mercredi 23 mars 2016

Loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie


Cette loi du 2 février 2016 intervient après une première loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti.
            I) Loi Leonetti du 22 avril 2005

La loi Leonetti de 2005 apporte plusieurs modifications sur un sujet sensible, les droits des malades, notamment du fait de l'évolution des mœurs. Cette loi concerne tous les malades, y compris ceux qui ne sont pas en fin de vie, la loi affirme pour la première fois l'interdiction de l'acharnement thérapeutique, c’est-à-dire la poursuite des traitements actifs, des soins curatifs alors que, en l'état des connaissances actuelles de la médecine, ils apparaissent inutiles ou encore que leur bénéfice, en terme de confort ou de qualité de vie, est disproportionné par rapport aux risques, aux désagréments, à la douleur ou à la souffrance morale qu'ils génèrent aux malades.
L'objectif est d'autoriser la suspension d'un traitement ou de ne pas l'entreprendre, si ses résultats escomptés sont inopportuns, c'est-à-dire inutiles, disproportionnés ou limités à la survie artificielle du malade.

S'il est conscient, le malade pourra demander la limitation voire l'interruption de tout traitement.
Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, ces traitements pourront être limités, voire interrompus après consultation des consignes qu'il aurait pu laisser, ou après consultation de la personne de confiance qu'il aurait pu désigner et de son entourage (famille ou proches). Tout ceci dans le respect d'une procédure collégiale. Le médecin peut engager cette procédure collégiale de sa propre initiative. La procédure collégiale consiste en la concertation du médecin en charge du patient avec l’équipe de soins, tel que le personnel infirmier, les aides-soignants, les kinésithérapeutes, les psychologues. En effet, ces derniers, par leur présence quotidienne et la proximité avec le malade, pourront renseigner le médecin sur les souffrances du malade ou les appréhensions qu’il aurait pu exprimer au préalable.
De plus, la procédure collégiale implique aussi l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien hiérarchique entre le médecin en charge du malade et le médecin consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant peut être demandé par ces derniers, si l'un d'eux l'estime utile.
Si la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur, sauf dans les situations où l'urgence rend impossible cette consultation.
L'objectif de cette procédure est de partager des informations afin de pouvoir arriver à un consensus concernant la décision la plus appropriée à l’état de santé et aux souhaits du malade.
Le texte recherche un équilibre entre les droits du malade et la responsabilité du médecin en prévoyant l'information la plus complète du malade, directement s'il est conscient ou indirectement s'il est inconscient.
Avec cette loi une distinction nette est ainsi tracée entre le traitement médical, qui peut être interrompu s'il est jugé disproportionné par rapport à l'amélioration attendue, et les
soins, dont la poursuite est considérée comme essentielle pour préserver la dignité du patient.

            II) Loi Leonetti II du 2 février 2016
Le 2 février 2016 a été promulguée la loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, cette loi sera publiée au Journal officiel du 3 février 2016

À la suite d’une concertation sur la question de la fin de vie, la loi pose le principe selon lequel "toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté".
Par ailleurs, cette reprise de la loi Leonetti de 2005  prévoit désormais une sédation profonde et continue et non l’euthanasie active ou le suicide
assisté. En plus de ce nouveau droit, elle établit un nouveau statut pour l'hydratation et la nutrition, qui sont désormais considérées pour les personnes en fin de vie comme des traitements et non plus comme des soins. La conséquence principale est qu'ils peuvent donc être arrêtés au nom du refus de l'acharnement thérapeutique.
La sédation continue consiste en l'injection d'un cocktail médicamenteux à même d'abaisser le niveau de conscience d'un malade en phase terminale jusqu’à son décès, ceci dans le but d’apaiser les douleurs pouvant apparaître à ce moment.
La sédation profonde rend impossible l’éveil du patient en raison du dosage des médicaments administrés.
La sédation profonde et continue consiste donc à plonger dans une inconscience totale un malade en phase terminale jusqu’à son décès.


La loi Leonetti II tend au développement des soins palliatifs et garantit l’accès à ces soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Elle prévoit que les étudiants en médecine, les médecins, les infirmiers, les aides-soignants, les aides à domicile, les pharmaciens et les psychologues cliniciens auront l’obligation de suivre une formation spécifique aux soins palliatifs. La décision d'administrer au patient une sédation profonde et continue resterait prise après une procédure collégiale, définie par voie réglementaire. Le médecin doit agir dans la collégialité de ses pairs (avis d’un autre médecin) afin de garantir une décision réfléchie, même si c’est à lui de se prononcer en dernier ressort. Afin que la responsabilité soit partagée au regard de la charge émotionnelle de la décision, la collégialité est un garant d’une décision opportune. En effet, la collégialité va briser la solitude décisionnelle du médecin. De plus, il est prévu dans cette procédure collégiale l’information du patient, de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, un des proches.
Sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient, les traitements seront suspendus ou ne seront pas entrepris quand ils n’ont que pour seul effet un maintien artificiel de la vie et apparaissent inutiles ou disproportionnés.

Dans le but d’éviter la souffrance ainsi qu'une prolongation inutile de sa vie, à la demande du patient une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience pourra être administrée jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements. Toutefois, cette mise en œuvre de la sédation profonde est limitée à certains cas :
                      au patient atteint d'une affection grave et incurable, et dont le pronostic vital est engagé à court terme, s'il présente une souffrance réfractaire à l'analgésie

                   au patient atteint d'une affection grave et incurable qui décide d'arrêter un traitement, lorsque cette décision engage son pronostic vital à court terme

                    lorsque le patient n'est pas en état d'exprimer sa volonté, et dans le cas d'un refus de l'acharnement thérapeutique.

Le patient a le droit de refuser un traitement et le médecin a obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de son choix.
Par ailleurs, toute personne majeure et capable pourra rédiger des directives anticipées dans lesquelles elle exprimera ses volontés relatives à sa fin de vie et notamment sa volonté de refuser, de limiter ou d’arrêter les traitements et les actes médicaux mais aussi sa volonté de poursuivre les traitements. Ces directives seront révisables ou révocables par la personne à tout moment.
La loi prévoit que ces directives seront rédigées selon un modèle unique fixé par décret au Conseil d'État, prévoyant la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle rédige de telles directives, et facilitant l'accès aux médecins à ces directives par une mention inscrite sur la carte vitale du patient.
Les directives anticipées s’imposeront au médecin, pour toute décision d’investigation, d’actes, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation.
Si les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées, le médecin doit solliciter un avis collégial. En effet, le médecin en charge du malade doit solliciter l’avis d’un autre médecin et se concerter avec l’équipe soignante. La décision de refus d’application des directives est alors portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient. Cette personne de confiance doit être majeure, et peut être un parent, un proche ou le médecin traitant. Par ailleurs, à défaut de directives anticipées, les médecins prennent en compte afin de déterminer qu’elle aurait été la volonté du patient, l'avis de la personne de confiance (son témoignage prévaut sur tout autre témoignage). Cette précision de la loi va notamment faciliter les prises de décision des médecins lorsque la personne de confiance (ex. : le conjoint) soutient une position contraire à celle des parents du patient (Aff. Vincent Lambert). La personne de confiance pourra demander les informations du dossier médical nécessaires pour vérifier si la situation médicale de la personne concernée correspond aux conditions exprimées dans les directives anticipées.


