mercredi 23 mars 2016

La donation-partage et la clause pénale


Cour de cassation, Cciv.1, 16 décembre 2015

Pourvoi n°14-29285


La donation-partage permet de préserver la paix des familles. En effet, le donateur, en réglant par avance le partage de sa succession, diminue le risque de conflit pouvant survenir entre ses héritiers après son décès. Cependant ce risque de conflit n'est pas totalement évité et certaines contestations peuvent apparaître. La Cour de cassation, dans l'affaire qui suit, tente de trancher un litige opposant des donataires d'une donation-partage entre eux.


Le 27 novembre 1992, une veuve consent à ses deux filles et à son petit-fils, venant par représentation de sa troisième fille pré-décédée, une donation-partage attribuant à chacun d'eux des biens pour partie à titre préciputaire (donnée en plus de la part de réserve revenant à chacun des héritiers) et pour le surplus en avancement d'hoirie (s'impute sur la part de réserve de chacun des héritiers). L'acte contient une clause stipulant que si ledit acte était attaqué par l'un des donataires pour quelque cause que ce soit, celui-ci serait privé de toute part dans la quotité disponible. Le 4 janvier 2008, la donatrice décède. Deux des donataires, une de ses filles et son petit-fils, assignent la troisième et demande l'annulation de la donation-partage. Ils prétendent avoir été victimes d'un dol de la part de la donatrice. La troisième donataire réclame, à titre reconventionnel, l'application de la clause contenue dans la donation-partage, pour que lui soit attribuée la quotité disponible de la succession de sa mère.

La Cour d'appel de Pau, le 20 octobre 2014, rejette la demande en nullité de la donation-partage des deux donataires. Elle déclare l'acte valable et opposable à l'ensemble des donataires. Elle estime que les deux donataires n'ont pas été victimes d'un dol.

La donation-partage permet d'anticiper le règlement de sa succession en organisant, de son vivant, le partage de tout ou partie de ses biens. Le consentement des parties à une donation-partage doit être libre et éclairé. Il ne doit pas être vicié par l'erreur, le dol ou la violence. Le dol suppose un ensemble de manœuvres frauduleuses ayant pour objet de tromper le disposant ou le bénéficiaire et entraînant son consentement à un contrat, qu'il n'aurait pas conclu s'il avait eu connaissance de ces agissements. Le dol suppose, pour la personne qui en a été l'objet, un résultat qui lui a été préjudiciable et qui justifie qu'elle obtienne l'annulation du contrat, fondée sur le fait que son consentement a été vicié. Le dol peut être constitué par le silence de l'une des parties.

