Cour de
cassation, Cciv.1, 16 décembre 2015
Pourvoi
n°14-29285
La donation-partage
permet de préserver la paix des familles. En effet, le donateur, en
réglant par avance le partage de sa succession, diminue le risque de
conflit pouvant survenir entre ses héritiers après son décès.
Cependant ce risque de conflit n'est pas totalement évité et
certaines contestations peuvent apparaître. La Cour de cassation,
dans l'affaire qui suit, tente de trancher un litige opposant des
donataires d'une donation-partage entre eux.
Le 27 novembre 1992, une
veuve consent à ses deux filles et à son petit-fils, venant par
représentation de sa troisième fille pré-décédée, une
donation-partage attribuant à chacun d'eux des biens pour partie à
titre préciputaire (donnée en plus de la part de réserve revenant
à chacun des héritiers) et pour le surplus en avancement d'hoirie
(s'impute sur la part de réserve de chacun des héritiers). L'acte
contient une clause stipulant que si ledit acte était attaqué par
l'un des donataires pour quelque cause que ce soit, celui-ci serait
privé de toute part dans la quotité disponible. Le 4 janvier 2008,
la donatrice décède. Deux des donataires, une de ses filles et son
petit-fils, assignent la troisième et demande l'annulation de la
donation-partage. Ils prétendent avoir été victimes d'un dol de la
part de la donatrice. La troisième donataire réclame, à titre
reconventionnel, l'application de la clause contenue dans la
donation-partage, pour que lui soit attribuée la quotité disponible
de la succession de sa mère.
La Cour d'appel de Pau,
le 20 octobre 2014, rejette la demande en nullité de la
donation-partage des deux donataires. Elle déclare l'acte valable et
opposable à l'ensemble des donataires. Elle estime que les deux
donataires n'ont pas été victimes d'un dol.
La donation-partage
permet d'anticiper le règlement de sa succession en organisant, de
son vivant, le partage de tout ou partie de ses biens. Le
consentement des parties à une donation-partage doit être libre et
éclairé. Il ne doit pas être vicié par l'erreur, le dol ou la
violence. Le dol suppose un ensemble de manœuvres frauduleuses ayant
pour objet de tromper le disposant ou le bénéficiaire et entraînant
son consentement à un contrat, qu'il n'aurait pas conclu s'il avait
eu connaissance de ces agissements. Le dol suppose, pour la personne
qui en a été l'objet, un résultat qui lui a été préjudiciable
et qui justifie qu'elle obtienne l'annulation du contrat, fondée sur
le fait que son consentement a été vicié. Le dol peut être
constitué par le silence de l'une des parties.
En l'espèce, les deux
donataires se prétendent victimes d'un dol en raison du silence
gardé par la donatrice sur une donation et sur la souscription d'un
contrat d'assurance-vie, tout deux au profit de la famille de la
troisième donataire. Dans le courant de l'année 1991, la donatrice
a effectué divers retraits de sommes d'argent opérés sur son
compte bancaire pour son petit-fils, fils de l'héritière assignée.
Grâce à ces dons manuels il acquiert un appartement à Paris. La
Cour d'appel considère que cette donation n'avait pas à être
mentionnée dans l'acte de donation-partage. En effet, le
bénéficiaire de cette libéralité n'est pas partie à la
donation-partage et n'a pas la qualité de successible à l'égard de
sa grand-mère, c'est-à-dire qu'il n'a pas vocation à lui succéder.
