samedi 27 février 2016

Ordonnance n°2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille : L'administration légale des biens du mineur


Cette ordonnance fait suite à la loi du 16 février 2015 n°2015-177 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JO n°0040 du 17 février 2015). La loi a habilité le gouvernement à prendre des dispositions par voie d'ordonnance au plus tard le 17 octobre 2015.
L'ordonnance est arrivée à temps, elle est parue au JO le 16 octobre 2015 et elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Elle simplifie notamment les règles de l'administration légale des biens des mineurs.

Jusqu'à lors, les familles monoparentales étaient toujours placées sous le contrôle d'un juge pour la gestion des biens des enfants.
En effet, avant la réforme, l'article 389-1 du code civil disposait que lorsque les deux parents exerçaient en commun l'autorité parentale, l'administration légale était pure et simple. Cela signifiait qu'un seul des deux parents pouvait accomplir les actes les moins graves concernant les biens de l'enfant comme des actes d'administration ou conservatoires. Les actes les plus graves devaient être accomplis par les deux parents ensemble. Le juge des tutelles, qui est le juge aux affaires familiales, n'intervenait qu'en cas de désaccord des parents ou lorsque son accord était indispensable, c'était le cas des actes de disposition les plus graves. L'ancien article 389-5 citait ces actes : les parents ne pouvaient ni vendre de gré à gré, ni apporter en société un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur, ni contracter d'emprunt en son nom, ni renoncer pour lui à un droit sans l'autorisation du juge, même d'un commun accord.

En cas d'exercice de l'autorité parentale par un seul parent, l’administration légale était dite sous contrôle judiciaire. Ce parent pouvait effectuer seul les actes d'administration ou conservatoires mais pour tout le reste il devait obtenir l'autorisation du juge des tutelles.

L'ordonnance a pour but d'assurer une égalité de traitement, quel que soit le mode d'organisation de la famille, de cette façon, les familles avec deux parents et celles avec un seul parent ne sont plus différenciées. Ainsi, les régimes d'administration légale sous contrôle judiciaire et d'administration légale pure et simple sont supprimés, un régime unique d'administration légale des biens d'enfants mineurs est créé.

En effet, par ces suppressions, l'ordonnance crée une présomption de bonne gestion des biens du mineur par ses représentants légaux. De cette manière, le parent seul possédera le même pouvoir d'administration des biens de son enfant qu'une famille avec deux parents. Cette présomption retire l'intervention systématique du juge des tutelles dans l'administration des biens de l'enfant mineur pour les actes les plus graves en présence d'un seul parent. Ainsi, l'autorisation du juge n'est plus nécessaire pour l'ouverture de tout nouveau compte ou livret au nom ou pour le compte du mineur, pour faire une demande de délivrance d'une carte bancaire de crédit ou encore pour clôturer un compte bancaire.

Le juge interviendra en cas de désaccord entre les administrateurs légaux ou entre le ou les administrateurs légaux et le mineur et l'autorisation du juge sera obligatoire pour les actes entraînant une atteinte grave aux intérêts du mineur.

L'ordonnance consacre une nouvelle distinction entre les actes soumis à l'autorisation du juge, soit ceux qui pourraient affecter de manière grave, substantielle et définitive le patrimoine du mineur, et les actes dont la réalisation est impossible même avec l'autorisation du juge.

Le nouvel article 387-1 du Code civil précise les actes que peut effectuer l'administrateur légal avec l'autorisation du juge. C'est le cas pour la vente de gré à gré d'un immeuble ou d'un fonds de commerce appartenant au mineur ; l'apport en société d'un immeuble ou d'un fonds de commerce appartenant au mineur ; la souscription d'un emprunt au nom du mineur ; la renonciation pour le mineur à un droit, transiger ou compromettre en son nom ; l'acceptation pure et simple d'une succession revenant au mineur ; l'achat des biens du mineur ou leur prise à bail ; la constitution gratuite d'une sûreté au nom du mineur pour garantir la dette d'un tiers ; procéder à la réalisation d'un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers au sens de l'article L211-1 du code monétaire et financier si celui-ci engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l'avenir par une modification importante de son contenu, par une dépréciation significative de sa valeur en capital ou par une altération durable des prérogatives du mineur.

L'article 387-2 du Code civil donne la liste des actes interdits. Ce sont l'aliénation gratuite des biens ou droits du mineur ; l'acquisition par un tiers d'un droit ou d'une créance contre le mineur ; l'exercice d'un commerce ou d'une profession libérale au nom du mineur ; le transfert des biens ou des droits du mineur dans un patrimoine fiduciaire.

La liste des actes de l'article 387-1 du Code civil étant exhaustive, le contrôle du juge se limite à celle-ci. Il peut agrandir son contrôle mais seulement lorsqu'il est saisi par un parent, le ministère public ou un tiers. Ainsi, s'il n'est pas saisi, il ne peut pas vérifier la bonne gestion de tous les biens du mineur par son ou ses administrateurs.

Pour le conseil des ministres, le but de l'ordonnance est « d'éviter un contrôle judiciaire excessif par le cantonnement de l'intervention du juge aux seules situations à risques, la confiance aux familles redevenant la règle ».
L'objectif réel est celui de réduire les recours devant le juge pour désengorger les tribunaux. L'intérêt de l'enfant est ainsi mis à l'écart puisque celui-ci va pâtir d'un contrôle amoindri et a posteriori. Le juge risque d’intervenir trop tardivement en cas de mauvaise gestion du ou des parents.

