La
vaccination est au cœur d’un débat sociétal en ce moment. Certaines personnes
accusent les vaccins de provoquer des maladies, et donc d’être source de
pathologies au lieu de nous en protéger. L’un des vaccins, le plus controversé,
est celui de l’hépatite B. Il est suspecté de provoquer, chez certaines
personnes vaccinées contre l’hépatite B, l’apparition de la sclérose en plaques
même si cela n’est pas prouvé scientifiquement. Ces personnes intentent des
actions en justice afin d’obtenir réparation de leur dommage.
Les produits pharmaceutiques comme les vaccins font l’objet
d’un important contentieux. Cela est sûrement dû à la particularité de ces
produits car ils touchent directement à la santé des personnes et on ignore
souvent les effets secondaires des substances qu’ils contiennent. Le
contentieux porte souvent sur la preuve du lien de causalité entre le défaut du
produit et le dommage subi par la
victime.
Les produits pharmaceutiques relèvent d’un régime juridique
spécifique : la responsabilité du fait des produits défectueux. En France,
ce régime de responsabilité a été créé par la loi n°98-389 du 19 mai 1998 qui
transpose la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement
des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États
membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, suite à la
condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes
pour non-respect du délai de transposition de la directive (arrêt CJCE, 13 février 1993, Aff. C-293/91).
Cette transposition a posé des problèmes : la Cour de justice des communautés
européennes a condamné la France à deux reprises (arrêt CJCE, 25 avril 2002, Aff. C-52/00 ; arrêt CJCE, 14 mars
2006, Aff. C-177/04) pour ne pas avoir transposé correctement la directive
européenne. Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux a
donc été modifié par les lois n°2004-1343 du 9 décembre 2009 et n°2006-406 du 5
avril 2006.
Malgré tout, le
contentieux relatif au vaccin anti-hépatite B est toujours très important. La
Cour de cassation éprouve des difficultés pour appliquer le régime de la
responsabilité du fait des produits défectueux aux vaccins. Le lien de
causalité fait souvent l’objet des pourvois en cassation. Il est difficile à établir
pour la victime et il existe des incertitudes scientifiques sur celui-ci. On
peut observer ces difficultés dans un arrêt rendu par la première chambre
civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2015.
Cet arrêt est rendu
suite à un renvoi opéré après une cassation.
En l’espèce, une
personne se fait vacciner contre l’hépatite B à trois reprises entre décembre
1998 et juillet 1999. C’est un vaccin obligatoire. En août 1999, la personne
est malade. Elle est diagnostiquée comme souffrant de la sclérose en plaques.
La victime intente une
action en responsabilité contre le laboratoire fabriquant le vaccin. Elle souhaite
obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement des articles 1386-1 et
suivants du Code civil, codifiés par la loi du 19 mai 1998. La victime a la
qualité de demanderesse et le fabricant du vaccin, producteur, a celle de
défendeur.
Au cours de
l’instance, la victime décède ; son épouse et sa fille agissent en son nom
pour la suite du procès.
Le 26 septembre 2012,
la première chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant
les juges du fond après avoir cassé l’arrêt de la Cour d’appel (pourvoi
n°11-17738).
Le 7 mars 2014, la
Cour d’appel de Paris déboute les ayants droit de la victime de leurs demandes. Elle considère qu’il n’existe
aucun consensus scientifique permettant d’établir l’existence d’un lien de
causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques.
Un pourvoi en
cassation est formé par les ayants droit de la victime qui ont la qualité de demandeurs.
Il contient un moyen divisé en trois branches. Le fabricant du vaccin a la
qualité de défendeur.
Tout d’abord, les
demanderesses au pourvoi rappellent que la preuve d’un lien de causalité entre le
défaut du produit et le dommage de la victime est nécessaire pour engager la responsabilité
du producteur sur le fondement de la responsabilité du fait des produits
défectueux. Des présomptions graves, précises et concordantes permettent
d’apporter cette preuve. Les ayants droit de la victime affirment que nous
sommes en présence d’une telle présomption car il s’est écoulé peu de temps
entre l’injection et l’apparition des premiers symptômes de la maladie sachant
que celle-ci était inexistante dans la famille, ce qui a été constaté par des
experts judiciaires et non contesté par le défendeur. Les demanderesses au
pourvoi estiment que la Cour d’appel a violé les articles 1386-4 et 1353 du Code
civil en considérant cette concomitance est insuffisante pour prouver le lien
de causalité que le fournisseur doit renverser.
Ensuite, les
demanderesses au pourvoi considèrent que les juges du fond ont violé les
articles 1386-4 et 1386-9 du Code civil en exigeant la preuve de l’imputabilité
de la maladie au vaccin, ce qui les oblige à rapporter la preuve d’une
causalité scientifique.
Enfin, elles affirment
que le doute scientifique ne prouve pas et n’exclut pas le lien de causalité.
C’est un élément neutre donc le juge ne peut pas s’en servir en faveur ou au
détriment d’une partie au litige. Elles en déduisent que la Cour d’appel a
violé les articles 1386-4 et 1353 du Code civil en constatant l’absence de
consensus sur les causes de la sclérose en plaques et donc l’absence de
présomptions graves, précises et concordantes.
La première chambre
civile de la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : la
concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie
constitue-t-elle une présomption grave, précise et concordante permettant
d’établir un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la
victime ?
Le jeudi 12 novembre
2015, la Haute juridiction rend un arrêt dans lequel elle renvoie l’affaire
devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au visa de l’article 267
du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle pose trois
questions préjudicielles à celle-ci sur la façon dont il faut interpréter la
directive de 1985 quant à la preuve du lien de causalité entre le défaut du
produit et le dommage de la victime. En attendant la prise de position de la
CJUE, la Cour sursoit à statuer. Elle renvoie l’affaire à une audience du 25
octobre 2016.
La Cour rappelle que
le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est applicable aux
vaccins en se fondant sur l’article 2 et le treizième considérant de la directive,
et la jurisprudence de la CJUE (arrêts du
9 février 2006, O’ Byrne, C-127/04, et du 2 décembre 2009, Aventis, C-358/08).
Elle rappelle également que selon l’article 1386-9 du Code civil, la victime
doit prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le
défaut et le dommage ; en précisant que la CJUE veille à la répartition de
la charge de la preuve par les droits internes des États membres de l’UE. Elle
observe que les ayants droit de la victime invoquent la jurisprudence de la
Cour selon laquelle le lien de causalité entre le défaut du vaccin et le
préjudice de la victime peut être prouvé par des présomptions graves, précises
et concordantes. Cette jurisprudence est aussi valable pour la preuve de la
défectuosité du produit.
La Cour de cassation se
pose alors la question suivante : l’article 4 de la directive s’oppose-t-il
à ce que de telles présomptions soient utilisées comme mode de preuve ?
Elle envisage alors les conséquences d’une réponse négative ou affirmative à
cette question.
D’une part, si la
réponse est négative, elle indique qu’il faudrait savoir si l’article 4 de
la directive s’opposerait à ce que le lien de causalité entre le défaut du
produit et le dommage de la victime puisse être établi quand il existe des
indices de causalité comme la concomitance entre la vaccination et l’apparition
de la maladie ou l’absence de la maladie dans la famille. En l’espèce, le lien
de causalité serait prouvé.
D’autre part, si la réponse
était affirmative, il faudrait savoir si ce même article de la directive admet que
la preuve de ce lien de causalité sera considérée comme apportée seulement s’il
est établi scientifiquement.
Face à ces difficultés
que pose l’article 4 de la directive et dont dépend la solution du litige,
la Cour de cassation renvoie l’affaire à la CJUE pour que celle-ci réponde à
trois questions préjudicielles quant à l’interprétation de l’article 4 de
la directive européenne. Tout d’abord, il s’agit de savoir si cet article
s’oppose à ce que le lien de causalité entre le défaut d’un vaccin et le
dommage subi par la victime soit prouvé par des présomptions graves, précises
et concordantes quand ce lien n’est pas prouvé scientifiquement. Ensuite, si la
réponse à cette question est négative, il s’agit de déterminer si la
présomption selon laquelle ce lien serait prouvé en cas d’existence d’indices
de causalité est recevable dans la cadre d’une action fondée sur la
responsabilité du fait des produits défectueux. Enfin, si la réponse à la
première question est affirmative, il s’agit de savoir si ce lien de causalité
sera considéré comme prouvé seulement si c’est le cas d’un point de vue
scientifique.
Ainsi, la Haute juridiction pose des questions
préjudicielles à la CJUE sur l’interprétation d’un article de la directive
européenne afin de rendre la solution au litige et d’éclaircir sa position
quant à la preuve du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage
de la victime. Ces questions sont nécessaires au regard de l’importance du
contentieux en matière de vaccins. Les solutions sont nombreuses et parfois
très différentes. Cela crée une insécurité juridique.
En effet, la
jurisprudence de la Cour de cassation a évolué ces dernières années concernant le
régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. En 2003 (arrêt Cass civ. 1 ,23 septembre 2003, n°01-13063),
elle refuse que le lien de causalité entre le défaut du produit et le préjudice
de la victime soit considéré comme prouvé par le biais de présomptions du fait
de l’homme quand ce lien n’est pas prouvé scientifiquement. L’absence de
causalité scientifique entraînait l’absence de causalité juridique. La Cour a
changé de position dans des arrêts du 22 mai 2008 (ex : arrêt Cass. Civ.1, 22 mai 2008, n°06-10967).
