mercredi 23 mars 2016

CE, 10 février 2016, req. N° 387507 : intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme


Par une décision du 10 février 2016, le Conseil d’État poursuit la redéfinition de l’intérêt à agir contre un permis de construire au sens de l'article L.600-1-2 du Code de l'urbanisme. En effet, le Conseil d'État restreint sévèrement l'intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme remettant en cause le contentieux des décisions d'urbanisme dans son ensemble.

I) Faits

Des propriétaires de maisons situées à proximité immédiate d’un terrain, sur lequel le Maire de Marseille a délivré un permis de construire, ont saisi le tribunal administratif de Marseille.

En effet, ils souhaitent obtenir d’une part l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis, et d’autre part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire sur le recours gracieux formé contre ledit permis.

II) Procédure

Le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande d’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire par une ordonnance du 5 novembre 2014.

Le tribunal statuant en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire, les propriétaires se pourvoient alors en cassation afin que l’ordonnance du 5 novembre 2014 soit annulée.

                       III) La restriction de l'intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme

Aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : « Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».

Le Conseil d’État vient sévèrement restreindre la définition de l’intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme par cet arrêt du 10 février 2016, en jugeant irrecevables deux requérants propriétaires de maisons situées à proximité immédiate d’un projet immobilier consistant à édifier une résidence à deux étages et comprenant 18 logements.

 Le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de préciser l'atteinte qu'il invoque afin de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Pour ce faire, tout requérant doit faire état de tous éléments suffisamment précis et étayés afin d’établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.

La haute juridiction précise ensuite que les écritures et les documents produits par le requérant doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux.

Le Conseil d’État précise donc que l’atteinte doit être suffisamment précise, claire et doit affecter directement la jouissance du bien du requérant.

IV) Solution

Le Conseil d’État constate qu’en l’espèce, afin de justifier son intérêt à agir, le premier requérant invoque sa qualité de propriétaire ainsi que la mitoyenneté de sa parcelle avec le projet litigieux. Alors que le second requérant invoque sa qualité de propriétaire ainsi que la co-visibilité dans laquelle se trouve être sa propriété avec le projet litigieux, dans le but de justifier son intérêt à agir.
En effet, les deux requérants ont uniquement produit la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni.

Par conséquent, les requérants n’ont pas apporté les précisions nécessaires à l'appréciation de l'atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien.

V) Analyse
 
Auparavant, il suffisait de prouver une relative proximité avec un projet pour pouvoir être recevable à le contester devant le juge administratif, et donc avoir un intérêt à agir. Cependant depuis la réforme de 2013, il est nécessaire que le requérant établisse que le projet porterait une atteinte directe à l’usage de son bien.

En effet, maintenant pour le Conseil d’État, la seule proximité avec le projet n’est plus suffisante. C’est pour cette raison que le Conseil d’État conclut que dans ces circonstances, les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir à l’encontre du permis de construire litigieux.

Il était déjà observable que les conditions définies par la jurisprudence administrative pour avoir un intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme tendaient vers un durcissement. En effet, la haute juridiction administrative par cet arrêt du 10 février 2016 a confirmé la portée de l’arrêt du 10 juin 2015 (n° 386121) et est venue compléter l’interprétation du nouvel article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, tout en apportant des éléments quant à la substance de la preuve devant être rapportée.

Dans l’arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d‘État considère que le requérant est tenu de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Il peut à ce titre faire état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

L’atteinte alléguée peut être la création de vues sur un espace de vie du bien, la perte d’une vue depuis le bien, l’exposition à des nuisances olfactives, sonores, ou éventuellement sanitaires. L’atteinte n’a pas à être certaine, elle peut seulement être potentielle, mais elle doit en tout état de cause être suffisamment précisée et étayée.

La sévérité avec laquelle le Conseil d’État, dans l’arrêt du 10 février 2016, restreint encore l’intérêt à agir du requérant peut surprendre. Toutefois la rédaction de cet arrêt laisse néanmoins penser que le Conseil d'État a confirmé le rejet de la requête en raison du fait que les requérants se sont bornés à produire leurs attestations de propriété et un plan de situation cadastral. Cet arrêt montre donc que les requérants devront désormais appuyer solidement leur démonstration concernant l’atteinte par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien.

En conclusion, le Conseil d’État réalise ainsi un équilibre entre l’intention du législateur de contrôler plus étroitement l’intérêt à agir des auteurs contre des autorisations d’urbanisme et le droit d’accès au juge.
 
R.M

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