R.M

CE, 10 février 2016, req. N° 387507 : intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme


Par une décision du 10 février 2016, le Conseil d’État poursuit la redéfinition de l’intérêt à agir contre un permis de construire au sens de l'article L.600-1-2 du Code de l'urbanisme. En effet, le Conseil d'État restreint sévèrement l'intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme remettant en cause le contentieux des décisions d'urbanisme dans son ensemble.

I) Faits

Des propriétaires de maisons situées à proximité immédiate d’un terrain, sur lequel le Maire de Marseille a délivré un permis de construire, ont saisi le tribunal administratif de Marseille.

En effet, ils souhaitent obtenir d’une part l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis, et d’autre part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire sur le recours gracieux formé contre ledit permis.

II) Procédure

Le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande d’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire par une ordonnance du 5 novembre 2014.

Le tribunal statuant en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire, les propriétaires se pourvoient alors en cassation afin que l’ordonnance du 5 novembre 2014 soit annulée.

                       III) La restriction de l'intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme

Aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : « Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».

Le Conseil d’État vient sévèrement restreindre la définition de l’intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme par cet arrêt du 10 février 2016, en jugeant irrecevables deux requérants propriétaires de maisons situées à proximité immédiate d’un projet immobilier consistant à édifier une résidence à deux étages et comprenant 18 logements.

 Le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de préciser l'atteinte qu'il invoque afin de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Pour ce faire, tout requérant doit faire état de tous éléments suffisamment précis et étayés afin d’établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien.

La haute juridiction précise ensuite que les écritures et les documents produits par le requérant doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux.

Le Conseil d’État précise donc que l’atteinte doit être suffisamment précise, claire et doit affecter directement la jouissance du bien du requérant.

IV) Solution

Le Conseil d’État constate qu’en l’espèce, afin de justifier son intérêt à agir, le premier requérant invoque sa qualité de propriétaire ainsi que la mitoyenneté de sa parcelle avec le projet litigieux. Alors que le second requérant invoque sa qualité de propriétaire ainsi que la co-visibilité dans laquelle se trouve être sa propriété avec le projet litigieux, dans le but de justifier son intérêt à agir.
En effet, les deux requérants ont uniquement produit la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni.

Par conséquent, les requérants n’ont pas apporté les précisions nécessaires à l'appréciation de l'atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien.

V) Analyse
 
Auparavant, il suffisait de prouver une relative proximité avec un projet pour pouvoir être recevable à le contester devant le juge administratif, et donc avoir un intérêt à agir. Cependant depuis la réforme de 2013, il est nécessaire que le requérant établisse que le projet porterait une atteinte directe à l’usage de son bien.

En effet, maintenant pour le Conseil d’État, la seule proximité avec le projet n’est plus suffisante. C’est pour cette raison que le Conseil d’État conclut que dans ces circonstances, les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir à l’encontre du permis de construire litigieux.

Il était déjà observable que les conditions définies par la jurisprudence administrative pour avoir un intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme tendaient vers un durcissement. En effet, la haute juridiction administrative par cet arrêt du 10 février 2016 a confirmé la portée de l’arrêt du 10 juin 2015 (n° 386121) et est venue compléter l’interprétation du nouvel article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, tout en apportant des éléments quant à la substance de la preuve devant être rapportée.

Dans l’arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d‘État considère que le requérant est tenu de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. Il peut à ce titre faire état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

L’atteinte alléguée peut être la création de vues sur un espace de vie du bien, la perte d’une vue depuis le bien, l’exposition à des nuisances olfactives, sonores, ou éventuellement sanitaires. L’atteinte n’a pas à être certaine, elle peut seulement être potentielle, mais elle doit en tout état de cause être suffisamment précisée et étayée.

La sévérité avec laquelle le Conseil d’État, dans l’arrêt du 10 février 2016, restreint encore l’intérêt à agir du requérant peut surprendre. Toutefois la rédaction de cet arrêt laisse néanmoins penser que le Conseil d'État a confirmé le rejet de la requête en raison du fait que les requérants se sont bornés à produire leurs attestations de propriété et un plan de situation cadastral. Cet arrêt montre donc que les requérants devront désormais appuyer solidement leur démonstration concernant l’atteinte par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien.

En conclusion, le Conseil d’État réalise ainsi un équilibre entre l’intention du législateur de contrôler plus étroitement l’intérêt à agir des auteurs contre des autorisations d’urbanisme et le droit d’accès au juge.
 
R.M

La donation-partage et la clause pénale


Cour de cassation, Cciv.1, 16 décembre 2015

Pourvoi n°14-29285


La donation-partage permet de préserver la paix des familles. En effet, le donateur, en réglant par avance le partage de sa succession, diminue le risque de conflit pouvant survenir entre ses héritiers après son décès. Cependant ce risque de conflit n'est pas totalement évité et certaines contestations peuvent apparaître. La Cour de cassation, dans l'affaire qui suit, tente de trancher un litige opposant des donataires d'une donation-partage entre eux.


Le 27 novembre 1992, une veuve consent à ses deux filles et à son petit-fils, venant par représentation de sa troisième fille pré-décédée, une donation-partage attribuant à chacun d'eux des biens pour partie à titre préciputaire (donnée en plus de la part de réserve revenant à chacun des héritiers) et pour le surplus en avancement d'hoirie (s'impute sur la part de réserve de chacun des héritiers). L'acte contient une clause stipulant que si ledit acte était attaqué par l'un des donataires pour quelque cause que ce soit, celui-ci serait privé de toute part dans la quotité disponible. Le 4 janvier 2008, la donatrice décède. Deux des donataires, une de ses filles et son petit-fils, assignent la troisième et demande l'annulation de la donation-partage. Ils prétendent avoir été victimes d'un dol de la part de la donatrice. La troisième donataire réclame, à titre reconventionnel, l'application de la clause contenue dans la donation-partage, pour que lui soit attribuée la quotité disponible de la succession de sa mère.

