Depuis
quelques années, le droit de la famille connaît de nombreux bouleversements
avec des revirements de jurisprudence sous l’influence de la CEDH et plusieurs
réformes comme la loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage aux personnes de même
sexe. La filiation est également touchée par ces changements.
Par ailleurs, notre droit français est confronté à d’autres
visions existant chez nos voisins européens. Les droits internes se contredisent parfois. Cette difficulté se pose en
droit international, c’est-à-dire lorsqu’il existe un élément d’extranéité dans
la situation donnée.
Le juge y est confronté, notamment en matière d’action en
recherche de paternité. C’est l’action en justice par laquelle un enfant
demande au tribunal de grande instance de
proclamer son lien de filiation envers celui qu’il prétend être son père. Depuis
l’ordonnance du 4 juillet 2005, cette action est soumise à un délai de prescription plus court : il n’est plus
trentenaire. En effet, l’article 321 du Code civil dispose que les actions
relatives à la filiation se prescrivent par dix ans. L’ordonnance de 2005 a été
rédigée avec l’idée de stabiliser la filiation.
Le législateur français veut protéger les enfants et souhaite concilier le principe de stabilité de la filiation et
le droit pour l’enfant de connaître ses origines. Il veut éviter qu’on puisse remettre
en cause trop facilement un lien de filiation établi. Il souhaite sécuriser la
filiation. Cependant, la prescription des actions relatives à la filiation
n’est pas prévue dans tous les Etats. Certains, comme l’Allemagne considèrent
que ces actions sont imprescriptibles. Cette différence de législation a posé
problème.
La question de la
compatibilité de la loi étrangère prévoyant l’imprescriptibilité des actions
relatives à la filiation avec l’ordre public n’est pas nouvelle. La Cour de
cassation s’est déjà prononcée sur cette question dans de vieux arrêts (Cass.
Civ. 1, 13 novembre 1979, Weyrich-Laroche,
n° 78-12634) dans lesquels elle estime qu’en matière de contestation de
filiation, l’imprescriptibilité est contraire à l’ordre public international
français. Parallèlement, elle considère que dans le cadre des actions en
déclaration judicaire de paternité, les lois étrangères prévoyant l’imprescriptibilité
ou des délais d’action plus longs que ceux prévus par la loi française ne sont
pas contraires à l’ordre public international français (arrêt Cass. Civ 1, 10
mai 1960, Imbach, publication au
bulletin n°247). On observe que la Cour de cassation fait une distinction selon
le type d’action intentée par l’enfant : selon que c’est une action en
contestation ou une action déclaratoire judiciaire de filiation (action en
recherche de maternité ou de paternité). Mais, ces arrêts sont anciens et la
législation française a évolué en matière d’actions concernant la filiation. En
effet, ces arrêts ont été rendus avant la réforme de 2005. Il y avait donc un
besoin de clarification de la jurisprudence par la Haute juridiction sur la
compatibilité d’une loi étrangère avec l’ordre public international français,
surtout que le contenu de l’ordre public international évolue avec le temps.
Les valeurs essentielles pour la société française d’aujourd’hui ne sont pas
les mêmes que celles d’il y a 30 ans.
La Cour de cassation a
clarifié sa position dans un arrêt du 7 octobre 2015 rendu par la première
chambre civile. En l’espèce, deux femmes sont nées en France d’une mère de
nationalité allemande. Le 8 mars 2012, elles intentent, en qualité de demanderesses,
une action en recherche de paternité contre les filles et la veuve de leur
prétendu père ayant la qualité de défenderesses.
Le tribunal de grande
instance déclare la loi allemande applicable à l’action et ordonne une
expertise biologique.
Les défenderesses
interjettent appel. Le 28 janvier 2014, la Cour d’appel de Paris rend un arrêt
dans lequel elle déclare les pièces des intimées recevables et donne gain de
cause à celles-ci en décidant d’établir un lien de filiation entre elles et
l’homme qu’elles estimaient être leur père.
Un pourvoi en
cassation est formé par les filles et la veuve de l’homme déclaré comme étant
le père des deux femmes ayant intenté l’action en recherche de paternité. Ce
pourvoi est composé de deux moyens. Ces dernières ont la qualité de défenderesses.
D’une part, les
demanderesses reprochent aux juges du fond d’avoir considéré les pièces des
adversaires comme recevables ; alors qu’elles n’ont pas été communiquées
avec les conclusions. Elles considèrent donc que les articles 906, 15 et 16 du
Code de procédure civile ont été violés par la Cour d’appel.