Une restructuration des règles de l'administration légale a eu lieu dans le code civil.
Dans le titre IX, le chapitre II "De l'autorité parentale relativement aux biens de l'enfant" est composé de trois nouvelles sections, qui sont respectivement "De l'administration légale", "De la jouissance légale" et "De l'intervention du juge des tutelles".
Le titre X du livre 1er a été refondu, son nouvel intitulé est "de la minorité, de la tutelle et de l'émancipation", il contient trois chapitres. Auparavant, le titre ne mentionnait pas "de la tutelle".
Dans le premier chapitre consacré à la minorité, la section 1 "de l'administration légale" a été supprimée puisque celle-ci érigeait l'administration légale pure et simple et l'administration légale sous contrôle judiciaire en principe. La section 2 "De la tutelle" a aussi disparu car ce sujet fait l'objet du nouveau chapitre II "De la tutelle". 

liens utiles :

Une mère voilée peut elle participer à une sortie scolaire ?
Jugement n°1305386 du Tribunal Administratif de Nice du 9 juin 2015

A l’origine de cette affaire, une mère d’élève, s’était portée volontaire pour accompagner une sortie scolaire de son enfant, élève en cours élémentaire deuxième année à l’école élémentaire Jules Ferry de Nice, organisée le 6 janvier 2014. Elle avait toutefois demandé à l’administration de l’école élémentaire la possibilité de conserver son voile islamique. Il lui a été répondu : « nous n’avons malheureusement plus le droit d’être accompagnés par les mamans voilées. Vous ne pourrez nous accompagner que si vous l’enlevez ».

Mme D. a alors demandé au tribunal administratif l’annulation de cette décision de refus.

Elle soutenait que cette décision n’était pas motivée, qu’elle méconnaissait le principe d’égalité et qu’aucun texte n’interdisait aux parents accompagnant une sortie scolaire d’exprimer de façon passive leurs croyances religieuses.

La question qui se pose ici est de savoir si l’interdiction à une mère voilée d’accompagner une sortie scolaire est légale ?

Saisi de cette affaire, le tribunal administratif de Nice censure la décision de refus en considérant que celle-ci ne s’appuyait sur aucune disposition légale ou réglementaire précise, ne se prévalait pas non plus de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service . Le tribunal administratif de Nice  précise que « les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l’éducation. Par suite, les restrictions de la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ». Le tribunal en a déduit que la décision attaquée était entachée d’une erreur de droit qui la rend illégale.

Portée de la décision

La décision du tribunal administratif de Nice a le mérite de rappeler que chaque interdiction faite à une mère d’élève doit être prise au cas par cas, au regard du bon fonctionnement du service public (qui nécessite le concours des parents) et de l’ordre public (le port du voile pouvant provoquer des troubles).
La première décision rendue à ce sujet est celle du tribunal administratif de Montreuil en 2011 (22 nov. 2011, n° 1012015) qui avait, au contraire, décidé que les parents d’élèves participant volontairement aux activités du service public d’éducation devaient respecter, dans leur tenue comme dans leurs propos, le principe de laïcité. Le tribunal avait ainsi considéré que le règlement intérieur d’une école élémentaire pouvait imposer aux parents accompagnant les sorties scolaires de respecter les règles de laïcité. En effet, selon le juge, il résultait des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’appliquaient à l’ensemble de ceux-ci. Ainsi, les parents d’élèves volontaires pour accompagner les sorties scolaires participaient, dans ce cadre, au service public de l’éducation. Si ces parents bénéficiaient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur leur religion ou sur leurs opinions, le principe de neutralité de l’école laïque faisait obstacle à ce qu’ils manifestent, dans le cadre de l’accompagnement d‘une sortie scolaire, par leur tenue ou par leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques.
 
Cependant entre ces deux décisions, a notamment été rendu un avis du Conseil d’Etat sur lequel s’appuie la décision du tribunal administratif de Nice.
Dans cet avis du 23 décembre 2013 (non publié), le Conseil d’Etat précise que les parents accompagnateurs de sorties scolaires ne sont ni des agents ni des collaborateurs du service public mais des usagers du service public qui ne doivent pas se soumettre au principe de neutralité religieuse. Par conséquent, les mères voilées accompagnant des sorties scolaires ne sont pas soumises, en principe, à la neutralité religieuse.
Ainsi dans son jugement, le tribunal administratif de Nice a suivi l’avis du Conseil d’Etat en considérant à son tour les parents accompagnateurs comme des usagers du service public.

MKD
 

jeudi 25 février 2016



Travail du dimanche et compensation de salaire

Cour de cassation, Arrêt n°4291 de la Chambre criminelle du 22 septembre 2015
Cassation partielle

Selon l’article L. 3132-27 du code du travail, les salariés des établissements de commerce de détail, qui sont privés du repos dominical par suite dune autorisation d’ouverture exceptionnelle le dimanche, délivrée en application de l’article L. 3132-26 du même code, doivent bénéficier, d’une part, d’une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente, d’autre part, d’un repos compensateur équivalent en temps ; que le bénéfice de cette double contrepartie est indépendant de la rémunération mensuelle normalement versée aux intéressés.
En l’espèce, sur autorisation du maire, la société Celio France a ouvert le dimanche 4 juillet 2010 deux établissements aux enseignes Celio et Celio club. Neuf salariés employés en qualité de vendeurs ont travaillé ce jour-là. En contrepartie, ils ont bénéficié d’un repos compensateur le 14 juillet 2010, et perçu une rémunération calculée selon le taux horaire majoré de 50%.

