Les perquisitions et
saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence
Décision n° 2016-536 QPC du 19
février 2016
Faits
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2016 par le
Conseil d’État (décision n° 395092 du 15 janvier 2016), d’une question
prioritaire de constitutionnalité posée par l’association Ligue des droits de
l’homme (LDH). Cette question est relative à la conformité des droits et
libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l’article 11 de
la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant
l’application de la loi n° 55-385 relative à l’état d’urgence et
renforçant l’efficacité de ses dispositions.
Cette QPC a pour origine un recours pour excès de pouvoir formé par la
LDH à l’encontre de la circulaire du 25 novembre 2015 du ministre de
l’intérieur relative aux perquisitions administratives dans le cadre de l’état
d’urgence.
La ligue des droits de l’homme estimait que ces dispositions
contestées portaient une atteinte grave et manifestement illégale à certaines
libertés fondamentales garanties par la Constitution comme le droit au
« respect de la vie privée », et à la règle fixée par l’article 66,
selon laquelle l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté
individuelle ».
Évolution de la rédaction de l’article 11 paragraphe I
de la loi du 3 avril 1955
Le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 est
relatif au pouvoir conféré à l’autorité administrative, lorsque l’état
d’urgence a été déclaré, d’ordonner des perquisitions et des saisies
administratives.
Les adjonctions apportées par la loi du 20 novembre 2015 au paragraphe
I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 sont de trois ordres :
-
Elles ont renforcé les pouvoirs de
perquisition : une perquisition peut être effectuée « en tout lieu, y
compris un domicile » ; est expressément mentionné l’accès au système
informatique ou à l’équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition
et leurs données, ainsi que la capacité de copier ces données.
-
Elles ont encadré les conditions de la
perquisition : désignation par la décision du lieu et du moment de la
perquisition ; déroulement des opérations avec l’information du procureur
de la République et la présence d’un officier de police judiciaire.
-
Elles ont prévu les modalités selon lesquelles,
lorsqu’une infraction est constatée, débute une perquisition judiciaire.
Ainsi dans cette QPC, les dispositions contestées permettent à
l’autorité administrative, lorsque l’état d’urgence a été déclaré, d’ordonner
des perquisitions et de copier des données stockées dans un système
informatique auxquelles les perquisitions donnent accès.
Décision du Conseil constitutionnel
Sur le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 66
de la Constitution, le Conseil constitutionnel a estimé que le contrôle
préalable d’un juge judiciaire, réclamé par le requérant n’était pas
indispensable pour les perquisitions décrétées dans le cadre de l’état
d’urgence.
Selon cet article « nul ne peut être arbitrairement détenu.
L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect
de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
Le Conseil constitutionnel a précisé que ces perquisitions relèvent de
la seule police administrative et n’affectent pas la liberté individuelle au
sens de l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le
gardien de la liberté individuelle. Elles n’ont pas à être placées sous la
direction et le contrôle de l’autorité judiciaire, précisent les sages.
S’agissant des dispositions permettant les perquisitions
administratives, pour les juger conformes à la constitution, le Conseil
constitutionnel a retenu qu’il s’agissait d’une mesure s’inscrivant dans un régime
de pouvoirs exceptionnels dont les effets doivent être limités dans le temps et
dans l’espace et qui contribue à prévenir le péril imminent ou les conséquences
de la calamité publique auxquels le pays est exposé.
Pour apprécier la conformité des dispositions contestées aux exigences
découlant des articles 2 et 16 de la déclaration de 1789, le Conseil
constitutionnel a relevé les différentes conditions et garanties encadrant leur
mise en œuvre. En se prononçant sur l’atteinte portée par les dispositions contestées
à la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif, il a jugé que
la décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions
contestées doit être proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les
circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence.
En particulier, une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit
être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour.
Par ailleurs, si les voies de recours prévues à l’encontre d’une
décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions
contestées ne peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l’intervention
de la mesure, elles permettent à l’intéressé d’engager la responsabilité de
l’État. Ainsi les personnes intéressées ne sont pas privées de voies de
recours.
S’agissant des dispositions qui permettent à l’autorité administrative
de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible
d’accéder au cours de la perquisition, le Conseil constitutionnel a relevé que cette
mesure est assimilable à une saisie. Ni cette saisie ni l’exploitation des
données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque
l’occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s’y oppose et
alors même qu’aucune infraction n’est constatée. Le juge constitutionnel a par
conséquent censuré les dispositions de ce paragraphe qui permettaient de copier
des données informatiques dans le cadre de ces perquisitions. Au demeurant
peuvent être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le
comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ayant
fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition.
En définitive, dans leur décision 2016-536 QPC du 19 février 2016, les
sages ont donc jugé conformes à la constitution les dispositions du paragraphe
I qui organise un régime dérogatoire de perquisitions administratives dans le
cadre de l’état d’urgence ; mais en revanche, ils ont censuré les
dispositions de ce paragraphe qui permettaient de copier des données
informatiques dans le cadre de ces perquisitions. Ils ont en effet estimé que
le législateur n’avait pas dans ce cas prévu de garanties légales propres à
assurer un équilibre entre l’objectif de valeur constitutionnelle de
« sauvegarde de l’ordre public » et le « droit et respect de la
vie privée ».
Cependant, cette décision ayant épuisé toutes les voies de recours
interne, ouvre le champ à d’éventuels recours devant la Cour européenne des
droits de l’homme.
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