La Cour d'appel de Pau, le 20 octobre 2014, rejette la demande en nullité de la donation-partage des deux donataires. Elle déclare l'acte valable et opposable à l'ensemble des donataires. Elle estime que les deux donataires n'ont pas été victimes d'un dol.

La donation-partage permet d'anticiper le règlement de sa succession en organisant, de son vivant, le partage de tout ou partie de ses biens. Le consentement des parties à une donation-partage doit être libre et éclairé. Il ne doit pas être vicié par l'erreur, le dol ou la violence. Le dol suppose un ensemble de manœuvres frauduleuses ayant pour objet de tromper le disposant ou le bénéficiaire et entraînant son consentement à un contrat, qu'il n'aurait pas conclu s'il avait eu connaissance de ces agissements. Le dol suppose, pour la personne qui en a été l'objet, un résultat qui lui a été préjudiciable et qui justifie qu'elle obtienne l'annulation du contrat, fondée sur le fait que son consentement a été vicié. Le dol peut être constitué par le silence de l'une des parties.

En l'espèce, les deux donataires se prétendent victimes d'un dol en raison du silence gardé par la donatrice sur une donation et sur la souscription d'un contrat d'assurance-vie, tout deux au profit de la famille de la troisième donataire. Dans le courant de l'année 1991, la donatrice a effectué divers retraits de sommes d'argent opérés sur son compte bancaire pour son petit-fils, fils de l'héritière assignée. Grâce à ces dons manuels il acquiert un appartement à Paris. La Cour d'appel considère que cette donation n'avait pas à être mentionnée dans l'acte de donation-partage. En effet, le bénéficiaire de cette libéralité n'est pas partie à la donation-partage et n'a pas la qualité de successible à l'égard de sa grand-mère, c'est-à-dire qu'il n'a pas vocation à lui succéder. La donatrice pouvait par conséquent passer sous silence cette donation. Le 9 septembre 1992, la donatrice souscrit au profit de sa fille assignée, pour une durée de 20 ans, un contrat d'assurance-vie, contrat transmettant un patrimoine à un ou plusieurs bénéficiaires. Les juges du fond observent qu'à la date de la donation-partage, rien n'indique que la troisième donataire avait connaissance dudit contrat et savait qu'elle en était bénéficiaire. Il ne peut donc lui être reproché de ne pas l'avoir mentionné. La Cour d'appel précise que le contrat d'assurance-vie est exclu du droit successoral et du droit des libéralités, sauf si l'acte révèle que le souscripteur avait l'intention de se dépouiller de manière irrévocable. En l'espèce, la souscriptrice rachète le contrat le 18 août 1997. Ce rachat conduit à considérer qu'elle n'avait pas l'intention de se dépouiller irrévocablement en faveur de sa fille lors de la souscription du contrat. Ainsi, ce contrat ne constitue pas une donation, au sens de l'article 894 du Code Civil, en raison de sa nature particulière. Les juges du fond en déduisent que le contrat d'assurance-vie n'a pas non plus à être mentionné, comme faisant partie des donations déjà consenties, dans la donation-partage, et la souscriptrice n'a aucune obligation de l'évoquer auprès de ses héritiers. Le silence de la donatrice ne peut pas être considéré comme une dissimulation frauduleuse.
Partant de la conclusion selon laquelle la donation-partage est valable, la Cour d'appel applique la clause contenue dans la donation-partage, ayant la nature de clause pénale, et fait droit à la demande reconventionnelle de la troisième donataire. La clause pénale est une disposition par laquelle le donateur ou le testateur prévoit par avance une sanction applicable au gratifié qui ne respecterait pas sa volonté. Cette clause a pour objectif de garantir l'efficacité du partage anticipé des biens entre les divers héritiers et de réduire une remise en cause ultérieure du partage. En l'espèce, les juges du fond considèrent que l'action en nullité des deux autres donataires a pour effet de remettre en cause le partage effectué par la donatrice dans l'acte contesté. Les donataires ont de ce fait agi en contrevenant aux énonciations de la clause pénale, n'avançant aucun motif légitime tel que l'atteinte portée à leur droit de réserve par la donation-partage. Les juges du fond privent par conséquent les deux donataires de leur part dans la quotité disponible de la succession de la donatrice.
Enfin, la Cour d'appel de Pau condamne in solidum les donataires à verser des dommages et intérêts à la troisième. Pour ce faire, les juges du fond relèvent que l'action en nullité pour dol engagée par eux avec insistance en première instance et en appel étant infondée, elle a causé un préjudice moral à la donataire assignée, devant être réparé.


Les deux donataires forment un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation, le 16 décembre 2015, rejette le pourvoi fondé sur l'action en nullité pour dol de la donation-partage dans un premier temps ; et casse la décision rendue par la Cour d'appel de Pau relative à la clause pénale et à la condamnation des demandeurs à verser la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts à la troisième donataire dans un second temps.


Les juges du droit se prononcent sur l'obligation ou non faite à la donatrice de rapporter à la donation-partage la donation consentie à son petit-fils ainsi que la souscription d'un contrat d'assurance-vie au profit de sa fille, qui empiéteraient sur la quotité disponible léguée aux donataires de l'acte. Ils déterminent également les conditions de validité de la clause pénale inscrite dans la donation-partage au regard du droit d'agir des parties au contrat.


Les demandeurs au pourvoi reprochent à la Cour d'appel d'avoir privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code Civil. Ce texte prévoit que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque l'une des parties y a consenti suite à des manœuvres pratiquées par l'autre partie et que sans celles-ci la première n'aurait pas contracté.

Les demandeurs au pourvoi font valoir que s'ils avaient eu connaissance des donations et avantages consentis à la défenderesse, ils n'auraient pas consenti à cet acte. Ainsi, ils estiment que la donatrice a commis un dol en gardant le silence sur ces actes, rompant l'égalité du partage. La donation-partage doit par conséquent être annulée. Selon eux, les juges du fond auraient dû rechercher s'ils auraient donné leur consentement à la donation-partage en ayant connaissance de la donation et du contrat d'assurance-vie, dont le premier aggrave le déséquilibre de l'acte et ampute la quotité disponible, c'est-à-dire la part du patrimoine de la donatrice dont elle peut disposer librement par testament ou donation en cas de présence d'héritiers réservataires.

La Cour de cassation constate que la juridiction du second degré a légalement justifié sa décision en retenant que le contrat d'assurance-vie et la donation consentie au petit-fils n'ont pas à être mentionnés dans l'acte de donation-partage. Ainsi, le silence gardé par la donatrice sur ces actes n'est pas constitutif d'un dol et la donataire assignée n'a pas à rapporter à la succession de la première l'ensemble des donations que celle-ci a pu lui consentir.