La société a cependant fait l’objet de contrôle de l’inspection du travail donnant lieu à des procès-verbaux d’infraction, puis a été citée devant le tribunal de police du chef d’emploi dérogatoire non conforme de salariés le dimanche. L’inspecteur du travail avait notamment relevé que ce mode de rémunération n’était pas conforme aux prescriptions de l’article L.3132-27 du code du travail.

La prévenue est relaxée en première instance, un appel est alors interjeté par le ministère public.

Saisie de cette affaire, la Cour d’appel de Paris confirme le premier jugement dans un arrêt du 19 mars 2013. Les juges de la Cour d’appel  considèrent que le repos compensateur équivalent en temps, ainsi que la rémunération des heures travaillées ce dimanche une première fois à 100% au titre du salaire de base mensualisé, puis une seconde fois à 150% au titre de la majoration portée sur les fiches de paie, soit globalement à hauteur de 250%, correspondant bien à plus du double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

Un pourvoi est alors formé contre cette décision.

La question qui se pose ici est de savoir quelles sont les modalités de compensation du travail du dimanche en application de l’article L. 3132-27 du code du travail ?

Dans son arrêt rendu le 22 septembre 2015, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel  de Paris. La haute juridiction estime que les juges ne pouvaient faire dépendre la rémunération du travail accompli dans le cadre d’une dérogation au repos dominical de celle, mensualisée, normalement versée aux salariés. La Cour pose le principe selon lequel le bénéfice de la double contrepartie est indépendant de la rémunération mensuelle versée aux intéressés.

Portée de la décision

Par cet arrêt de cassation partielle, la Cour de cassation précise les modalités de calcul de la contrepartie salariale en cas de travail du dimanche sur autorisation du maire.
La majoration au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente ne doit pas être rapportée au salaire mensualisé mais bien à la durée effective du travail accompli le dimanche. Les heures ainsi effectuées sont à distinguer de la mensualisation pour le calcul de la majoration.
Pour ce qui concerne l’évolution jurisprudentielle, il se trouve que c’est pour la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la question afin de préciser juste après la publication de la loi Macron du 6 août 2015, les modalités de calcul de la contrepartie salariale en cas de travail du dimanche sur autorisation du maire.

MKD
 
 
 
 
 
 
 

Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 sur le renseignement
entrée en vigueur le 3 octobre 2015

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement (JORF n°0171 du 26 juillet 2015, p. 12735) est l’un des textes les plus importants et des plus controversés publié cet été, car touchant au plus près les problématiques du droit au respect de la vie privée. Les dispositions de la loi ont été intégrées pour l’essentiel dans le code de la sécurité intérieur aux articles L 801-1 et suivants. Dès l'exposé des motifs de la loi, le ton est donné : il s'agit « de connaître et de prévenir les risques et les menaces pesant sur la France et  sa population » au moyen d'un outil, redoutable objet de cette loi : le renseignement.

 
L’adoption

La loi sur le renseignement a été ébauchée durant deux ans au sein de la Commission des lois par son président, le député Jean-Jacques Urvoas (PS). En mars 2015, elle prenait finalement la forme d’un projet de loi, porté par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, celui de la Défense, Jean-Yves Le Drian, et la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Le texte définitif du projet de loi a été adopté le 24 juin 2015. Le contexte, les attentats contre Charlie Hebdo, avait évidemment précipité l’agenda, au point que l’exécutif avait décidé d’enclencher la procédure accélérée.

Par ailleurs Jean- Jacques Urvoas est devenu  depuis le 27 janvier 2016 ministre de l’intérieur, garde des Sceaux en remplacement de Christiane Taubira suite à  la démission de cette dernière.

 
Le contenu

L’objectif de cette loi  est de définir un cadre légal précis autorisant les services de renseignement à recourir à des techniques d’accès à l’information, notamment aux moyens d’interception de sécurité, d’accès aux données de connexion, de balisage de véhicules ou d’objets, de sonorisation ou captation d’images dans des lieux privés ou encore de captation de données informatiques tout en garantissant le droit au respect de la vie privée. Les moyens de contrôle des communications des détenus dont dispose l’administration pénitentiaire sont renforcés.

Un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes est également créé dont l’objet est de prévenir le renouvellement des infractions de terrorisme ou liées à l’interdiction de sortie du territoire et de faciliter l’identification de leurs auteurs.

Ainsi, dès le premier article du texte, il est rappelé que : «  le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles ou l’inviolabilité du domicile, est garanti par la loi ». L’emploi des techniques de renseignement devront respecter le principe de proportionnalité.

Par ailleurs, les techniques de renseignement ne peuvent être mises en œuvre que pour la défense et la promotion des intérêts fondamentaux  de la nation définis tels que par exemple l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, la défense des intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France la prévention du terrorisme ou la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées, la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique, la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

L’ensemble de ces mesures de police administrative relève de la compétence exclusive de l’Etat. L’autorisation de mise en œuvre des techniques est délivrée par le Premier ministre pour une durée maximale de quatre mois après préavis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sauf en cas d’urgence absolue.

Au titre des garanties prévues, des dispositions précisent la durée de conservation des renseignements collectés et un double contrôle est exercé par une autorité extérieure indépendante à savoir la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et par le Conseil d’Etat.


La commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR)

Cette autorité administrative indépendante est chargée de veiller à ce que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le territoire national conformément à la loi.

Elle est composée de neuf membres :

- deux députés et deux sénateurs (désignés, respectivement, pour la durée de la législature par l’Assemblée nationale et pour la durée de leur mandat par le Sénat) ;

- deux membres du Conseil d’Etat, nommés par le vice-président du Conseil d’Etat ;

- deux magistrats hors hiérarchie de la Cour de Cassation, nommés conjointement par le premier président et par le procureur général de la Cour de Cassation ;

- une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, nommée sur proposition du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Le président de la commission est nommé par décret du Président de la République parmi les membres du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation.