En l'espèce, les deux donataires se prétendent victimes d'un dol en raison du silence gardé par la donatrice sur une donation et sur la souscription d'un contrat d'assurance-vie, tout deux au profit de la famille de la troisième donataire. Dans le courant de l'année 1991, la donatrice a effectué divers retraits de sommes d'argent opérés sur son compte bancaire pour son petit-fils, fils de l'héritière assignée. Grâce à ces dons manuels il acquiert un appartement à Paris. La Cour d'appel considère que cette donation n'avait pas à être mentionnée dans l'acte de donation-partage. En effet, le bénéficiaire de cette libéralité n'est pas partie à la donation-partage et n'a pas la qualité de successible à l'égard de sa grand-mère, c'est-à-dire qu'il n'a pas vocation à lui succéder. La donatrice pouvait par conséquent passer sous silence cette donation. Le 9 septembre 1992, la donatrice souscrit au profit de sa fille assignée, pour une durée de 20 ans, un contrat d'assurance-vie, contrat transmettant un patrimoine à un ou plusieurs bénéficiaires. Les juges du fond observent qu'à la date de la donation-partage, rien n'indique que la troisième donataire avait connaissance dudit contrat et savait qu'elle en était bénéficiaire. Il ne peut donc lui être reproché de ne pas l'avoir mentionné. La Cour d'appel précise que le contrat d'assurance-vie est exclu du droit successoral et du droit des libéralités, sauf si l'acte révèle que le souscripteur avait l'intention de se dépouiller de manière irrévocable. En l'espèce, la souscriptrice rachète le contrat le 18 août 1997. Ce rachat conduit à considérer qu'elle n'avait pas l'intention de se dépouiller irrévocablement en faveur de sa fille lors de la souscription du contrat. Ainsi, ce contrat ne constitue pas une donation, au sens de l'article 894 du Code Civil, en raison de sa nature particulière. Les juges du fond en déduisent que le contrat d'assurance-vie n'a pas non plus à être mentionné, comme faisant partie des donations déjà consenties, dans la donation-partage, et la souscriptrice n'a aucune obligation de l'évoquer auprès de ses héritiers. Le silence de la donatrice ne peut pas être considéré comme une dissimulation frauduleuse.
Partant de la conclusion selon laquelle la donation-partage est valable, la Cour d'appel applique la clause contenue dans la donation-partage, ayant la nature de clause pénale, et fait droit à la demande reconventionnelle de la troisième donataire. La clause pénale est une disposition par laquelle le donateur ou le testateur prévoit par avance une sanction applicable au gratifié qui ne respecterait pas sa volonté. Cette clause a pour objectif de garantir l'efficacité du partage anticipé des biens entre les divers héritiers et de réduire une remise en cause ultérieure du partage. En l'espèce, les juges du fond considèrent que l'action en nullité des deux autres donataires a pour effet de remettre en cause le partage effectué par la donatrice dans l'acte contesté. Les donataires ont de ce fait agi en contrevenant aux énonciations de la clause pénale, n'avançant aucun motif légitime tel que l'atteinte portée à leur droit de réserve par la donation-partage. Les juges du fond privent par conséquent les deux donataires de leur part dans la quotité disponible de la succession de la donatrice.
Enfin, la Cour d'appel de Pau condamne in solidum les donataires à verser des dommages et intérêts à la troisième. Pour ce faire, les juges du fond relèvent que l'action en nullité pour dol engagée par eux avec insistance en première instance et en appel étant infondée, elle a causé un préjudice moral à la donataire assignée, devant être réparé.


Les deux donataires forment un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation, le 16 décembre 2015, rejette le pourvoi fondé sur l'action en nullité pour dol de la donation-partage dans un premier temps ; et casse la décision rendue par la Cour d'appel de Pau relative à la clause pénale et à la condamnation des demandeurs à verser la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts à la troisième donataire dans un second temps.


Les juges du droit se prononcent sur l'obligation ou non faite à la donatrice de rapporter à la donation-partage la donation consentie à son petit-fils ainsi que la souscription d'un contrat d'assurance-vie au profit de sa fille, qui empiéteraient sur la quotité disponible léguée aux donataires de l'acte. Ils déterminent également les conditions de validité de la clause pénale inscrite dans la donation-partage au regard du droit d'agir des parties au contrat.


Les demandeurs au pourvoi reprochent à la Cour d'appel d'avoir privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code Civil. Ce texte prévoit que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque l'une des parties y a consenti suite à des manœuvres pratiquées par l'autre partie et que sans celles-ci la première n'aurait pas contracté.

Les demandeurs au pourvoi font valoir que s'ils avaient eu connaissance des donations et avantages consentis à la défenderesse, ils n'auraient pas consenti à cet acte. Ainsi, ils estiment que la donatrice a commis un dol en gardant le silence sur ces actes, rompant l'égalité du partage. La donation-partage doit par conséquent être annulée. Selon eux, les juges du fond auraient dû rechercher s'ils auraient donné leur consentement à la donation-partage en ayant connaissance de la donation et du contrat d'assurance-vie, dont le premier aggrave le déséquilibre de l'acte et ampute la quotité disponible, c'est-à-dire la part du patrimoine de la donatrice dont elle peut disposer librement par testament ou donation en cas de présence d'héritiers réservataires.