Pour ce qui concerne la clause pénale, les demandeurs au pourvoi énoncent que la Cour d'appel a violé l'article 6 du Code Civil et l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv.EDH). Selon eux, la clause pénale, menaçant le donataire d'exhérédation s'il tente une action en nullité de la donation-partage pour dol, est illicite et doit être réputée non écrite. Ils reprochent également aux juges du fond d'avoir violé l'article 1134 du Code Civil. En effet, ils considèrent que la clause prévoyait que le donataire attaquant la donation-partage serait privé seulement des biens donnés par cet acte. En privant les donataires de toute part dans la quotité disponible de la donation, la Cour d'appel a dénaturé l'acte.

La première chambre civile casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa de l'article 6§1 de la conv.EDH. Cet article donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Ce texte reconnaît un droit d'accès aux tribunaux à toute personne souhaitant introduire une action devant une juridiction. C'est la consécration du droit d'accès au juge. Les juges doivent s'assurer que les parties ont concrètement la possibilité d'accéder à un juge pour que ce droit ait une réelle efficacité. En l'espèce, il s'agit d'un accord conventionnel contenant une clause dont le but est de restreindre la possibilité pour les donataires de recourir à ce droit. La Cour de cassation considère que la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de cet article et refuse d'appliquer la clause. En effet, elle retient que les juges du fond auraient dû vérifier au préalable que l'application de la clause, incluse dans la donation-partage, ne portait pas une atteinte excessive au droit d'agir en justice des demandeurs avant de la reconnaître efficace. Ainsi, la clause pénale serait valable seulement si elle ne portait pas une atteinte excessive au droit d'agir en justice des parties au contrat, garanti par l'article 6§1. Le droit d'agir en justice peut être limité à condition que ces restrictions ne vident pas ce droit de sa substance même. La validité de la clause n'est pas remise en cause mais elle doit respecter les limites imposées par la jurisprudence pour préserver les droits reconnus par la conv.EDH. Cette clause n'empêche pas les donataires d'agir en justice mais le demandeur se voit appliquer la clause si ce sont seulement ses intérêts privés qui justifient sa contestation et pas l'ordre public. La sanction envisagée par la clause pénale doit être mesurée et ne pas contrevenir aux principes fondamentaux.

Enfin, s'agissant de la condamnation des demandeurs à verser des dommages et intérêts, les demandeurs au pourvoi estiment que la Cour d'appel a violé l'article 1382 et 1152 du Code Civil. Pour eux, l'utilisation des mêmes moyens en première instance et en appel ne justifie pas que soit engagée la responsabilité de l'appelant pour abus de droit d'agir. Le fait de maintenir la même argumentation devant la juridiction du premier degré et la juridiction du second degré ne constitue pas un abus de droit d'agir. De plus les demandeurs soutiennent que la Cour d'appel ne pouvait pas faire jouer la clause pénale et dans le même temps les condamner à verser des dommages et intérêts pour le même préjudice subi. Cela revient à doublement réparer le préjudice.

La Cour de cassation déclare que la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code Civil et casse l'arrêt au visa de ce texte. Cet article prévoit que celui qui commet une faute causant à autrui un dommage, doit le réparer. Les juges du droit estiment que les juges du fond n'ont pas caractérisé une faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'exercer une voie de recours, rendant possible l'allocation de dommages et intérêts. La caractérisation d'un abus de droit nécessite la démonstration d'une faute commise par le demandeur.

C.C

Les perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence
Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016


Faits

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 janvier 2016 par le Conseil d’État (décision n° 395092 du 15 janvier 2016), d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’association Ligue des droits de l’homme (LDH). Cette question est relative à la conformité des droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.
Cette QPC a pour origine un recours pour excès de pouvoir formé par la LDH à l’encontre de la circulaire du 25 novembre 2015 du ministre de l’intérieur relative aux perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence.
La ligue des droits de l’homme estimait que ces dispositions contestées portaient une atteinte grave et manifestement illégale à certaines libertés fondamentales garanties par la Constitution comme le droit au « respect de la vie privée », et à la règle fixée par l’article 66, selon laquelle l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle ».


Évolution de la rédaction de l’article 11 paragraphe I de la loi du 3 avril 1955

Le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 est relatif au pouvoir conféré à l’autorité administrative, lorsque l’état d’urgence a été déclaré, d’ordonner des perquisitions et des saisies administratives.
 
Les adjonctions apportées par la loi du 20 novembre 2015 au paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 sont de trois ordres :

-          Elles ont renforcé les pouvoirs de perquisition : une perquisition peut être effectuée « en tout lieu, y compris un domicile » ; est expressément mentionné l’accès au système informatique ou à l’équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition et leurs données, ainsi que la capacité de copier ces données.

-          Elles ont encadré les conditions de la perquisition : désignation par la décision du lieu et du moment de la perquisition ; déroulement des opérations avec l’information du procureur de la République et la présence d’un officier de police judiciaire.

-          Elles ont prévu les modalités selon lesquelles, lorsqu’une infraction est constatée, débute une perquisition judiciaire.

Ainsi dans cette QPC, les dispositions contestées permettent à l’autorité administrative, lorsque l’état d’urgence a été déclaré, d’ordonner des perquisitions et de copier des données stockées dans un système informatique auxquelles les perquisitions donnent accès.


Décision du Conseil constitutionnel

Sur le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 66 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a estimé que le contrôle préalable d’un juge judiciaire, réclamé par le requérant n’était pas indispensable pour les perquisitions décrétées dans le cadre de l’état d’urgence.

Selon cet article « nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

Le Conseil constitutionnel a précisé que ces perquisitions relèvent de la seule police administrative et n’affectent pas la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, qui fait du juge judiciaire le gardien de la liberté individuelle. Elles n’ont pas à être placées sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire, précisent les sages.

S’agissant des dispositions permettant les perquisitions administratives, pour les juger conformes à la constitution, le Conseil constitutionnel a retenu qu’il s’agissait d’une mesure s’inscrivant dans un régime de pouvoirs exceptionnels dont les effets doivent être limités dans le temps et dans l’espace et qui contribue à prévenir le péril imminent ou les conséquences de la calamité publique auxquels le pays est exposé.

Pour apprécier la conformité des dispositions contestées aux exigences découlant des articles 2 et 16 de la déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a relevé les différentes conditions et garanties encadrant leur mise en œuvre. En se prononçant sur l’atteinte portée par les dispositions contestées à la vie privée et au droit à un recours juridictionnel effectif, il a jugé que la décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées doit être proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. En particulier, une perquisition se déroulant la nuit dans un domicile doit être justifiée par l’urgence ou l’impossibilité de l’effectuer le jour.