Le mandat des membres, à l’exception des parlementaires, est de six ans. Il n’est pas renouvelable.


Décision du Conseil Constitutionnel

Saisi de trois recours dont un recours du Président de la République, le Conseil Constitutionnel  a jugé la loi conforme à la Constitution en date du 23 juillet 2015 à l’exception de trois dispositions : la surveillance internationale, l’urgence opérationnelle et les lois de finances.

L’article sur la surveillance internationale visait à permettre au Premier Ministre d’autoriser les services à recourir à une surveillance internationale, sans l’avis préalable de la CNCTR. Celle-ci n’intervenait qu’a posteriori et donc après d’éventuels dommages sur la vie privée des surveillés. En effet, selon le Conseil : « le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques ».

L’article sur l’urgence opérationnelle avait pour but de permettre aux services de recueillir des renseignements, en évinçant à la fois l’avis de la CNCTR et l’autorisation du Premier Ministre. Selon le Conseil constitutionnel, cet article porte une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.

Il a par ailleurs censuré une troisième disposition relative au financement de la CNCTR qui relève de la loi de finances, loi qui détermine, pour un exercice (une année civile), la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte.


Entrée en vigueur

Francis Delon ayant été officiellement désigné le 2 octobre 2015 au Journal Officiel comme le premier président de la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNTCR), la loi est entrée en vigueur le 3 octobre 2015. C’est depuis cette date que les services de renseignement français peuvent en toute légalité demander au Premier ministre l’autorisation de mettre en œuvre des dispositifs de géolocalisation, des IMSI catchers, des micros, des caméras, des spywares, des collectes de données sur les réseaux téléphoniques, et autres boîtes noires riches en algorithmes de détection de terroristes potentiels.

 
Conclusion 

A peine entrée en vigueur,  de nombreux recours contre la loi sur le renseignement ont déjà été portés devant la CEDH. L’association de la presse judiciaire, le barreau de Paris et le Conseil national des barreaux ont déposé plusieurs recours devant la CEDH le 3 octobre dernier. Avocats et journalistes dénoncent les atteintes aux libertés contenues dans la loi et en particulier la mise en danger du secret attaché à chacune de leur profession. La cour examinera la recevabilité de la requête dans les six à douze mois, une éventuelle décision n’est pas attendue avant trois ans.

 
MKD

mardi 23 février 2016

Les assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence


Conseil d’État 11 décembre 2015
n°395009, n°394990, n°394992, n°394993, n°394989, n°394991 et n°395002





L'état d'urgence a été déclaré, après les attentats qui ont frappé la ville de Paris, par un décret du 14 novembre 2015 pris en conseil des ministres, conformément aux articles 1 et 2 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence. Un second décret du même jour dispose que les mesures d'assignation à résidence prévues à l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 peuvent être mises en œuvre sur l'ensemble du territoire métropolitain. Puis la loi du 20 novembre 2015 est intervenue afin de proroger l'état d'urgence pour une durée de 3 mois. Cette dernière modifie certaines dispositions de la loi du 3 avril 1955 et notamment l'article 6. Celui-ci prévoit la possibilité pour le ministre de l'Intérieur de prononcer l'assignation à résidence de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement présente une menace pour la sécurité et l'ordre public. Le Conseil d’État a été saisi de sept recours en référé-liberté dirigés contre des mesures d'assignation à résidence prises sur le fondement de cet article.



Sept militants écologistes ont été assignés à résidence, respectivement sur la commune d'Ivry-sur-Seine, de Rennes et de Malakoff, jusqu'au 12 décembre 2015, par les arrêtés du 24 et 25 novembre 2015 rendus par le ministre de l'Intérieur. Ces arrêtés mentionnent les modalités d'exécution de l'assignation à résidence et notamment l'obligation de se présenter trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police de la commune concernée, tous les jours de la semaine et de demeurer, tous les jours entre 20h et 6h, dans les locaux où ils résident, et la possibilité de déplacement en dehors de ces lieux d'assignation qu'avec l'autorisation écrite du préfet.

Chaque militant a saisi le juge du tribunal administratif territorialement compétent sur le fondement de l'article L521-2 du code de justice administrative (CJA), c'est-à-dire dans le cadre de la procédure du référé-liberté. Ils demandent la suspension de l'exécution de l'arrêté pris à leur encontre arguant une atteinte injustifiée à leur liberté d'aller et venir, au droit de mener une vie familiale normale et à la liberté de réunion et de manifestation.



La loi du 30 juin 2000 a crée le référé-liberté, qui lorsque sont en cause des libertés publiques ou individuelles, doit être jugé dans les 48 heures. Il faut pour cela qu'il y ait une urgence particulière s'appréciant par rapport aux droits et intérêts du requérant et aux nécessités de l'intérêt général. Il faut ensuite qu'il y ait une atteinte à une liberté fondamentale, dont la liberté d'aller et venir et le droit de mener une vie familiale et normale font parties. Enfin, il faut que l'administration ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté en cause. Si les trois conditions sont réunies, le juge des référé-liberté peut prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de la liberté atteinte.



Par une ordonnance du 28 novembre 2015, du 30 novembre 2015 et du 3 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et du tribunal administratif de Rennes ont rejeté la demande des requérants, soit après audience, pour absence d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, soit sur le fondement de l'article L522-3 considérant que la condition d'urgence exigée faisait défaut et recourant à la technique dite des « ordonnances de tri » permettant de rejeter sans audience publique ni contradictoire les recours en référé qui, notamment, ne présentent de manière évidente aucun caractère d’urgence.

