dimanche 6 mars 2016

L’obligation de sécurité de l’employeur (arrêt Cass. Soc., 25 novembre 2015, n°14-24444)


            Dans le cadre d’un contrat de travail, l’employeur est débiteur de plusieurs obligations dont l’obligation de sécurité (articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail). Celle-ci fait l’objet d’une jurisprudence abondante. La Cour de cassation a tendance à être sévère envers les employeurs pour faciliter l’indemnisation des préjudices subis par les salariés.

En effet, l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur est une obligation de résultat (Cour de cassation, chambre sociale, 22 février 2002, pourvoi n° 99-18389) ; ce qui entraîne l’engagement automatique de la responsabilité de l’employeur c’est-à-dire même en l’absence de faute de sa part. Dès que la sécurité ou la santé du salarié est atteinte, la responsabilité de l’employeur est engagée. Cette jurisprudence est très favorable et protectrice des salariés mais sévère avec les employeurs qui voient leur responsabilité engagée très facilement. Peu importe si l’employeur a pris des mesures pour éviter la réalisation du dommage ; ce qui compte est la réalisation de celui-ci seulement.

Cette jurisprudence a été assouplie par un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 novembre 2015. En l’espèce, un salarié de la société Air France, faisant partie du personnel navigant, est témoin des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Le 24 avril 2006, il fait une crise de panique sur son lieu de travail et arrête de travailler pendant deux ans. Le 15 septembre 2011, il est licencié pour défaut de présentation à une visite médicale prévue pour évaluer son aptitude à exercer un poste au sol.
Le 19 décembre 2008, le salarié saisit le Conseil des Prud’hommes devant lequel il réclame des dommages-intérêts car il considère que son employeur a manqué à son obligation de sécurité après les attentats du World Trade Center de 2001 et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Il a la qualité de demandeur et son employeur celle de défendeur.

Le 6 mai 2014, la Cour d’appel de Paris déboute le salarié de ses demandes car elle considère que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité. Le salarié est licencié pour avoir refusé de se présenter à une visite médicale prévue en vue de son reclassement à un poste au sol. La Cour souligne que le salarié n’a pas respecté la démarche décrite dans l’accord collectif pour bénéficier d’un reclassement au sol et qu’il a refusé déjà trois propositions de reclassement.

Un pourvoi en cassation est formé par le salarié. Ce pourvoi est composé de deux moyens dont le premier est divisé en cinq branches. On ignore le contenu du second moyen. Le salarié a la qualité de demandeur et l’employeur celle de défendeur.
Dans le premier moyen du pourvoi, le salarié rappelle que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat ce qui implique qu’il doit prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir la sécurité et la santé des salariés en organisant des actions de prévention des risques professionnels. Il estime que la Cour d’appel a violé l’article L4121-1 du Code du travail car elle n’a pas cherché si l’employeur avait organisé un suivi psychologique suite aux attentats en vue de prévenir les troubles consécutifs à ce genre d’évènement violent et un débriefing lors de son retour en France après les attentats. Pour le salarié, l’employeur a l’initiative de ces mesures et non les salariés. Il critique aussi le fait que la Cour constate que le salarié n’a pas fait savoir à son employeur son mal-être, qu’il avait besoin d’aide et donc considère que l’employeur n’a pas violé son obligation de sécurité.
Par ailleurs, le salarié considère que les juges du fond ont violé l’article 455 du Code de procédure civile car ils ont écarté son argument selon lequel le document d'évaluation des risques de la société ne mentionne pas le risque de stress post-traumatique et, parce qu’ils n’ont pas indiqué les pièces fondant leur décision. En effet, ils affirment que le salarié a indiqué qu’une hôtesse était en détresse après les attentats de retour en France alors que le salarié a toujours déclaré ne pas connaître la fonction des membres du personnel, ce qui n’a jamais été démenti. Les juges n’indiquent pas la pièce leur permettant de faire une telle affirmation.

La chambre sociale de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : L’organisation d’une assistance médicale par un employeur pour ses salariés ayant vécu un attentat est–elle suffisante au regard de son obligation de sécurité ? Le licenciement prononcé pour défaut de présentation du salarié à une visite médicale prévue en vue de son reclassement a-t-il une cause réelle et sérieuse ?