D’autre part, les
demanderesses estiment que la loi prévoyant l’imprescriptibilité de l’action en
recherche de paternité est contraire à l’ordre public international français.
Elles reprochent à la Cour d’appel d’avoir affirmé le contraire et que l’action
était intentée dans le délai prévu à l’article 330 du Code civil. Or, elles relèvent
que cet article concerne la possession d’état qui est une notion étrangère au
droit civil allemand. Selon ces dernières, les juges du fond auraient dû se
fonder sur l’article 321 du Code civil relatif à l’action en recherche de
paternité. Donc, le motif de la Cour est inopérant et viole l’article 3 du Code
civil.
La première chambre
civile de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : Des
pièces non communiquées lors de la notification des conclusions à la partie
adverse peuvent-elles être ajoutées aux débats ? L’imprescriptibilité de
l’action en recherche de paternité prévue par la loi étrangère applicable en
vertu de la règle de conflit est-elle contraire à l’ordre public international
français ?
Le mercredi 7 octobre
2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de
rejet condamnant aux dépens les demanderesses sur le fondement de l’article 700
du Code de procédure civile.
Premièrement, elle
considère que les pièces litigieuses ont été communiquées en première instance,
en appel et en temps utile. Donc, le premier moyen du pourvoi n’est pas fondé.
Deuxièmement, la Haute
juridiction estime que la loi applicable à l’action est la loi allemande en
vertu de la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil, ce qui implique
qu’il faut appliquer l’article 600d du Code civil allemand prévoyant
l’imprescriptibilité de l’action en contestation judiciaire de paternité. Cette
différence entre les deux droits ne caractérise pas une contrariété avec
l’ordre public international français permettant d’écarter la loi
allemande. Donc, la Cour rejette le second moyen en considérant que la Cour
d’appel a légalement justifié sa décision.
Ainsi, cet arrêt
apporte une clarification quant à la compatibilité de la loi allemande avec
l’ordre public international français sur le délai d’action pour agir en
recherche de paternité. Mais, il confirme que l’action en recherche de
paternité est régie par la loi désignée
par l’article 311-14 du Code civil et donc qu’on lui applique le délai d’action
prévu par cette même loi.
En effet, l’article
311-14 du Code civil s’applique à tous les modes d’établissement de la
filiation sauf si les articles 311-15 et 311-17 s’appliquent. Depuis longtemps,
la jurisprudence a affirmé que l’action en recherche de paternité est soumise à
l’article 311-14 (arrêt Cass. Civ. 1, 3 mars 1987, n°85-12693 ; arrêt
Cass. Civ 1, 18 novembre 1992, n°90-15275). Donc, en l’espèce la loi allemande
s’applique.
De plus, la Cour de
cassation rappelle que le délai pour intenter une action en recherche de paternité
est lié à la loi du fond, ce qui explique l’application de la règle de conflit
de l’article 311-14 du Code civil. On ne se réfère donc pas aux règles de procédure. Cette question a
été tranchée par l’arrêt Imbach en
affirmant que « le délai d’exercice d’une action en déclaration judiciaire
de paternité, relié étroitement, en matière de filiation, au fond du droit,
est, en conséquence, régi par la loi nationale du demandeur ». Ainsi, en
l’espèce, la première chambre civile de la Cour de cassation applique la
jurisprudence Imbach : les
demanderesses sont de nationalité allemande en application de l’article 3 du
Code civil donc la loi allemande s’applique au délai d’action. Le délai
d’action est soumis à la même règle de fond que l’action elle-même.
Se pose alors la question
de la conformité du droit allemand, prévoyant l’imprescriptibilité de l’action
en recherche de paternité, à l’ordre public international français. Dans
l’arrêt de 2015, la Cour de cassation clarifie les choses : une loi
étrangère ne soumettant l’exercice de l’action en constatation judiciaire de
paternité à aucun délai de prescription n’est pas contraire à l’ordre public
international français.
On peut expliquer
cette solution par l’influence de la CEDH. En effet, le 16 juin 2011, la CEDH a condamné la France car le droit
français empêchait un homme de faire établir sa filiation avec son père
biologique, ce qui viole l’article 8 de la CESDH relatif à la vie privée et
familiale. Pour la CEDH, la prescription des actions en recherche de filiation
est contraire au droit de connaître ses origines. Ainsi, par l’arrêt de 2015,
la Cour de cassation se conforme à la jurisprudence de la CEDH.
E. L.
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