Dans le
cadre d’un contrat de travail, l’employeur est débiteur de plusieurs
obligations dont l’obligation de sécurité (articles L4121-1 et L4121-2 du Code
du travail). Celle-ci fait l’objet d’une jurisprudence abondante. La Cour de
cassation a tendance à être sévère envers les employeurs pour faciliter
l’indemnisation des préjudices subis par les salariés.
En effet, l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur est
une obligation de résultat (Cour de
cassation, chambre sociale, 22 février 2002, pourvoi n° 99-18389) ; ce
qui entraîne l’engagement automatique de la responsabilité de l’employeur
c’est-à-dire même en l’absence de faute de sa part. Dès que la sécurité ou la
santé du salarié est atteinte, la responsabilité de l’employeur est engagée.
Cette jurisprudence est très favorable et protectrice des salariés mais sévère
avec les employeurs qui voient leur responsabilité engagée très facilement. Peu
importe si l’employeur a pris des mesures pour éviter la réalisation du
dommage ; ce qui compte est la réalisation de celui-ci seulement.
Cette jurisprudence a
été assouplie par un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation
du 25 novembre 2015. En l’espèce, un salarié de la société Air France, faisant
partie du personnel navigant, est témoin des attentats du 11 septembre 2001 à New
York. Le 24 avril 2006, il fait une crise de panique sur son lieu de travail et
arrête de travailler pendant deux ans. Le 15 septembre 2011, il est licencié
pour défaut de présentation à une visite médicale prévue pour évaluer son
aptitude à exercer un poste au sol.
Le 19 décembre 2008, le salarié saisit le Conseil des
Prud’hommes devant lequel il réclame des dommages-intérêts car il considère que
son employeur a manqué à son obligation de sécurité après les attentats du
World Trade Center de 2001 et que son licenciement est sans cause réelle et
sérieuse. Il a la qualité de demandeur et son employeur celle de défendeur.
Le 6 mai 2014, la Cour d’appel de Paris déboute le salarié de
ses demandes car elle considère que l’employeur n’a pas manqué à son obligation
de sécurité. Le salarié est licencié pour avoir refusé de se présenter à une
visite médicale prévue en vue de son reclassement à un poste au sol. La Cour
souligne que le salarié n’a pas respecté la démarche décrite dans l’accord
collectif pour bénéficier d’un reclassement au sol et qu’il a refusé déjà trois
propositions de reclassement.
Un pourvoi en cassation est formé par le salarié. Ce pourvoi
est composé de deux moyens dont le premier est divisé en cinq branches. On
ignore le contenu du second moyen. Le salarié a la qualité de demandeur et
l’employeur celle de défendeur.
Dans le premier moyen
du pourvoi, le salarié rappelle que l’employeur est tenu d’une obligation de
sécurité de résultat ce qui implique qu’il doit prendre toutes les mesures qui s’imposent
pour garantir la sécurité et la santé des salariés en organisant des actions de
prévention des risques professionnels. Il estime que la Cour d’appel a violé
l’article L4121-1 du Code du travail car elle n’a pas cherché si l’employeur
avait organisé un suivi psychologique suite aux attentats en vue de prévenir
les troubles consécutifs à ce genre d’évènement violent et un débriefing lors de son retour en France
après les attentats. Pour le salarié, l’employeur a l’initiative de ces mesures
et non les salariés. Il critique aussi le fait que la Cour constate que le
salarié n’a pas fait savoir à son employeur son mal-être, qu’il avait besoin
d’aide et donc considère que l’employeur n’a pas violé son obligation de
sécurité.
Par ailleurs, le
salarié considère que les juges du fond ont violé l’article 455 du Code de
procédure civile car ils ont écarté son argument selon lequel le document
d'évaluation des risques de la société ne mentionne pas le risque de stress
post-traumatique et, parce qu’ils n’ont pas indiqué les pièces fondant leur
décision. En effet, ils affirment que le salarié a indiqué qu’une hôtesse était
en détresse après les attentats de retour en France alors que le salarié a
toujours déclaré ne pas connaître la fonction des membres du personnel, ce qui
n’a jamais été démenti. Les juges n’indiquent pas la pièce leur permettant de
faire une telle affirmation.
La chambre sociale de
la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : L’organisation
d’une assistance médicale par un employeur pour ses salariés ayant vécu un
attentat est–elle suffisante au regard de son obligation de sécurité ? Le
licenciement prononcé pour défaut de présentation du salarié à une visite médicale
prévue en vue de son reclassement a-t-il une cause réelle et sérieuse ?
Le mercredi 25
novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation rend un arrêt de
cassation partielle au visa de l’article 455 du Code de procédure civile.