Les six militants forment un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. L’utilisation de la procédure de l'article L522-3 ferme la voie de l’appel devant le Conseil d’État, seul un pourvoi en cassation peut alors être formé. Le septième militant fait appel de cette décision. En matière de référé, l'appel est formé devant le Conseil d’État. Les requérants demandent l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif et que le Conseil d’État statuant en référé fasse droit à leur demande.

Le Conseil d’État dans sa formation contentieuse, le 11 décembre 2015, annule l'ordonnance du juge des référés de chaque tribunal administratif et rejette la demande de suspension de l'arrêté du ministre de l'Intérieur dont les requérants font l'objet.



Le Conseil d’État devait se prononcer sur le point de savoir si la décision d'assignation à résidence du ministre de l'Intérieur justifiait le recours au référé-liberté et si celle-ci portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir.



Le Conseil d’État se prononce en premier lieu sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dans son arrêt n°395009. En effet, les requérants soulèvent la question devant le Conseil d’État de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955. L'article 61-1 de la Constitution crée le contrôle a posteriori de constitutionnalité. Il prévoit que lorsqu'une question sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que garantit la Constitution est soulevée par un justiciable, au cours d'une instance devant une juridiction, celle-ci doit être renvoyée au Conseil Constitutionnel. L'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dispose qu'un moyen fondé sur ce sujet peut être soulevé au cours d'une instance devant le Conseil d’État. Ce dernier, dans son arrêt, détaille l’office du juge du référé-liberté lorsqu’il est saisi d’une telle QPC. Le juge des référés n'est pas obligé d'examiner la QPC, il lui est possible de rejeter la requête pour incompétence, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas la requête, il relève de l'office du juge des référés d'examiner une QPC. Enfin, en cas de renvoi au Conseil d’État ou au Conseil Constitutionnel le juge des référés peut prendre des mesures provisoires ou conservatoires, telle que la suspension de la décision prononçant l'assignation à résidence, en attendant le résultat de la QPC. Ainsi en l'espèce, le Conseil d’État constate que le requérant peut soulever la QPC devant le juge administratif des référés. Avant tout renvoi, les juridictions suprêmes, à savoir le Conseil d’État ou la Cour de cassation, doivent vérifier plusieurs conditions. Il faut que la disposition soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et que la question soit nouvelle ou sérieuse. Le Conseil d’État, en l'espèce, estime que les dispositions litigieuses sont applicables au litige, l'arrêté du ministre de l'Intérieur ayant été pris sur ce fondement, qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, et enfin que la question présente un caractère sérieux, le requérant faisant valoir qu'elles portent atteinte à plusieurs libertés, qu'elles sont entachées d'incompétence négative et qu'elles méconnaissent l'article 66 de la Constitution. La Haute Juridiction, après avoir vérifié que les trois conditions étaient bien remplies, renvoie la QPC au Conseil Constitutionnel. Mais en l’espèce, les requêtes étant multiples, le Conseil d’État ne renvoie qu’une seule question et non pas sept. De plus, il précise que le seul fait que soit invoquée une atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution ne conduit pas automatiquement le juge des référés à en déduire l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.



Puis la Haute Juridiction se fonde sur l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 pour statuer sur la demande des requérants. En effet, cet article prévoit que le juge des référés saisi d'une QPC peut statuer sans attendre la réponse du Conseil Constitutionnel et prendre des mesures provisoires ou conservatoires nécessaires en raison de l'urgence et du bref délai qui lui est imparti.

Le Conseil d’État se prononce sur le recours en référé-liberté. Pour obtenir satisfaction le requérant doit justifier tout d'abord d'une situation d'urgence. La Haute Juridiction considère qu'une mesure d'assignation à résidence prononcée sur le fondement de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 restreint la liberté d'aller et venir, porte une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne et crée une situation d'urgence justifiant la saisine du juge administratif du référé-liberté. Il en irait autrement si l'administration faisait valoir des circonstances particulières. En l'espèce, la juridiction suprême estime qu'au regard des éléments avancés par les demandeurs et qu'aucune circonstance particulière n'ayant été avancée par le ministre de l'Intérieur, l'assignation à résidence justifie en principe que le juge des référés se prononce en urgence, dans le cadre de la procédure de référé-liberté. Par conséquent, le Conseil d’État annule les sept ordonnances des tribunaux administratifs, l'appréciation des juges étant entachée d'une erreur de droit. Le Conseil d’État pose ainsi le principe d'une présomption d'urgence en matière de procédure de référé-liberté contre les mesures prises sur le fondement de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955. Une mesure restreignant une liberté fondamentale prise dans le cadre de l'état d'urgence fait naître par nature une situation d'urgence et exige l'intervention d'un contrôle rapide et effectif de la part du juge administratif. La reconnaissance d'une telle présomption permet de garantir l'examen sur le fond des mesures d'assignation à résidence par le juge administratif, le requérant n'ayant pas à rapporter la preuve de la gravité des conséquences de son assignation à résidence.