Par ailleurs, si les voies de recours prévues à l’encontre d’une décision ordonnant une perquisition sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent être mises en œuvre que postérieurement à l’intervention de la mesure, elles permettent à l’intéressé d’engager la responsabilité de l’État. Ainsi les personnes intéressées ne sont pas privées de voies de recours.

S’agissant des dispositions qui permettent à l’autorité administrative de copier toutes les données informatiques auxquelles il aura été possible d’accéder au cours de la perquisition, le Conseil constitutionnel a relevé que cette mesure est assimilable à une saisie. Ni cette saisie ni l’exploitation des données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge, y compris lorsque l’occupant du lieu perquisitionné ou le propriétaire des données s’y oppose et alors même qu’aucune infraction n’est constatée. Le juge constitutionnel a par conséquent censuré les dispositions de ce paragraphe qui permettaient de copier des données informatiques dans le cadre de ces perquisitions. Au demeurant peuvent être copiées des données dépourvues de lien avec la personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition.

En définitive, dans leur décision 2016-536 QPC du 19 février 2016, les sages ont donc jugé conformes à la constitution les dispositions du paragraphe I qui organise un régime dérogatoire de perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence ; mais en revanche, ils ont censuré les dispositions de ce paragraphe qui permettaient de copier des données informatiques dans le cadre de ces perquisitions. Ils ont en effet estimé que le législateur n’avait pas dans ce cas prévu de garanties légales propres à assurer un équilibre entre l’objectif de valeur constitutionnelle de « sauvegarde de l’ordre public » et le « droit et respect de la vie privée ».

Cependant, cette décision ayant épuisé toutes les voies de recours interne, ouvre le champ à d’éventuels recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.


 MKD

mardi 22 mars 2016

Le lien de causalité dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux (arrêt Cass. Civ. 1, 12 novembre 2015, n°14-18118)



            La vaccination est au cœur d’un débat sociétal en ce moment. Certaines personnes accusent les vaccins de provoquer des maladies, et donc d’être source de pathologies au lieu de nous en protéger. L’un des vaccins, le plus controversé, est celui de l’hépatite B. Il est suspecté de provoquer, chez certaines personnes vaccinées contre l’hépatite B, l’apparition de la sclérose en plaques même si cela n’est pas prouvé scientifiquement. Ces personnes intentent des actions en justice afin d’obtenir réparation de leur dommage.

Les produits pharmaceutiques comme les vaccins font l’objet d’un important contentieux. Cela est sûrement dû à la particularité de ces produits car ils touchent directement à la santé des personnes et on ignore souvent les effets secondaires des substances qu’ils contiennent. Le contentieux porte souvent sur la preuve du lien de causalité entre le défaut du  produit et le dommage subi par la victime.

Les produits pharmaceutiques relèvent d’un régime juridique spécifique : la responsabilité du fait des produits défectueux. En France, ce régime de responsabilité a été créé par la loi n°98-389 du 19 mai 1998 qui transpose la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, suite à la condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes pour non-respect du délai de transposition de la directive (arrêt CJCE, 13 février 1993, Aff. C-293/91). Cette transposition a posé des problèmes : la Cour de justice des communautés européennes a condamné la France à deux reprises (arrêt CJCE, 25 avril 2002, Aff. C-52/00 ; arrêt CJCE, 14 mars 2006, Aff. C-177/04) pour ne pas avoir transposé correctement la directive européenne. Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux a donc été modifié par les lois n°2004-1343 du 9 décembre 2009 et n°2006-406 du 5 avril 2006.

Malgré tout, le contentieux relatif au vaccin anti-hépatite B est toujours très important. La Cour de cassation éprouve des difficultés pour appliquer le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux aux vaccins. Le lien de causalité fait souvent l’objet des pourvois en cassation. Il est difficile à établir pour la victime et il existe des incertitudes scientifiques sur celui-ci. On peut observer ces difficultés dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2015.
Cet arrêt est rendu suite à un renvoi opéré après une cassation.

En l’espèce, une personne se fait vacciner contre l’hépatite B à trois reprises entre décembre 1998 et juillet 1999. C’est un vaccin obligatoire. En août 1999, la personne est malade. Elle est diagnostiquée comme souffrant de la sclérose en plaques.
La victime intente une action en responsabilité contre le laboratoire fabriquant le vaccin. Elle souhaite obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, codifiés par la loi du 19 mai 1998. La victime a la qualité de demanderesse et le fabricant du vaccin, producteur, a celle de défendeur.
Au cours de l’instance, la victime décède ; son épouse et sa fille agissent en son nom pour la suite du procès.

Le 26 septembre 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant les juges du fond après avoir cassé l’arrêt de la Cour d’appel (pourvoi n°11-17738).
Le 7 mars 2014, la Cour d’appel de Paris déboute les ayants droit de la victime de leurs demandes. Elle considère qu’il n’existe aucun consensus scientifique permettant d’établir l’existence d’un lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques.

Un pourvoi en cassation est formé par les ayants droit de la victime qui ont la qualité de demandeurs. Il contient un moyen divisé en trois branches. Le fabricant du vaccin a la qualité de défendeur.
Tout d’abord, les demanderesses au pourvoi rappellent que la preuve d’un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la victime est nécessaire pour engager la responsabilité du producteur sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. Des présomptions graves, précises et concordantes permettent d’apporter cette preuve. Les ayants droit de la victime affirment que nous sommes en présence d’une telle présomption car il s’est écoulé peu de temps entre l’injection et l’apparition des premiers symptômes de la maladie sachant que celle-ci était inexistante dans la famille, ce qui a été constaté par des experts judiciaires et non contesté par le défendeur. Les demanderesses au pourvoi estiment que la Cour d’appel a violé les articles 1386-4 et 1353 du Code civil en considérant cette concomitance est insuffisante pour prouver le lien de causalité que le fournisseur doit renverser.
Ensuite, les demanderesses au pourvoi considèrent que les juges du fond ont violé les articles 1386-4 et 1386-9 du Code civil en exigeant la preuve de l’imputabilité de la maladie au vaccin, ce qui les oblige à rapporter la preuve d’une causalité scientifique.
Enfin, elles affirment que le doute scientifique ne prouve pas et n’exclut pas le lien de causalité. C’est un élément neutre donc le juge ne peut pas s’en servir en faveur ou au détriment d’une partie au litige. Elles en déduisent que la Cour d’appel a violé les articles 1386-4 et 1353 du Code civil en constatant l’absence de consensus sur les causes de la sclérose en plaques et donc l’absence de présomptions graves, précises et concordantes.

La première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie constitue-t-elle une présomption grave, précise et concordante permettant d’établir un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la victime ?