Elle casse l’arrêt de la Cour d’appel seulement sur la demande du salarié de
déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle condamne donc l’employeur
au paiement de dommages-intérêts et aux dépens sur le fondement de l’article 700
du Code de procédure civile. Elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de
Paris autrement composée. C’est un arrêt de cassation partielle.
D’une part, la Haute
juridiction considère que l’employeur, qui
a pris les mesures (prévues aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail)
pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et psychologique des
salariés, ne manque pas à son obligation légale. Elle précise que l’employeur a
organisé un dispositif médical de jour et de nuit pour accueillir ses salariés
témoins des attentats de 2001 et que le salarié avait été déclaré apte lors de
visites médicales effectuées entre 2002 et 2005. Enfin, elle souligne que les
éléments médicaux datant de 2008 ne permettent pas d’établir un lien entre les
attentats et les problèmes psychologiques du salarié en 2006. La Cour de
cassation estime, par motifs propres et adoptés, que les juges du fond ont
légalement justifié leur décision en affirmant que l’employeur n’a pas manqué à
son obligation de sécurité de résultat.
D’autre part, la chambre sociale, sur le fondement de
l’article 455 du Code de procédure civile, constate que les juges du fond
n’ont pas répondu aux conclusions du salarié dans lesquelles il invoquait des
dispositions du règlement intérieur de la société prévoyant que le salarié peut
être sanctionné en cas de non-présentation
répétée à une convocation du service de médecine du travail ou d’expertise.
Or, en l’espèce, le salarié ne s’est pas présenté à une seule visite médicale
donc ce n’est pas une non-présentation répétée. La Cour d’appel n’a pas appliqué
correctement le texte susvisé, ce qui entraîne une cassation de la décision des
juges du fond sur ce point.
Ainsi, la Cour de
cassation fait preuve de souplesse dans cette affaire. Sa solution a valeur de
principe a priori. Elle privilégie l’aspect prévention des risques. Pour elle,
l’obligation de sécurité ne doit pas permettre d’engager la responsabilité de
l’employeur dès que la sécurité ou la santé du salarié est menacée. Elle est
consciente que l’employeur ne peut pas supprimer tout risque pour ses salariés
mais il doit prendre des mesures pour éviter leur réalisation. Il doit tout
faire pour prévenir les risques. On se rapproche ici d’une obligation de
moyens. On peut aussi
penser qu’on est en présence d’une obligation de prévention, et non de sécurité.
Pourtant, la Cour utilise toujours l’expression d’« obligation de sécurité
de résultat ».
Il faut souligner que les termes des articles
L4121-1 et L4121-2 du Code du travail sont vagues, imprécis, ce qui laisse une marge de manœuvre et
d’appréciation large pour l’employeur. En l’espèce, les juges considèrent que
l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité car il a mis en place
une équipe médicale et la possibilité de consulter un psychologue pour ses
salariés témoins des attentats.
De plus, il faut
préciser qu’un lien de causalité entre les attentats de 2001 et la pathologie
du salarié diagnostiquée en 2006 n’a pas été établi.
Depuis 2005 (Cass. soc,
29 juin 2005, n° 03-44.412), dès que le salarié était exposé à un risque, il
pouvait invoquer le manquement de son employeur à son obligation de sécurité de
résultat. La responsabilité de l’employeur était une responsabilité sans faute.
Il y a eu des excès en la matière : les employeurs avaient tendance à masquer
les situations de mal-être ou à user de leur pouvoir disciplinaire (ex. :
pour le harcèlement). Cela peut se comprendre par le fait que quoi qu’ils fassent,
ils étaient condamnés pour manquement à leur obligation de sécurité dès qu’un
salarié était victime de la réalisation d’un risque.
Concernant la charge de la preuve, la
Cour de cassation est favorable au salarié. Elle a rappelé dans des arrêts
récents (Cass. soc, 18 févr. 2015, n°
13-27.926 ; Cass. soc, 24 juin 2015, n° 13-26.923) que la charge de la
preuve pèse sur l’employeur. Il doit prouver qu’il n’a pas manqué à son
obligation de sécurité. La charge de la preuve est renversée au profit du
salarié. On a donc une responsabilité pour faute présumée. La présomption est
simple, ce qui permet à l’employeur de prouver l’absence de faute de sa part et
donc de ne pas voir sa responsabilité engagée. Ainsi, dès qu’un employeur
prouve qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires, il ne manque
pas à son obligation de sécurité et n’engage pas sa responsabilité. Nous sommes
en présence d’une obligation de moyens renforcée plutôt qu’une obligation de
résultat.
Cette position de la Haute juridiction
est nouvelle. Elle est aussi plus réaliste. Elle va peut-être permettre de
supprimer les abus, de décourager certains salariés de saisir la justice
prud’homale de façon injustifiée.
E. L.
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