La donatrice pouvait par conséquent passer sous silence cette
donation. Le 9 septembre 1992, la donatrice souscrit au profit de sa
fille assignée, pour une durée de 20 ans, un contrat
d'assurance-vie, contrat transmettant un patrimoine à un ou
plusieurs bénéficiaires. Les juges du fond observent qu'à la date
de la donation-partage, rien n'indique que la troisième donataire
avait connaissance dudit contrat et savait qu'elle en était
bénéficiaire. Il ne peut donc lui être reproché de ne pas l'avoir
mentionné. La Cour d'appel précise que le contrat d'assurance-vie
est exclu du droit successoral et du droit des libéralités, sauf si
l'acte révèle que le souscripteur avait l'intention de se
dépouiller de manière irrévocable. En l'espèce, la souscriptrice
rachète le contrat le 18 août 1997. Ce rachat conduit à considérer
qu'elle n'avait pas l'intention de se dépouiller irrévocablement en
faveur de sa fille lors de la souscription du contrat. Ainsi, ce
contrat ne constitue pas une donation, au sens de l'article 894 du
Code Civil, en raison de sa nature particulière. Les juges du fond
en déduisent que le contrat d'assurance-vie n'a pas non plus à être
mentionné, comme faisant partie des donations déjà consenties,
dans la donation-partage, et la souscriptrice n'a aucune obligation
de l'évoquer auprès de ses héritiers. Le silence de la donatrice
ne peut pas être considéré comme une dissimulation frauduleuse.
Partant de la conclusion
selon laquelle la donation-partage est valable, la Cour d'appel
applique la clause contenue dans la donation-partage, ayant la nature
de clause pénale, et fait droit à la demande reconventionnelle de
la troisième donataire. La clause pénale est une disposition par
laquelle le donateur ou le testateur prévoit par avance une sanction
applicable au gratifié qui ne respecterait pas sa volonté. Cette
clause a pour objectif de garantir l'efficacité du partage anticipé
des biens entre les divers héritiers et de réduire une remise en
cause ultérieure du partage. En l'espèce, les juges du fond
considèrent que l'action en nullité des deux autres donataires a
pour effet de remettre en cause le partage effectué par la donatrice
dans l'acte contesté. Les donataires ont de ce fait agi en
contrevenant aux énonciations de la clause pénale, n'avançant
aucun motif légitime tel que l'atteinte portée à leur droit de
réserve par la donation-partage. Les juges du fond privent par
conséquent les deux donataires de leur part dans la quotité
disponible de la succession de la donatrice.
Enfin, la Cour d'appel
de Pau condamne in solidum les donataires à verser des dommages et
intérêts à la troisième. Pour ce faire, les juges du fond
relèvent que l'action en nullité pour dol engagée par eux avec
insistance en première instance et en appel étant infondée, elle a
causé un préjudice moral à la donataire assignée, devant être
réparé.
Les deux donataires
forment un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la
Cour de cassation, le 16 décembre 2015, rejette le pourvoi fondé
sur l'action en nullité pour dol de la donation-partage dans un
premier temps ; et casse la décision rendue par la Cour d'appel
de Pau relative à la clause pénale et à la condamnation des
demandeurs à verser la somme d'un euro à titre de dommages et
intérêts à la troisième donataire dans un second temps.
Les juges du droit se
prononcent sur l'obligation ou non faite à la donatrice de rapporter
à la donation-partage la donation consentie à son petit-fils ainsi
que la souscription d'un contrat d'assurance-vie au profit de sa
fille, qui empiéteraient sur la quotité disponible léguée aux
donataires de l'acte. Ils déterminent également les conditions de
validité de la clause pénale inscrite dans la donation-partage au
regard du droit d'agir des parties au contrat.
Les demandeurs au
pourvoi reprochent à la Cour d'appel d'avoir privé sa décision de
base légale au regard de l'article 1116 du Code Civil. Ce texte
prévoit que le dol est une cause de nullité de la convention
lorsque l'une des parties y a consenti suite à des manœuvres
pratiquées par l'autre partie et que sans celles-ci la première
n'aurait pas contracté.
Les demandeurs au
pourvoi font valoir que s'ils avaient eu connaissance des donations
et avantages consentis à la défenderesse, ils n'auraient pas
consenti à cet acte. Ainsi, ils estiment que la donatrice a commis
un dol en gardant le silence sur ces actes, rompant l'égalité du
partage. La donation-partage doit par conséquent être annulée.
Selon eux, les juges du fond auraient dû rechercher s'ils auraient
donné leur consentement à la donation-partage en ayant connaissance
de la donation et du contrat d'assurance-vie, dont le premier aggrave
le déséquilibre de l'acte et ampute la quotité disponible,
c'est-à-dire la part du patrimoine de la donatrice dont elle peut
disposer librement par testament ou donation en cas de présence
d'héritiers réservataires.