Le jeudi 12 novembre 2015, la Haute juridiction rend un arrêt dans lequel elle renvoie l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au visa de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle pose trois questions préjudicielles à celle-ci sur la façon dont il faut interpréter la directive de 1985 quant à la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la victime. En attendant la prise de position de la CJUE, la Cour sursoit à statuer. Elle renvoie l’affaire à une audience du 25 octobre 2016.
La Cour rappelle que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est applicable aux vaccins en se fondant sur l’article 2 et le treizième considérant de la directive, et la jurisprudence de la CJUE (arrêts du 9 février 2006, O’ Byrne, C-127/04, et du 2 décembre 2009, Aventis, C-358/08). Elle rappelle également que selon l’article 1386-9 du Code civil, la victime doit prouver le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; en précisant que la CJUE veille à la répartition de la charge de la preuve par les droits internes des États membres de l’UE. Elle observe que les ayants droit de la victime invoquent la jurisprudence de la Cour selon laquelle le lien de causalité entre le défaut du vaccin et le préjudice de la victime peut être prouvé par des présomptions graves, précises et concordantes. Cette jurisprudence est aussi valable pour la preuve de la défectuosité du produit.
La Cour de cassation se pose alors la question suivante : l’article 4 de la directive s’oppose-t-il à ce que de telles présomptions soient utilisées comme mode de preuve ? Elle envisage alors les conséquences d’une réponse négative ou affirmative à cette question.
D’une part, si la réponse est négative, elle indique qu’il faudrait savoir si l’article 4 de la directive s’opposerait à ce que le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la victime puisse être établi quand il existe des indices de causalité comme la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la maladie ou l’absence de la maladie dans la famille. En l’espèce, le lien de causalité serait prouvé.
D’autre part, si la réponse était affirmative, il faudrait savoir si ce même article de la directive admet que la preuve de ce lien de causalité sera considérée comme apportée seulement s’il est établi scientifiquement.
Face à ces difficultés que pose l’article 4 de la directive et dont dépend la solution du litige, la Cour de cassation renvoie l’affaire à la CJUE pour que celle-ci réponde à trois questions préjudicielles quant à l’interprétation de l’article 4 de la directive européenne. Tout d’abord, il s’agit de savoir si cet article s’oppose à ce que le lien de causalité entre le défaut d’un vaccin et le dommage subi par la victime soit prouvé par des présomptions graves, précises et concordantes quand ce lien n’est pas prouvé scientifiquement. Ensuite, si la réponse à cette question est négative, il s’agit de déterminer si la présomption selon laquelle ce lien serait prouvé en cas d’existence d’indices de causalité est recevable dans la cadre d’une action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. Enfin, si la réponse à la première question est affirmative, il s’agit de savoir si ce lien de causalité sera considéré comme prouvé seulement si c’est le cas d’un point de vue scientifique.

 Ainsi, la Haute juridiction pose des questions préjudicielles à la CJUE sur l’interprétation d’un article de la directive européenne afin de rendre la solution au litige et d’éclaircir sa position quant à la preuve du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage de la victime. Ces questions sont nécessaires au regard de l’importance du contentieux en matière de vaccins. Les solutions sont nombreuses et parfois très différentes. Cela crée une insécurité juridique.

En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué ces dernières années concernant le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. En 2003 (arrêt Cass civ. 1 ,23 septembre 2003, n°01-13063), elle refuse que le lien de causalité entre le défaut du produit et le préjudice de la victime soit considéré comme prouvé par le biais de présomptions du fait de l’homme quand ce lien n’est pas prouvé scientifiquement. L’absence de causalité scientifique entraînait l’absence de causalité juridique. La Cour a changé de position dans des arrêts du 22 mai 2008 (ex : arrêt Cass. Civ.1, 22 mai 2008, n°06-10967). Elle affirme que dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux, la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre le défaut et le dommage puisse être apportée grâce à des présomptions graves, précises et concordantes. C’est cette jurisprudence qui est évoquée dans notre arrêt. Les indices de causalité permettant de considérer que nous sommes en présence d’une présomption du fait de l’homme relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (arrêt Cass. civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11073, arrêt Cass. 1re civ, 25 nov. 2010, n° 09-16556). Ceux-ci peuvent être réticents à accepter ce mode de preuve quand il y a une incertitude scientifique sur l’existence de ce lien de causalité. Cela explique le fait que les solutions rendues sont parfois très différentes pour des faits similaires.
De plus, la Cour considère que lorsque la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage de la victime par des présomptions graves, précises et concordantes est apportée, la défectuosité du produit est présumée (Cass. 1re civ, 26 sept. 2012, n° 11-17738 ; arrêt Cass. 1re civ, 10 juillet 2013, n°312-21314). C’est cet arrêt de 2012 qui a renvoyé notre affaire devant les juges du fond pour la seconde fois (arrêt CA Paris, 7 mars 2014).

Par ailleurs, la preuve du lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage de la victime n’est pas appréhendée de la même façon par les juridictions administratives et les juridictions judiciaires. En effet, selon l’article L3111-4 du Code de la santé publique, les victimes de dommages dus à un vaccin obligatoire peuvent faire une demande d’indemnisation de leur préjudice auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Le Conseil d’État considère que le lien entre le vaccin et la maladie est établi quand les premiers symptômes de la maladie apparaissent dans « un bref délai » suivant la vaccination et qu’il n’existe pas d’antécédents de la maladie chez la victime (arrêt CE, 9 mars 2007, n°267635, 278665, 283067 et 285288 ; arrêt CE, 27 mai 2015, n°369142). Dans notre affaire, la victime a fait cette demande mais l’indemnisation perçue ne répare pas suffisamment son préjudice donc elle décide d’intenter une action en justice contre le fabricant du vaccin sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice.
Si la réponse à la première question posée par la Cour de cassation à la CJUE était affirmative, cela serait sévère pour les victimes. La preuve du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le préjudice de la victime serait subordonnée à la preuve de ce lien scientifiquement. La causalité juridique dépendrait donc de la causalité scientifique. Or, la science ne peut pas toujours déterminer avec précision et certitude les causes des maladies. La causalité scientifique a des limites. Ces dernières pourraient limiter les possibilités pour les victimes d’obtenir réparation de leurs préjudices. On risquerait d’avoir des victimes jamais indemnisées à cause de l’absence de consensus scientifique, alors qu’il peut avoir un doute légitime sur le lien de causalité entre la défectuosité du produit et les dommages des victimes. Il y aurait une inégalité entre les victimes de vaccins obligatoires défectueux et celles agissant en justice sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.
Il est souhaitable que ces deux régimes soient unifiés pour éviter qu’il y ait une inégalité entre les victimes. Elles doivent pouvoir obtenir réparation de leurs préjudices devant tout juge (administratif ou judiciaire).