Une fois la situation d'urgence reconnue, le Conseil d’État se penche sur l'existence de la condition d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il estime que les effets et l'objet de la décision du ministre de l'Intérieur prononçant l'assignation à résidence des requérants restreignent la liberté d'aller et venir, liberté qu'il a élevée au rang de liberté fondamentale dans son arrêt du 9 janvier 2001 Deperthes. Il énonce que ladite décision ne peut être contestée sur le fondement de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conv.EDH). L'article est relatif au droit à la liberté et à la sûreté et prévoit qu'aucune personne ne peut être privée de sa liberté sauf dans certains cas de détention énumérés. Mais la Haute Juridiction juge que la décision d’assignation à résidence, par sa durée et ses modalités d'exécution, ne constitue pas une mesure privative de liberté au sens de l'article 5 de la conv.EDH mais une simple mesure restrictive de liberté. Elle écarte également la contestation de la décision fondée sur le protocole n°4 additionnel à la conv.EDH en déclarant que la restriction à la liberté d'aller et venir, par la décision d'assignation à résidence, dans le cadre de l'état d'urgence, était compatible au protocole n°4 additionnel. Celui-ci autorise les mesures restreignant la liberté de circulation nécessaires à la sécurité nationale, à la sûreté publique et au maintien de l'ordre public. Le Conseil d’État va ensuite rechercher si le ministre de l'Intérieur a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d'aller et venir, dans son appréciation de la menace et dans la détermination des modalités d'exécution de la mesure, et s'il y a lieu dans ce cas de prendre toute mesure pour mettre fin à cette illégalité manifeste. Il reconnaît que la décision restreint la liberté d'aller et venir mais estime qu'elle n'en est pas pour autant privative de liberté. Il va alors vérifier que la conciliation opérée par le ministre de l'Intérieur entre la sauvegarde de l'ordre public et le respect des libertés ne l'a pas conduit à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir. La Haute Juridiction relève que le ministre de l'Intérieur s'est fondé pour prendre ses décisions sur la menace terroriste qui pèse sur le territoire français et sur la nécessité de prendre des mesures afin d'assurer la sécurité des représentants, des chefs d’États et de gouvernements étrangers lors de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, dite COP21. Le ministre de l'Intérieur avance également que les forces de l'ordre déjà mobilisées pour prévenir toute menace terroriste, ne pouvaient être détournées de leur mission pour répondre aux risques d'ordre public liés aux actions des militants écologistes. Le Conseil d’État utilise les « notes blanches » remises par le ministre de l'Intérieur et confirme leur validité. Ce mode de preuve établit des faits rapportés par la seule administration, de manière nécessairement non-contradictoire. Il constate que les militants, contre lesquels ont été pris les arrêtés, ont déjà participé à la préparation d'action de contestation et d'opposition à la tenue de la COP21, à des actions revendicatives violentes, fait l'objet d'interpellation et de poursuites pour dégradation et résistance à officier public ou de perquisitions ayant abouti à la découverte de matériels pouvant être utilisés lors de manifestations violentes. L'article 6 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi du 20 novembre 2015, fonde le pouvoir d'assignation à résidence du ministre de l'Intérieur. Le Conseil d’État déclare que les dispositions de l'article 6 ne font pas de lien entre, la nature de péril imminent et la calamité publique ayant conduit à l'état d'urgence, et la nature de la menace pour la sécurité et l'ordre public. Il opère une distinction entre le fondement de la déclaration de l’état d’urgence et les motifs pour lesquels peuvent intervenir des assignations à résidence. Ainsi le ministre de l'Intérieur peut prononcer une assignation à résidence à l'encontre d'une personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence fondée sur d'autres motifs que ceux ayant conduit à déclarer l'état d'urgence, dès lors qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de cette personne constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. Le Conseil d’État reprend les termes de l'article 6 mais n'interprète pas la notion de « raisons sérieuses ». Il valide l’usage de l’assignation à résidence pour prévenir toute menace sérieuse à l’ordre public. Il considère que le ministre de l'Intérieur a concilié le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public. De ce fait, il n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir. Par conséquent, le Conseil d’État estime qu'il n'y a pas de raison d'ordonner des mesures de sauvegarde.





Depuis le Conseil Constitutionnel s'est prononcé sur la QPC renvoyée par le Conseil d’État. Dans sa décision n°2015-527 QPC du 22 décembre 2015, il déclare la conformité à la Constitution des neuf premiers alinéas de l'article 6 de la loi du 5 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015. Les requérants reprochaient notamment aux dispositions de l'article 6 de méconnaître les droits garantis par l'article 66 de la Constitution et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir. Le Conseil Constitutionnel estime que ledit article n'est pas contraire à l'article 66 qui prévoit que le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles. En effet, une mesure d'assignation à résidence prise dans le cadre de l'état d'urgence constitue une simple mesure restrictive de liberté et non une mesure privative de liberté. Par conséquent, l'intervention de l'autorité judiciaire n'est pas nécessaire. Le Conseil Constitutionnel énonce également que les dispositions contestées ne portent pas atteinte à la liberté d'aller et venir, garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en raison de l'encadrement dont fait l'objet le prononcé de l'assignation à résidence et du contrôle de proportionnalité effectué par le juge administratif.

C.C








dimanche 7 février 2016

Imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité et ordre public international (arrêt Cass. Civ. 1, 7 octobre 2015, n°14-14702)



            Depuis quelques années, le droit de la famille connaît de nombreux bouleversements avec des revirements de jurisprudence sous l’influence de la CEDH et plusieurs réformes comme la loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage aux personnes de même sexe. La filiation est également touchée par ces changements.

Par ailleurs, notre droit français est confronté à d’autres visions existant chez nos voisins européens. Les droits internes se contredisent parfois. Cette difficulté se pose en droit international, c’est-à-dire lorsqu’il existe un élément d’extranéité dans la situation donnée.