Le mercredi 25 novembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation rend un arrêt de cassation partielle au visa de l’article 455 du Code de procédure civile. Elle casse l’arrêt de la Cour d’appel seulement sur la demande du salarié de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle condamne donc l’employeur au paiement de dommages-intérêts et aux dépens sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée. C’est un arrêt de cassation partielle.
D’une part, la Haute juridiction considère que l’employeur, qui a pris les mesures (prévues aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail) pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et psychologique des salariés, ne manque pas à son obligation légale. Elle précise que l’employeur a organisé un dispositif médical de jour et de nuit pour accueillir ses salariés témoins des attentats de 2001 et que le salarié avait été déclaré apte lors de visites médicales effectuées entre 2002 et 2005. Enfin, elle souligne que les éléments médicaux datant de 2008 ne permettent pas d’établir un lien entre les attentats et les problèmes psychologiques du salarié en 2006. La Cour de cassation estime, par motifs propres et adoptés, que les juges du fond ont légalement justifié leur décision en affirmant que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat.
D’autre  part, la chambre sociale, sur le fondement de l’article 455 du Code de procédure civile, constate que les juges du fond n’ont pas répondu aux conclusions du salarié dans lesquelles il invoquait des dispositions du règlement intérieur de la société prévoyant que le salarié peut être sanctionné en cas de non-présentation répétée à une convocation du service de médecine du travail ou d’expertise. Or, en l’espèce, le salarié ne s’est pas présenté à une seule visite médicale donc ce n’est pas une non-présentation répétée. La Cour d’appel n’a pas appliqué correctement le texte susvisé, ce qui entraîne une cassation de la décision des juges du fond sur ce point.

Ainsi, la Cour de cassation fait preuve de souplesse dans cette affaire. Sa solution a valeur de principe a priori. Elle privilégie l’aspect prévention des risques. Pour elle, l’obligation de sécurité ne doit pas permettre d’engager la responsabilité de l’employeur dès que la sécurité ou la santé du salarié est menacée. Elle est consciente que l’employeur ne peut pas supprimer tout risque pour ses salariés mais il doit prendre des mesures pour éviter leur réalisation. Il doit tout faire pour prévenir les risques. On se rapproche ici d’une obligation de moyens. On peut aussi penser qu’on est en présence d’une obligation de prévention, et non de sécurité. Pourtant, la Cour utilise toujours l’expression d’« obligation de sécurité de résultat ».
 Il faut souligner que les termes des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail sont vagues, imprécis, ce qui laisse une marge de manœuvre et d’appréciation large pour l’employeur. En l’espèce, les juges considèrent que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité car il a mis en place une équipe médicale et la possibilité de consulter un psychologue pour ses salariés témoins des attentats.
De plus, il faut préciser qu’un lien de causalité entre les attentats de 2001 et la pathologie du salarié diagnostiquée en 2006 n’a pas été établi.

Depuis 2005 (Cass. soc, 29 juin 2005, n° 03-44.412), dès que le salarié était exposé à un risque, il pouvait invoquer le manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat. La responsabilité de l’employeur était une responsabilité sans faute. Il y a eu des excès en la matière : les employeurs avaient tendance à masquer les situations de mal-être ou à user de leur pouvoir disciplinaire (ex. : pour le harcèlement). Cela peut se comprendre par le fait que quoi qu’ils fassent, ils étaient condamnés pour manquement à leur obligation de sécurité dès qu’un salarié était victime de la réalisation d’un risque.
                                                                 
Concernant la charge de la preuve, la Cour de cassation est favorable au salarié. Elle a rappelé dans des arrêts récents (Cass. soc, 18 févr. 2015, n° 13-27.926 ; Cass. soc, 24 juin 2015, n° 13-26.923) que la charge de la preuve pèse sur l’employeur. Il doit prouver qu’il n’a pas manqué à son obligation de sécurité. La charge de la preuve est renversée au profit du salarié. On a donc une responsabilité pour faute présumée. La présomption est simple, ce qui permet à l’employeur de prouver l’absence de faute de sa part et donc de ne pas voir sa responsabilité engagée. Ainsi, dès qu’un employeur prouve qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires, il ne manque pas à son obligation de sécurité et n’engage pas sa responsabilité. Nous sommes en présence d’une obligation de moyens renforcée plutôt qu’une obligation de résultat.


Cette position de la Haute juridiction est nouvelle. Elle est aussi plus réaliste. Elle va peut-être permettre de supprimer les abus, de décourager certains salariés de saisir la justice prud’homale de façon injustifiée.

E. L.

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