À l’inverse, si la réponse à cette même question de la Haute juridiction à la CJUE était négative, les conditions de la responsabilité seraient plus souples pour les victimes. Elles pourraient prouver plus facilement le lien de causalité et obtenir réparation de leurs dommages. La Cour de cassation pourrait poser une présomption de causalité de droit en cas d’existence d’indices de causalité. Cette solution se rapprocherait de celle adoptée par le Conseil d’État. La Cour de cassation alignerait sa jurisprudence sur celle du juge administratif. Le contentieux de la responsabilité du fait des produits défectueux et, plus particulièrement celui des vaccins, serait moins abondant, unifié, les solutions plus prévisibles et plus claires. Mais, la Cour pourrait ne pas créer de présomption de causalité de droit et donc ne changerait pas sa position actuelle. Les problèmes d’appréciation des éléments de fait pour savoir si on est en présence d’une présomption grave, précise et concordante ne changeraient pas. Nous aurions toujours autant de solutions contradictoires. L’insécurité juridique demeurerait.


Les réponses de la CJUE sont donc très attendues et auront des conséquences sur le contentieux du vaccin anti-hépatite B et, sur les produits pharmaceutiques plus généralement. 

E. L.

mercredi 16 mars 2016

Le régime juridique des mesures d'assignation à résidence dans le cadre de l'état d'urgence

- QPC : décision n° 395009 du 11 décembre 2015

I) Faits :

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État, d'une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité à la Constitution de « l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 ». Ces dispositions fixent le régime juridique des mesures d'assignation à résidence qui peuvent être décidées par le ministre de l'Intérieur lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3 avril 1955.

II) L'évolution dans la rédaction de l'article 6 

Une évolution des conditions d'application de cet article 6 est visible. En effet, dans sa rédaction issue de la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et en déclarant l’application en Algérie, l'assignation à résidence concernait uniquement les personnes dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public. Alors que dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : « Le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public.

Cette nouvelle version marque le passage d'une mesure coercitive applicable uniquement dans des cas précis, à savoir où l'activité d'une personne s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public, à une mesure coercitive applicable dans toutes les hypothèses où il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une personne constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public. En d'autres termes, son champ d'application se trouve étendu à de nombreuses hypothèses, ce qui est très critiqué.

III) Solution du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a examiné le grief de la méconnaissance des droits garantis par l'article 66 de la Constitution. Cet article énonce que nul ne peut être arbitrairement détenu. Le Conseil constitutionnel va préciser qu'une telle mesure relève de la seule police administrative et ne peut donc avoir d'autre but que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions. Le Conseil constitutionnel a retenu que, tant par leur objet que par leur portée, ces dispositions ne comportent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Cependant, concernant l'astreinte à domicile dont peut faire l'objet une personne assignée à résidence, le Conseil constitutionnel a précisé que la plage horaire maximale de cette astreinte, fixée à douze heures par jour, ne peut être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors considérée comme une mesure privative de liberté, et par conséquent, soumise aux exigences de l'article 66 de la Constitution. Il s'agit ici d'une première limitation à l'adresse du législateur.

Ensuite, le Conseil constitutionnel a examiné les griefs tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par les articles 2 et 4 de la déclaration de 1789 (liberté d'aller et venir) et de l'article 34 de la Constitution (incompétence négative). Il a relevé que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Toutefois un équilibre doit être préservé, il faut assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public par le biais de la police administrative et, d'autre part, le respect des droits et libertés des citoyens français. Concernant l'atteinte à la liberté d'aller et de venir, les dispositions contestées y portent atteinte, mais le Conseil constitutionnel considère que cette atteinte n'est pas illégale. Le célèbre arrêt Baldy du Conseil d’État du 10 août 1917 énonce que les mesures de police sont l’exception au principe de liberté, et qu'elles doivent être limitées. Cette limitation peut couvrir plusieurs aspects, les mesures de police peuvent être limitées par leur champ d’application, dans le temps ou encore dans l’espace.Le Conseil Constitutionnel va retenir trois justifications démontrant que cette atteinte n'est pas disproportionnée.Premièrement, l'assignation à résidence ne peut être prononcée que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et une telle assignation n'est possible que contre une personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Deuxièmement, tant la mesure d'assignation à résidence que sa durée, ou encore ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie, doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. C'est-à-dire que l'état d'urgence n'est pas une justification suffisante pour ordonner une mesure de police administrative, elles doivent faire l'objet d'une motivation précise. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.Troisièmement, la mesure d'assignation à résidence prise cesse au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence. L'assignation à résidence est donc limitée par son champ d'application, dans l'espace, le temps, et est motivée, cette atteinte à la liberté d'aller et venir est donc proportionnelle.

L'état d'urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a apporté deux précisions limitatives aux législateurs et à l'administration. D'une part, la durée de la prorogation ne peut être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. D'autre part, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle loi, les mesures d'assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées. Ces limitations visent à protéger l'équilibre entre la prévention d'atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés des citoyens.

Pour terminer, le Conseil constitutionnel a écarté les autres griefs et notamment ceux invoquant le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale. En conclusion le Conseil constitutionnel déclare les dispositions concernant l'assignation à résidence conforme à la Constitution en écartant l'ensemble des griefs et en profite pour formuler des limitations aux législateurs et de l'administration.

Actualité Droit de la famille (Loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même de sexe)

CE, 18 décembre 2015, Union départementale des associations familiales des hauts de Seine et autres, requête n°370459

CE 18 décembre 2015, M. C... et autres, requête n°369834



A la suite de l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le 24 mai 2013, un décret et un arrêté pris pour son application ont été adoptés. La Garde de sceaux a également interprété et rappelé les diverses modifications législatives et réglementaires par une circulaire du 29 mai 2013. Enfin, par une circulaire du 13 juin 2013, le ministre de l'Intérieur a rappelé aux préfets les conditions dans lesquelles les autorités compétentes peuvent célébrer un mariage et les conséquences auxquelles elles s'exposent en cas de refus illégal de procéder à une telle célébration.

Dans un arrêt du 18 décembre 2015, le Conseil d’État, en rejetant une série de recours contre ces textes d'application de la loi du 17 mai 2013, tranche de nombreuses questions. D'où la portée importante de cet arrêt, où l'on observe que la Haute juridiction administrative confirme la conventionnalité, la constitutionnalité et la légalité des textes d'application du mariage pour tous.

Dans un autre arrêt du même jour, le Conseil d’État va rappeler qu'un préfet n'est pas un officier d’état civil et ne peut célébrer lui-même un mariage.


I) CE, 18 décembre 2015, Union départementale des associations familiales des hauts de Seine et autres, requête n°370459

 Plusieurs QPC ont été soulevées devant cette juridiction de renvoi et le Conseil d’État va estimer qu'il n'y a pas lieu de renvoyer ces QPC devant le Conseil constitutionnel.