La Cour de cassation
constate que la juridiction du second degré a légalement justifié
sa décision en retenant que le contrat d'assurance-vie et la
donation consentie au petit-fils n'ont pas à être mentionnés dans
l'acte de donation-partage. Ainsi, le silence gardé par la donatrice
sur ces actes n'est pas constitutif d'un dol et la donataire assignée
n'a pas à rapporter à la succession de la première l'ensemble des
donations que celle-ci a pu lui consentir.
Pour ce qui concerne la
clause pénale, les demandeurs au pourvoi énoncent que la Cour
d'appel a violé l'article 6 du Code Civil et l'article 6§1 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales (conv.EDH). Selon eux, la clause pénale,
menaçant le donataire d'exhérédation s'il tente une action en
nullité de la donation-partage pour dol, est illicite et doit être
réputée non écrite. Ils reprochent également aux juges du fond
d'avoir violé l'article 1134 du Code Civil. En effet, ils
considèrent que la clause prévoyait que le donataire attaquant la
donation-partage serait privé seulement des biens donnés par cet
acte. En privant les donataires de toute part dans la quotité
disponible de la donation, la Cour d'appel a dénaturé l'acte.
La première chambre
civile casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa de l'article 6§1 de
la conv.EDH. Cet article donne à toute personne le droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Ce texte
reconnaît un droit d'accès aux tribunaux à toute personne
souhaitant introduire une action devant une juridiction. C'est la
consécration du droit d'accès au juge. Les juges doivent s'assurer
que les parties ont concrètement la possibilité d'accéder à un
juge pour que ce droit ait une réelle efficacité. En l'espèce, il
s'agit d'un accord conventionnel contenant une clause dont le but est
de restreindre la possibilité pour les donataires de recourir à ce
droit. La Cour de cassation considère que la Cour d'appel n'a pas
donné de base légale à sa décision au regard de cet article et
refuse d'appliquer la clause. En effet, elle retient que les juges du
fond auraient dû vérifier au préalable que l'application de la
clause, incluse dans la donation-partage, ne portait pas une atteinte
excessive au droit d'agir en justice des demandeurs avant de la
reconnaître efficace. Ainsi, la clause pénale serait valable
seulement si elle ne portait pas une atteinte excessive au droit
d'agir en justice des parties au contrat, garanti par l'article 6§1.
Le droit d'agir en justice peut être limité à condition que ces
restrictions ne vident pas ce droit de sa substance même. La
validité de la clause n'est pas remise en cause mais elle doit
respecter les limites imposées par la jurisprudence pour préserver
les droits reconnus par la conv.EDH. Cette clause n'empêche pas les
donataires d'agir en justice mais le demandeur se voit appliquer la
clause si ce sont seulement ses intérêts privés qui justifient sa
contestation et pas l'ordre public. La sanction envisagée par la
clause pénale doit être mesurée et ne pas contrevenir aux
principes fondamentaux.
Enfin, s'agissant de la
condamnation des demandeurs à verser des dommages et intérêts, les
demandeurs au pourvoi estiment que la Cour d'appel a violé l'article
1382 et 1152 du Code Civil. Pour eux, l'utilisation des mêmes moyens
en première instance et en appel ne justifie pas que soit engagée
la responsabilité de l'appelant pour abus de droit d'agir. Le fait
de maintenir la même argumentation devant la juridiction du premier
degré et la juridiction du second degré ne constitue pas un abus de
droit d'agir. De plus les demandeurs soutiennent que la Cour d'appel
ne pouvait pas faire jouer la clause pénale et dans le même temps
les condamner à verser des dommages et intérêts pour le même
préjudice subi. Cela revient à doublement réparer le préjudice.
La Cour de cassation
déclare que la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code Civil et
casse l'arrêt au visa de ce texte. Cet article prévoit que celui
qui commet une faute causant à autrui un dommage, doit le réparer.
Les juges du droit estiment que les juges du fond n'ont pas
caractérisé une faute ayant fait dégénérer en abus le droit
d'exercer une voie de recours, rendant possible l'allocation de
dommages et intérêts. La caractérisation d'un abus de droit
nécessite la démonstration d'une faute commise par le demandeur.
C.C
C.C
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