Loi n°2015-912 du 24
juillet 2015 sur le renseignement
entrée en vigueur le
3 octobre 2015
La loi n° 2015-912 du
24 juillet 2015 relative au renseignement (JORF n°0171 du 26 juillet 2015, p.
12735) est l’un des textes les plus importants et des plus controversés publié
cet été, car touchant au plus près les problématiques du droit au respect de la
vie privée. Les dispositions de la loi ont été intégrées pour l’essentiel dans
le code de la sécurité intérieur aux articles L 801-1 et suivants. Dès l'exposé
des motifs de la loi, le ton est donné : il s'agit « de connaître et de prévenir les risques et
les menaces pesant sur la France et sa
population » au moyen d'un outil, redoutable objet de cette loi :
le renseignement.
L’adoption
La loi sur le renseignement a été ébauchée durant deux ans au sein de la
Commission des lois par son président, le député Jean-Jacques Urvoas (PS). En
mars 2015, elle prenait finalement la forme d’un projet de loi, porté par le
ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, celui de la Défense, Jean-Yves Le
Drian, et la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Le texte définitif du projet de loi a été adopté le 24 juin 2015. Le contexte,
les attentats contre Charlie Hebdo, avait évidemment précipité
l’agenda, au point que l’exécutif avait décidé d’enclencher la procédure
accélérée.
Par ailleurs Jean- Jacques Urvoas est devenu depuis le 27 janvier 2016 ministre de
l’intérieur, garde des Sceaux en remplacement de Christiane Taubira suite
à la démission de cette dernière.
Le contenu
L’objectif de cette loi est de définir un cadre légal précis
autorisant les services de renseignement à recourir à des techniques d’accès à
l’information, notamment aux moyens d’interception de sécurité, d’accès aux
données de connexion, de balisage de véhicules ou d’objets, de sonorisation ou
captation d’images dans des lieux privés ou encore de captation de données
informatiques tout en garantissant le droit au respect de la vie privée. Les moyens de contrôle des
communications des détenus dont dispose l’administration pénitentiaire sont renforcés.
Un
fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes
est également créé dont l’objet est de prévenir le renouvellement des
infractions de terrorisme ou liées à l’interdiction de sortie du territoire et
de faciliter l’identification de leurs auteurs.
Ainsi, dès le premier article du texte, il est rappelé que : «
le respect de la vie privée, dans toutes
ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des
données personnelles ou l’inviolabilité du domicile, est garanti par la
loi ». L’emploi des techniques de renseignement devront respecter le
principe de proportionnalité.
Par ailleurs, les techniques de renseignement ne
peuvent être mises en œuvre que pour la défense et la promotion des intérêts
fondamentaux de la nation définis tels
que par exemple l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la
défense nationale, la défense des intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution
des engagements européens et internationaux de la France la prévention du terrorisme ou la prévention de la criminalité et de la
délinquance organisées, la prévention des violences collectives de
nature à porter gravement atteinte à la paix publique, la prévention de la
prolifération des armes de destruction massive.
L’ensemble
de ces mesures de police administrative relève de la compétence exclusive de
l’Etat. L’autorisation de mise en œuvre des techniques est délivrée par le
Premier ministre pour une durée maximale de quatre mois après préavis de la
Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sauf en cas
d’urgence absolue.
Au
titre des garanties prévues, des dispositions précisent la durée de
conservation des renseignements collectés et un double contrôle est exercé par
une autorité extérieure indépendante à savoir la commission nationale de
contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et par le Conseil d’Etat.
La commission
nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)
Cette autorité administrative indépendante est chargée de veiller à ce
que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le
territoire national conformément à la loi.
Elle est composée de neuf membres :
- deux députés et deux sénateurs (désignés, respectivement, pour la durée
de la législature par l’Assemblée nationale et pour la durée de leur mandat par
le Sénat) ;
- deux membres du Conseil d’Etat, nommés par le vice-président du Conseil
d’Etat ;
- deux magistrats hors hiérarchie de la Cour de Cassation, nommés
conjointement par le premier président et par le procureur général de la Cour
de Cassation ;
- une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de
communications électroniques, nommée sur proposition du président de l’Autorité
de régulation des communications électroniques et des postes.
Le président de la commission est nommé par décret du Président de la
République parmi les membres du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation.
Le mandat des membres, à l’exception des parlementaires, est de six ans.
Il n’est pas renouvelable.
Décision du Conseil Constitutionnel
Saisi de trois recours
dont un recours du Président de la République, le Conseil Constitutionnel a jugé la loi conforme à la Constitution en
date du 23 juillet 2015 à l’exception de trois dispositions : la
surveillance internationale, l’urgence opérationnelle et les lois de finances.
L’article sur la
surveillance internationale visait à permettre au Premier Ministre d’autoriser
les services à recourir à une surveillance internationale, sans l’avis
préalable de la CNCTR. Celle-ci n’intervenait qu’a posteriori et donc après
d’éventuels dommages sur la vie privée des surveillés. En effet, selon le Conseil :
« le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties
fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés
publiques ».
L’article sur
l’urgence opérationnelle avait pour but de permettre aux services de recueillir
des renseignements, en évinçant à la fois l’avis de la CNCTR et l’autorisation
du Premier Ministre. Selon le Conseil constitutionnel, cet article porte une
atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et
au secret des correspondances.
Il a par ailleurs
censuré une troisième disposition relative au financement de la CNCTR qui
relève de la loi de finances, loi qui détermine, pour un exercice (une année
civile), la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges
de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte.
Entrée en vigueur
Francis Delon ayant été
officiellement désigné le 2 octobre 2015 au Journal Officiel comme le premier
président de la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de
renseignement (CNTCR), la loi est entrée en vigueur le 3 octobre 2015. C’est
depuis cette date que les services de renseignement français peuvent en toute
légalité demander au Premier ministre l’autorisation de mettre en œuvre des
dispositifs de géolocalisation, des IMSI catchers, des micros, des caméras, des
spywares, des collectes de données sur les réseaux téléphoniques, et autres
boîtes noires riches en algorithmes de détection de terroristes potentiels.
Conclusion
A peine entrée en
vigueur, de nombreux recours contre la
loi sur le renseignement ont déjà été portés devant la CEDH. L’association de
la presse judiciaire, le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux
ont déposé plusieurs recours devant la CEDH le 3 octobre dernier. Avocats
et journalistes dénoncent les atteintes aux libertés contenues dans la loi et
en particulier la mise en danger du secret attaché à chacune de leur
profession. La cour examinera la recevabilité de la requête dans les six à
douze mois, une éventuelle décision n’est pas attendue avant trois ans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire