En droit anglais, la victime d’un
dommage a l’obligation de minimiser son préjudice (la mitigation). Cette obligation n’existe pas en droit français où
le principe fondamental est le principe de réparation intégrale qui permet à la
victime d’être indemnisée du préjudice qu’elle a subi de façon à être dans la
situation dans laquelle elle aurait été si le dommage ne s’était pas produit.
Dans un premier temps,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans deux arrêts du 19 juin
2003, montre son hostilité à admettre l’obligation de minimisation du dommage
par la victime en affirmant que « l’auteur de l’accident doit réparer
toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de
limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». En l’espèce, la
victime avait subi un préjudice corporel suite à un accident de la circulation.
Puis, la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation, dans un arrêt en date du 24 novembre 2011, semble revenir sur sa
position. Elle indique que la cour d’appel aurait dû relever que la victime
avait commis une faute aggravant son préjudice (matériel en l’espèce). Elle
admet alors implicitement la minimisation pour le préjudice matériel. S’est
alors posée la question de savoir si cette
solution était transposable au préjudice corporel. Mais, comment une victime
ayant subi un préjudice corporel pourrait le minimiser ? En suivant des
traitements sachant que le refus de se soigner est un droit ( arrêt Cass. Civ.
2, 19 mars 1997) ? D’ailleurs, les projets Catala et Terré prévoient le
devoir de minimisation de la victime sauf pour le préjudice corporel. La Haute
juridiction ne s’est pas encore exprimée en faveur de la minimisation du
préjudice corporel.
La Cour de cassation
s’est de nouveau prononcée sur la minimisation du dommage dans un arrêt de la
première chambre civile rendu le 2 juillet 2014 où il était question de
l’indemnisation d’un préjudice matériel. Elle revient sur la position qu’elle
avait adoptée en 2011 : « en vertu de l'article 1382 du code civil,
l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime
n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ».
La Cour de cassation semble donc hésitante sur la question de la minimisation
du dommage par la victime.
En définitive, la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation n’a pas maintenu cette tendance à
admettre la minimisation du dommage, bien au contraire. En effet, dans un arrêt
du 26 mars 2015, la Haute juridiction revient à sa position initiale.
En l’espèce, le 23
octobre 2004, une personne est victime d’un accident de la circulation qui
entraine des séquelles empêchant la victime de continuer à exercer sa
profession.
La victime, en qualité
de demanderesse, réclame l’indemnisation de ses préjudices (préjudices corporel
et moral) à l’assureur du véhicule impliqué, à la caisse primaire d’assurance
maladie de Pau, à la mutuelle et à une association qui ont la qualité de
défendeur.
Le 4 septembre 2013,
la Cour d’appel de Poitiers rend un arrêt dans lequel elle condamne l’assureur
à payer à la victime les sommes de 5 263,81€ au titre de la perte de gains
professionnels actuels et 175 898,39€ au titre de la perte de gains
professionnels futurs. En effet, elle considère, d’une part, que pour établir
la perte des gains professionnels, elle déduit les allocations d’aide au retour
à l’emploi perçues par la victime. D’autre part, elle divise par deux la somme
destinée à compenser la perte de gains professionnels futurs car la victime a
refusé un poste adapté à ses capacités proposé par son employeur. Pour les
juges du fond, l’accident ne justifie qu’à 50% l’impossibilité de retrouver un emploi.
Un pourvoi en
cassation est formé par la victime qui a la qualité de demanderesse. Il est
composé de deux moyens. L’assureur a la qualité de défendeur.
Premièrement, la victime
affirme que seules les prestations versées par des tiers payeurs ouvrant à
ceux-ci un recours subrogatoire contre le responsable du dommage peuvent être
imputées sur l’indemnité de la victime. Or, l’indemnité versée par l’ASSEDIC
n’a pas de caractère indemnitaire donc il n’y a pas de recours subrogatoire
pour le tiers payeur ; en conséquence l’allocation d’aide au retour à
l’emploi ne peut être déduite de l’indemnité. La cour d’appel a ainsi violé les
articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985 et l’article 1382 du Code civil en considérant
que l’allocation était un substitut de salaire et en limitant l’indemnisation
de ce poste de préjudice.
Secondement, selon
l’expert, la victime ne peut plus exercer la profession de cuisinier mais peut
obtenir un emploi adapté à ses capacités grâce à un reclassement. L’employeur
de la victime a proposé un autre poste à la victime qui l’a refusé. Elle a donc
été licenciée pour inaptitude. La cour a divisé par deux l’indemnité de la
victime car elle a refusé cet autre poste. Or, d’après la victime, seule la
faute de la victime est une cause d’exonération de la responsabilité de
l’auteur du dommage et la victime n’a pas le devoir de minimiser son dommage.
La cour a donc violé l’article 1382 du Code civil et le principe de réparation
intégrale.
La deuxième chambre
civile de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes :
l’allocation d’aide au retour à l’emploi peut-elle être imputée sur l’indemnité
versée à la victime pour réparer son préjudice corporel? La victime d’un
dommage doit-elle minimiser son dommage ?
Le jeudi 26 mars
2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rend un arrêt de cassation partielle. Elle
casse l’arrêt de la cour d’appel seulement sur la condamnation de
l’assureur à payer 5 263,81€ pour
la perte de gains professionnels et 175 898,39€ pour la perte des gains
professionnels futurs et condamne l’assureur aux dépens sur le fondement de
l’article 700 du Code de procédure civile. Elle renvoie l’affaire devant la cour
d’appel de Bordeaux.
D’une part, elle
estime sur le fondement des articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985, que
l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ne peut
être imputée seulement des prestations payées par des tiers payeurs qui ont un
recours subrogatoire contre l’auteur du dommage. La cour d’appel a violé l’article 29 de la loi de 1985 car les
allocations d’aide au retour à l’emploi n’y sont pas citées donc n’accordent
pas de recours subrogatoire contre le responsable.
D’autre part, la Haute
juridiction, au visa de l’article 1382 du Code civil, considère que l’auteur de
l’accident a l’obligation de réparer l’intégralité du dommage. La victime n’a
pas à limiter son préjudice dans l’intérêt de celui-ci. La cour d’appel a violé
également l’article susvisé en réduisant l’indemnité pour la perte des gains professionnels futurs
au seul motif que la victime a refusé le
poste proposé par son employeur.
Ainsi, la Cour de
cassation revient à sa position de 2003. Elle refuse d’admettre la minimisation
du dommage pour le préjudice corporel et
pour le préjudice matériel (arrêt Cass. Civ 1, 2 juillet 2014). Elle a une
solution protectrice des victimes. L’arrêt de 2011 n’a pas fait naître une
nouvelle jurisprudence constante consacrant la minimisation du dommage. La mitigation n’existe toujours pas en
France car on reste très attaché au principe de réparation intégrale qui est un
pilier de notre droit de la responsabilité. En admettant l’obligation de
minimisation du dommage par la victime, cela reviendrait à responsabiliser les
victimes mais risquerait de les priver parfois d’indemnité.
Le dernier projet d’Ordonnance
de la Chancellerie ne prévoit pas la consécration de la minimisation du
dommage.
E. L.
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