Elle affirme que dans le cadre de la responsabilité du fait des produits
défectueux, la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité
entre le défaut et le dommage puisse être apportée grâce à des présomptions
graves, précises et concordantes. C’est cette jurisprudence qui est évoquée
dans notre arrêt. Les indices de causalité permettant de considérer que nous
sommes en présence d’une présomption du fait de l’homme relèvent de
l’appréciation souveraine des juges du fond (arrêt Cass. civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11073, arrêt Cass. 1re civ, 25 nov.
2010, n° 09-16556). Ceux-ci
peuvent être réticents à accepter ce mode de preuve quand il y a une
incertitude scientifique sur l’existence de ce lien de causalité. Cela explique
le fait que les solutions rendues sont parfois très différentes pour des faits
similaires.
De plus, la Cour
considère que lorsque la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit
et le dommage de la victime par des présomptions graves, précises et concordantes
est apportée, la défectuosité du produit est présumée (Cass. 1re civ, 26 sept. 2012, n° 11-17738 ; arrêt Cass. 1re
civ, 10 juillet 2013, n°312-21314). C’est cet arrêt de 2012 qui a renvoyé
notre affaire devant les juges du fond pour la seconde fois (arrêt CA Paris, 7
mars 2014).
Par ailleurs, la preuve du lien de causalité entre la
défectuosité du produit et le dommage de la victime n’est pas appréhendée de la
même façon par les juridictions administratives et les juridictions judiciaires.
En effet, selon l’article L3111-4 du Code de la santé publique, les victimes de
dommages dus à un vaccin obligatoire peuvent faire une demande d’indemnisation
de leur préjudice auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents
médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Le
Conseil d’État considère que le lien entre le vaccin et la maladie est établi
quand les premiers symptômes de la maladie apparaissent dans « un bref
délai » suivant la vaccination et qu’il n’existe pas d’antécédents de la
maladie chez la victime (arrêt CE, 9 mars
2007, n°267635, 278665, 283067 et 285288 ; arrêt CE, 27 mai 2015, n°369142).
Dans notre affaire, la victime a fait cette demande mais l’indemnisation perçue
ne répare pas suffisamment son préjudice donc elle décide d’intenter une action
en justice contre le fabricant du vaccin sur le fondement de la responsabilité
du fait des produits défectueux pour obtenir la réparation intégrale de son
préjudice.
Si la réponse à la
première question posée par la Cour de cassation à la CJUE était affirmative,
cela serait sévère pour les victimes. La preuve du lien de causalité entre le
défaut du vaccin et le préjudice de la victime serait subordonnée à la preuve de
ce lien scientifiquement. La causalité juridique dépendrait donc de la
causalité scientifique. Or, la science ne peut pas toujours déterminer avec
précision et certitude les causes des maladies. La causalité scientifique a des
limites. Ces dernières pourraient limiter les possibilités pour les victimes
d’obtenir réparation de leurs préjudices. On risquerait d’avoir des victimes jamais
indemnisées à cause de l’absence de consensus scientifique, alors qu’il peut
avoir un doute légitime sur le lien de causalité entre la défectuosité du
produit et les dommages des victimes. Il y aurait une inégalité entre les
victimes de vaccins obligatoires défectueux et celles agissant en justice sur
le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.
Il est souhaitable que
ces deux régimes soient unifiés pour éviter qu’il y ait une inégalité entre les
victimes. Elles doivent pouvoir obtenir réparation de leurs préjudices devant
tout juge (administratif ou judiciaire).
À l’inverse, si la réponse à cette même question de la Haute
juridiction à la CJUE était négative, les conditions de la responsabilité seraient
plus souples pour les victimes. Elles pourraient prouver plus facilement le
lien de causalité et obtenir réparation de leurs dommages. La Cour de cassation
pourrait poser une présomption de causalité de droit en cas d’existence
d’indices de causalité. Cette solution se rapprocherait de celle adoptée par le
Conseil d’État. La Cour de cassation alignerait sa jurisprudence sur celle du
juge administratif. Le contentieux de la responsabilité du fait des produits
défectueux et, plus particulièrement celui des vaccins, serait moins abondant,
unifié, les solutions plus prévisibles et plus claires. Mais, la Cour pourrait
ne pas créer de présomption de causalité de droit et donc ne changerait pas sa
position actuelle. Les problèmes d’appréciation des éléments de fait pour
savoir si on est en présence d’une présomption grave, précise et concordante ne
changeraient pas. Nous aurions toujours autant de solutions contradictoires.
L’insécurité juridique demeurerait.
Les réponses de la CJUE sont donc très attendues et auront
des conséquences sur le contentieux du vaccin anti-hépatite B et, sur les
produits pharmaceutiques plus généralement.
E. L.
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