Le juge y est confronté, notamment en matière d’action en recherche de paternité. C’est l’action en justice par laquelle un enfant demande au tribunal de grande instance de proclamer son lien de filiation envers celui qu’il prétend être son père. Depuis l’ordonnance du 4 juillet 2005, cette action est soumise à un délai de  prescription plus court : il n’est plus trentenaire. En effet, l’article 321 du Code civil dispose que les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans. L’ordonnance de 2005 a été rédigée avec l’idée de stabiliser la filiation.  Le législateur français veut protéger les enfants et souhaite concilier le principe de stabilité de la filiation et le droit pour l’enfant de connaître ses origines. Il veut éviter qu’on puisse remettre en cause trop facilement un lien de filiation établi. Il souhaite sécuriser la filiation. Cependant, la prescription des actions relatives à la filiation n’est pas prévue dans tous les Etats. Certains, comme l’Allemagne considèrent que ces actions sont imprescriptibles. Cette différence de législation a posé problème.

La question de la compatibilité de la loi étrangère prévoyant l’imprescriptibilité des actions relatives à la filiation avec l’ordre public n’est pas nouvelle. La Cour de cassation s’est déjà prononcée sur cette question dans de vieux arrêts (Cass. Civ. 1, 13 novembre 1979, Weyrich-Laroche, n° 78-12634) dans lesquels elle estime qu’en matière de contestation de filiation, l’imprescriptibilité est contraire à l’ordre public international français. Parallèlement, elle considère que dans le cadre des actions en déclaration judicaire de paternité, les lois étrangères prévoyant l’imprescriptibilité ou des délais d’action plus longs que ceux prévus par la loi française ne sont pas contraires à l’ordre public international français (arrêt Cass. Civ 1, 10 mai 1960, Imbach, publication au bulletin n°247). On observe que la Cour de cassation fait une distinction selon le type d’action intentée par l’enfant : selon que c’est une action en contestation ou une action déclaratoire judiciaire de filiation (action en recherche de maternité ou de paternité). Mais, ces arrêts sont anciens et la législation française a évolué en matière d’actions concernant la filiation. En effet, ces arrêts ont été rendus avant la réforme de 2005. Il y avait donc un besoin de clarification de la jurisprudence par la Haute juridiction sur la compatibilité d’une loi étrangère avec l’ordre public international français, surtout que le contenu de l’ordre public international évolue avec le temps. Les valeurs essentielles pour la société française d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles d’il y a 30 ans.

La Cour de cassation a clarifié sa position dans un arrêt du 7 octobre 2015 rendu par la première chambre civile. En l’espèce, deux femmes sont nées en France d’une mère de nationalité allemande. Le 8 mars 2012, elles intentent, en qualité de demanderesses, une action en recherche de paternité contre les filles et la veuve de leur prétendu père ayant la qualité de défenderesses.

Le tribunal de grande instance déclare la loi allemande applicable à l’action et ordonne une expertise biologique.
Les défenderesses interjettent appel. Le 28 janvier 2014, la Cour d’appel de Paris rend un arrêt dans lequel elle déclare les pièces des intimées recevables et donne gain de cause à celles-ci en décidant d’établir un lien de filiation entre elles et l’homme qu’elles estimaient être leur père.

Un pourvoi en cassation est formé par les filles et la veuve de l’homme déclaré comme étant le père des deux femmes ayant intenté l’action en recherche de paternité. Ce pourvoi est composé de deux moyens. Ces dernières ont la qualité de défenderesses.
D’une part, les demanderesses reprochent aux juges du fond d’avoir considéré les pièces des adversaires comme recevables ; alors qu’elles n’ont pas été communiquées avec les conclusions. Elles considèrent donc que les articles 906, 15 et 16 du Code de procédure civile ont été violés par la Cour d’appel.
D’autre part, les demanderesses estiment que la loi prévoyant l’imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité est contraire à l’ordre public international français. Elles reprochent à la Cour d’appel d’avoir affirmé le contraire et que l’action était intentée dans le délai prévu à l’article 330 du Code civil. Or, elles relèvent que cet article concerne la possession d’état qui est une notion étrangère au droit civil allemand. Selon ces dernières, les juges du fond auraient dû se fonder sur l’article 321 du Code civil relatif à l’action en recherche de paternité. Donc, le motif de la Cour est inopérant et viole l’article 3 du Code civil.

La première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : Des pièces non communiquées lors de la notification des conclusions à la partie adverse peuvent-elles être ajoutées aux débats ? L’imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité prévue par la loi étrangère applicable en vertu de la règle de conflit est-elle contraire à l’ordre public international français ?

Le mercredi 7 octobre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet condamnant aux dépens les demanderesses sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Premièrement, elle considère que les pièces litigieuses ont été communiquées en première instance, en appel et en temps utile. Donc, le premier moyen du pourvoi n’est pas fondé.
Deuxièmement, la Haute juridiction estime que la loi applicable à l’action est la loi allemande en vertu de la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil, ce qui implique qu’il faut appliquer l’article 600d du Code civil allemand prévoyant l’imprescriptibilité de l’action en contestation judiciaire de paternité. Cette différence entre les deux droits ne caractérise pas une contrariété avec l’ordre public international français permettant d’écarter la loi allemande. Donc, la Cour rejette le second moyen en considérant que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Ainsi, cet arrêt apporte une clarification quant à la compatibilité de la loi allemande avec l’ordre public international français sur le délai d’action pour agir en recherche de paternité. Mais, il confirme que l’action en recherche de paternité est régie  par la loi désignée par l’article 311-14 du Code civil et donc qu’on lui applique le délai d’action prévu par cette même loi.

