat d’agent commercial. Le tribunal a, toutefois, condamné les Éditions Atlas à verser à Mme X diverses sommes d’indemnisation pour la rupture du contrat. La société a alors interjeté appel. Devant la juridiction d’appel elle a invoqué un nouveau moyen contestant la qualification d'agence commerciale de ce contrat.
La Cour d’appel a énoncé « que la règle de l'estoppel, selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, est le corollaire du principe de loyauté qui doit présider aux débats judiciaires et que le droit pour une partie d'invoquer un moyen nouveau ne l'autorise cependant pas à se contredire ». Ainsi, elle a considéré qu'il existait « une véritable contradiction entre les deux positions adoptées successivement par la société ». La Cour a donc estimé que le comportement procédural de la société constituait un estoppel, ayant pour conséquence de rendre irrecevable son moyen de défense. Suite à cette décision la société a formé un pourvoi en cassation.
Contredisant les juges d’appel, la Chambre commerciale affirme que « les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et que, pour justifier les prétentions qu'elles ont soumises au premier juge, les parties peuvent, en cause d'appel, invoquer des moyens nouveaux ». Elle casse donc l’arrêt de la Cour d’appel pour violation des articles 72 et 563 du code de procédure civile.
Par cette décision la Chambre commerciale se place dans la lignée de la jurisprudence, précitée, du 27 février 2009. On le constate, la Cour de cassation n’admet pas facilement l’application de la règle d’estoppel. L’explication peut se trouver en l’application de la jurisprudence Cesareo du 7 juillet 2006, selon laquelle une partie ne peut pas saisir à nouveau un juge de première instance de moyens qui n'ont pas été portés devant le juge de premier degré précédemment saisi. Ainsi, l’impossibilité de soulever de nouveaux moyens en cause d’appel porterait une atteinte trop importante au droit d’accès au juge. L’appel est alors vu comme une continuité de la première instance.
Si la règle d’estoppel peut se voir appliquer par le juge français, notamment en matière de procédure arbitrale (1ère Chambre civile, 6 juillet 2005, pourvoi n°01-15912), la Cour de cassation reste donc très vigilante dans son application.
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AF
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