La Cour de cassation constate que la juridiction du second degré a légalement justifié sa décision en retenant que le contrat d'assurance-vie et la donation consentie au petit-fils n'ont pas à être mentionnés dans l'acte de donation-partage. Ainsi, le silence gardé par la donatrice sur ces actes n'est pas constitutif d'un dol et la donataire assignée n'a pas à rapporter à la succession de la première l'ensemble des donations que celle-ci a pu lui consentir.

Pour ce qui concerne la clause pénale, les demandeurs au pourvoi énoncent que la Cour d'appel a violé l'article 6 du Code Civil et l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv.EDH). Selon eux, la clause pénale, menaçant le donataire d'exhérédation s'il tente une action en nullité de la donation-partage pour dol, est illicite et doit être réputée non écrite. Ils reprochent également aux juges du fond d'avoir violé l'article 1134 du Code Civil. En effet, ils considèrent que la clause prévoyait que le donataire attaquant la donation-partage serait privé seulement des biens donnés par cet acte. En privant les donataires de toute part dans la quotité disponible de la donation, la Cour d'appel a dénaturé l'acte.

La première chambre civile casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa de l'article 6§1 de la conv.EDH. Cet article donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Ce texte reconnaît un droit d'accès aux tribunaux à toute personne souhaitant introduire une action devant une juridiction. C'est la consécration du droit d'accès au juge. Les juges doivent s'assurer que les parties ont concrètement la possibilité d'accéder à un juge pour que ce droit ait une réelle efficacité. En l'espèce, il s'agit d'un accord conventionnel contenant une clause dont le but est de restreindre la possibilité pour les donataires de recourir à ce droit. La Cour de cassation considère que la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de cet article et refuse d'appliquer la clause. En effet, elle retient que les juges du fond auraient dû vérifier au préalable que l'application de la clause, incluse dans la donation-partage, ne portait pas une atteinte excessive au droit d'agir en justice des demandeurs avant de la reconnaître efficace. Ainsi, la clause pénale serait valable seulement si elle ne portait pas une atteinte excessive au droit d'agir en justice des parties au contrat, garanti par l'article 6§1. Le droit d'agir en justice peut être limité à condition que ces restrictions ne vident pas ce droit de sa substance même. La validité de la clause n'est pas remise en cause mais elle doit respecter les limites imposées par la jurisprudence pour préserver les droits reconnus par la conv.EDH. Cette clause n'empêche pas les donataires d'agir en justice mais le demandeur se voit appliquer la clause si ce sont seulement ses intérêts privés qui justifient sa contestation et pas l'ordre public. La sanction envisagée par la clause pénale doit être mesurée et ne pas contrevenir aux principes fondamentaux.

Enfin, s'agissant de la condamnation des demandeurs à verser des dommages et intérêts, les demandeurs au pourvoi estiment que la Cour d'appel a violé l'article 1382 et 1152 du Code Civil. Pour eux, l'utilisation des mêmes moyens en première instance et en appel ne justifie pas que soit engagée la responsabilité de l'appelant pour abus de droit d'agir. Le fait de maintenir la même argumentation devant la juridiction du premier degré et la juridiction du second degré ne constitue pas un abus de droit d'agir. De plus les demandeurs soutiennent que la Cour d'appel ne pouvait pas faire jouer la clause pénale et dans le même temps les condamner à verser des dommages et intérêts pour le même préjudice subi. Cela revient à doublement réparer le préjudice.

La Cour de cassation déclare que la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code Civil et casse l'arrêt au visa de ce texte. Cet article prévoit que celui qui commet une faute causant à autrui un dommage, doit le réparer. Les juges du droit estiment que les juges du fond n'ont pas caractérisé une faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'exercer une voie de recours, rendant possible l'allocation de dommages et intérêts. La caractérisation d'un abus de droit nécessite la démonstration d'une faute commise par le demandeur.

C.C

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