A) Les différentes QPC soulevées

Une première QPC soulevée portait sur l'article 165 du Code civil, qui selon les requérants méconnaîtrait la liberté de conscience, qui est un principe constitutionnellement garanti, en énonçant le caractère républicain du mariage. Toutefois, le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé dans le cadre d'une QPC du 18 octobre 2013 sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 165 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 mai 2013, et avait à cette occasion, écarté le grief tiré de ce que les officiers d'état civil devraient pouvoir bénéficier d'une clause de conscience. Par conséquent, estimant qu'il n'y a pas eu de changement de circonstances de droit ou de fait depuis cette décision, le Conseil d’État refuse que l'article 165 soit à nouveau examiné, et rend une décision de non-renvoi. En adoptant cette décision, la Haute juridiction administrative confirme sa position sur la conformité de l'article 165 du Code civil à la Constitution.

Une seconde QPC soulevée portait sur le fait que la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, était contraire au régime concordataire existant dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de la Moselle et ne pourrait s'appliquer dans ces départements. Par une décision du 21 février 2013, ce régime concordataire a été déclaré comme ne méconnaissant pas la Constitution et plus particulièrement le principe de laïcité, pilier de la République. Les requérants arguaient que cette contrariété entre la loi du 17 mai 2013 et le régime concordataire créerait une rupture d'égalité entre les personnes domiciliées dans les 3 départements en question et celles qui sont domiciliées sur le reste du territoire. Cependant le Conseil d’État rappelle que les dispositions de la loi du 17 mai 2013 s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et sont sans incidence sur le maintien dans certains départements du régime concordataire. Par conséquent, la question posée n'étant pas nouvelle ou ne présentant pas un caractère sérieux, le Conseil d’État rend une décision de non-renvoi et confirme que la loi du 17 mai 2013 s'applique sur l'ensemble du territoire français sans distinction.

Dans le cadre de ces QPC, le Conseil d’État exerce parfaitement son rôle de filtre et renforce par la même occasion la conformité de la loi du 17 mai 2013 à la Constitution en ne renvoyant pas les QPC devant le Conseil constitutionnel. Ceci montre que le mariage pour tous est devenu une valeur solide et ancrée de notre société qui respecte la Constitution.

B) Le respect des engagements internationaux de la France

Sur la légalité interne, le Conseil d’État va trancher différentes questions, notamment au regard des traités internationaux signés par la France afin de déterminer si la loi du 17 mai 2013 n'est pas en contradiction avec ses engagements internationaux.

Le Conseil d’État juge que la loi du 17 mai 2013 n'est pas en contradiction avec de nombreuses conventions internationales, notamment celles relatives aux obligations qui s'imposent aux États partis à ces dernières pour favoriser l'échange d'informations entre officiers de l'État civil. Ces conventions étant dépourvues d'effet direct, et ayant uniquement pour objet de régir les relations entre États, ne peuvent pas être invoquées par les particuliers. De plus, ces conventions n'ont pas pour effet de limiter la liberté des États contractants de déterminer les personnes aptes à s'unir par mariage. Le Conseil d’État va considérer la même chose concernant la Convention sur le consentement au mariage de 1962 ainsi que la Convention sur les régimes matrimoniaux de 1978 qui n'ont pas pour objet de déterminer les personnes aptes à s'unir par mariage.

Par conséquent, l’État dispose d'une marge d'appréciation, et de manœuvre nationale concernant les personnes aptes à se marier.

Par ailleurs, le Conseil d’État a estimé que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaissant le droit de se marier à l'homme et à la femme, ainsi que la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale n'imposent pas que le mariage et l'adoption soient possibles uniquement en cas d'altérité sexuelle, c'est à dire réservé exclusivement aux couples de sexe différent. Le sujet de l'adoption a été une question sensible en France, avant la loi du 17 mai 2013 les personnes de même sexe ne pouvaient pas adopter, car il fallait être marié, mais depuis que le mariage a été ouvert pour tous, l'adoption ne peut plus être refusée à ces derniers. Cette conséquence directe du mariage pour tous a été acceptée difficilement par certains citoyens français.

Le Conseil d’État en estimant que les engagements internationaux de la France n'imposent pas l'altérité sexuelle, renforce la légitimité du mariage pour tous, et ses conséquences à savoir l'adoption pour les couples de même sexe.

Le Conseil d’État confirme la constitutionnalité ainsi que la conventionnalité des textes d'application de la loi du 17 mai 2013 au regard des engagements internationaux de la France. Son raisonnement montre bien que les États disposent d'une marge d'appréciation dans les matières matrimoniales, ce qui permet à la France de concilier le mariage pour tous et ses engagements internationaux. Le Conseil d'État va dans le même sens que la Cour de cassation qui dans un arrêt du 28 janvier 2015 estime que le mariage pour tous doit être une valeur promue par notre société. En effet, dans son arrêt la Cour de cassation rappelle que la liberté matrimoniale fait partie de l'ordre public international et qu'à partir du moment où on a ouvert le mariage aux personnes de même sexe, ce type de mariage fait partie de la liberté matrimoniale. Par conséquent, le mariage pour tous fait partie de l'ordre public international. Toutefois ce n'est pas réellement ce qu'avait prévu le législateur et cette décision avait provoqué de vives réactions, c'est pour cette raison que la Cour de cassation avait bordé sa solution avec son communiqué, en spécifiant un critère de rattachement et en précisant que c'est la liberté matrimoniale qui fait partie de l'ordre public international.

II) CE 18 décembre 2015, M. C... et autres, requête n°369834

Dans cet arrêt, le Conseil d’État juge que la circulaire du ministre de l'Intérieur du 13 juin 2013 relative aux conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d'un officier d'état civil, ne méconnaît pas la liberté de conscience puisque qu'aucun texte ni aucun principe ne fait obligations aux officiers d'état civil d'approuver les choix de vie de personnes dont ils célèbrent le mariage. Il estime qu’eu égard à l’intérêt général qui s'attache au bon fonctionnement et à la neutralité du service public de l'état civil, l'interdiction faite aux officiers d'état civil de refuser de célébrer les mariages, en dehors des cas prévus par la loi, ne méconnaît pas la liberté de conscience garantie par la Convention européenne des droits de l'Homme. Le Conseil d'État utilise donc la neutralité, principe essentiel des services publics pour justifier cette interdiction. Il en profite pour rappeler qu'un préfet n'est pas un officier d’état civil, et ne peut pas célébrer un mariage à place des maires, puisque le pouvoir de substitution qui lui est conféré ne s'exerce que dans le domaine administratif sous l'autorité ou le contrôle du préfet et ne s'étend pas.