En effet, l’article 311-14 du Code civil s’applique à tous les modes d’établissement de la filiation sauf si les articles 311-15 et 311-17 s’appliquent. Depuis longtemps, la jurisprudence a affirmé que l’action en recherche de paternité est soumise à l’article 311-14 (arrêt Cass. Civ. 1, 3 mars 1987, n°85-12693 ; arrêt Cass. Civ 1, 18 novembre 1992, n°90-15275). Donc, en l’espèce la loi allemande s’applique.
De plus, la Cour de cassation rappelle que le délai pour intenter une action en recherche de paternité est lié à la loi du fond, ce qui explique l’application de la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil. On ne se réfère donc  pas aux règles de procédure. Cette question a été tranchée par l’arrêt Imbach en affirmant que « le délai d’exercice d’une action en déclaration judiciaire de paternité, relié étroitement, en matière de filiation, au fond du droit, est, en conséquence, régi par la loi nationale du demandeur ». Ainsi, en l’espèce, la première chambre civile de la Cour de cassation applique la jurisprudence Imbach : les demanderesses sont de nationalité allemande en application de l’article 3 du Code civil donc la loi allemande s’applique au délai d’action. Le délai d’action est soumis à la même règle de fond que l’action elle-même.

Se pose alors la question de la conformité du droit allemand, prévoyant l’imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité, à l’ordre public international français. Dans l’arrêt de 2015, la Cour de cassation clarifie les choses : une loi étrangère ne soumettant l’exercice de l’action en constatation judiciaire de paternité à aucun délai de prescription n’est pas contraire à l’ordre public international français.

On peut expliquer cette solution par l’influence de la CEDH. En effet, le 16 juin 2011, la  CEDH a condamné la France car le droit français empêchait un homme de faire établir sa filiation avec son père biologique, ce qui viole l’article 8 de la CESDH relatif à la vie privée et familiale. Pour la CEDH, la prescription des actions en recherche de filiation est contraire au droit de connaître ses origines. Ainsi, par l’arrêt de 2015, la Cour de cassation se conforme à la jurisprudence de la CEDH.

E. L.

mercredi 3 février 2016


Mesure de rétorsion, licenciement et droit de grève

Arrêt numéro 14-20527, de la chambre sociale de la Cour de Cassation, rendu le 25 novembre 2015. Il s’agit d’un arrêt de cassation.

I-                   Les faits

Dans cette affaire, il s’agit d’un chauffeur poids lourd, engagé en tant que tel dans une société en 2003. Les 23 et 24 juillet 2008 il use de son droit de grève. Environ deux mois après, il est retiré de la tournée supplémentaire du samedi qu’il effectuait, ce qui lui occasionne une perte de rémunération importante. S’en suit une altercation entre le salarié et les salariés du planning, considérant qu’il s’agit d’une mesure de rétorsion contre lui en raison de sa participation au mouvement de grève. Suite à cette altercation, il a été licencié pour faute grave.

La Cour d’Appel de Paris ordonne le 18 septembre 2012 la réintégration du salarié dans son emploi et renvoie les parties à calculer le montant du préjudice financier subi par le salarié depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration le 30 octobre 2012.

I-                   Question de droit

Un licenciement faisant suite à une mesure de rétorsion prise pour usage du droit de grève est il légitime ?

II-                 La solution

Les juges relèvent que la suppression de la tournée du samedi est une sanction résultant de la simple participation du salarié à un mouvement de grève. Cette sanction est une mesure discriminatoire.

En effet, le droit de grève étant un droit fondamental, un licenciement résultant de l’exercice de ce droit est par conséquent nul.

La Cour de Cassation dans cette affaire applique les conséquences de cette nullité : le salarié doit être réintégré dans l’entreprise et il a droit à une indemnité correspondant au salaire qu’il aurait perçu entre son éviction et sa réintégration effective.

Cette solution appelle 2 observations 

D’une part une interdiction est faite à l’employeur de licencier un salarié ayant participé à un mouvement de grève.

Les salariés ont un droit personnel à la grève, qui est prévu dans la Constitution ainsi que dans le code du travail. Le droit de grève est une cessation collective et concertée du travail par les salariés visant à appuyer des revendications professionnelles.

La Cour rappelle ici qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de l’exercice normal du droit de grève. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.

Tout licenciement d’un salarié gréviste sauf faute lourde est nul de plein droit.

La faute lourde est une faute commise dans l’intention de nuire à l’employeur ou de désorganiser l’entreprise. Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve d’une faute lourde.

D’autre part, les conséquences d’un licenciement nul sont la réintégration dans l’entreprise du salarié et le droit à une indemnisation

La nullité du licenciement est prononcée par le juge lorsque le licenciement est illégal (les cas de nullité sont prévus par la loi) ou illicite si une liberté fondamentale est violée.

Dans cette affaire c’est le droit fondamental de faire grève qui est violé, par conséquent, le licenciement est nul.

Cela implique que le contrat de travail s’est poursuivi , et par conséquent cela donne lieu à une indemnisation réparant l’intégralité du préjudice subi, le salarié a droit a une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait du percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration et si le salarié le souhaite, sa réintégration dans l’entreprise. Cette réintégration ne peut être prononcée qu’à la demande du salarié (Cass.soc. 4 fev 2014 n° 11-27134) et cette réintégration  est ordonnée par les juges, bien qu’elle ne soit pas explicitement prévue par le code du travail (Cass.soc. 30 avril 2003 n° 00-44811).

Si le salarié ne demande pas sa réintégration, ou si elle est impossible, il a le droit aux indemnités de rupture et à une indemnité égale au moins à 6 mois de salaire.
 
C.T