samedi 9 janvier 2016

Responsabilité civile : Le refus de la minimisation de son dommage par la victime (arrêt Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n°14-16011)



            En droit anglais, la victime d’un dommage a l’obligation de minimiser son préjudice (la mitigation). Cette obligation n’existe pas en droit français où le principe fondamental est le principe de réparation intégrale qui permet à la victime d’être indemnisée du préjudice qu’elle a subi de façon à être dans la situation dans laquelle elle aurait été si le dommage ne s’était pas produit.

Dans un premier temps, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans deux arrêts du 19 juin 2003, montre son hostilité à admettre l’obligation de minimisation du dommage par la victime en affirmant que « l’auteur de l’accident doit réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». En l’espèce, la victime avait subi un préjudice corporel suite à un accident de la circulation.

Puis,  la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 24 novembre 2011, semble revenir sur sa position. Elle indique que la cour d’appel aurait dû relever que la victime avait commis une faute aggravant son préjudice (matériel en l’espèce). Elle admet alors implicitement la minimisation pour le préjudice matériel. S’est alors posée la question de savoir si cette solution était transposable au préjudice corporel. Mais, comment une victime ayant subi un préjudice corporel pourrait le minimiser ? En suivant des traitements sachant que le refus de se soigner est un droit ( arrêt Cass. Civ. 2, 19 mars 1997) ? D’ailleurs, les projets Catala et Terré prévoient le devoir de minimisation de la victime sauf pour le préjudice corporel. La Haute juridiction ne s’est pas encore exprimée en faveur de la minimisation du préjudice corporel.

La Cour de cassation s’est de nouveau prononcée sur la minimisation du dommage dans un arrêt de la première chambre civile rendu le 2 juillet 2014 où il était question de l’indemnisation d’un préjudice matériel. Elle revient sur la position qu’elle avait adoptée en 2011 : « en vertu de l'article 1382 du code civil, l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ». La Cour de cassation semble donc hésitante sur la question de la minimisation du dommage par la victime.

En définitive, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas maintenu cette tendance à admettre la minimisation du dommage, bien au contraire. En effet, dans un arrêt du 26 mars 2015, la Haute juridiction revient à sa position initiale.

En l’espèce, le 23 octobre 2004, une personne est victime d’un accident de la circulation qui entraine des séquelles empêchant la victime de continuer à exercer sa profession.
La victime, en qualité de demanderesse, réclame l’indemnisation de ses préjudices (préjudices corporel et moral) à l’assureur du véhicule impliqué, à la caisse primaire d’assurance maladie de Pau, à la mutuelle et à une association qui ont la qualité de défendeur.

Le 4 septembre 2013, la Cour d’appel de Poitiers rend un arrêt dans lequel elle condamne l’assureur à payer à la victime les sommes de 5 263,81€ au titre de la perte de gains professionnels actuels et 175 898,39€ au titre de la perte de gains professionnels futurs. En effet, elle considère, d’une part, que pour établir la perte des gains professionnels, elle déduit les allocations d’aide au retour à l’emploi perçues par la victime. D’autre part, elle divise par deux la somme destinée à compenser la perte de gains professionnels futurs car la victime a refusé un poste adapté à ses capacités proposé par son employeur. Pour les juges du fond, l’accident ne justifie qu’à 50%  l’impossibilité de retrouver un emploi.

Un pourvoi en cassation est formé par la victime qui a la qualité de demanderesse. Il est composé de deux moyens. L’assureur a la qualité de défendeur.
Premièrement, la victime affirme que seules les prestations versées par des tiers payeurs ouvrant à ceux-ci un recours subrogatoire contre le responsable du dommage peuvent être imputées sur l’indemnité de la victime. Or, l’indemnité versée par l’ASSEDIC n’a pas de caractère indemnitaire donc il n’y a pas de recours subrogatoire pour le tiers payeur ; en conséquence l’allocation d’aide au retour à l’emploi ne peut être déduite de l’indemnité. La cour d’appel a ainsi violé les articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985 et  l’article 1382 du Code civil en considérant que l’allocation était un substitut de salaire et en limitant l’indemnisation de ce poste de préjudice.
Secondement, selon l’expert, la victime ne peut plus exercer la profession de cuisinier mais peut obtenir un emploi adapté à ses capacités grâce à un reclassement. L’employeur de la victime a proposé un autre poste à la victime qui l’a refusé. Elle a donc été licenciée pour inaptitude. La cour a divisé par deux l’indemnité de la victime car elle a refusé cet autre poste. Or, d’après la victime, seule la faute de la victime est une cause d’exonération de la responsabilité de l’auteur du dommage et la victime n’a pas le devoir de minimiser son dommage. La cour a donc violé l’article 1382 du Code civil et le principe de réparation intégrale.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : l’allocation d’aide au retour à l’emploi peut-elle être imputée sur l’indemnité versée à la victime pour réparer son préjudice corporel? La victime d’un dommage doit-elle minimiser son dommage ?

Le jeudi 26 mars 2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation  rend un arrêt de cassation partielle. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel seulement sur la condamnation de l’assureur  à payer 5 263,81€ pour la perte de gains professionnels et 175 898,39€ pour la perte des gains professionnels futurs et condamne l’assureur aux dépens sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Elle renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux.
D’une part, elle estime sur le fondement des articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985, que l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ne peut être imputée seulement des prestations payées par des tiers payeurs qui ont un recours subrogatoire contre l’auteur du dommage. La cour d’appel a  violé l’article 29 de la loi de 1985 car les allocations d’aide au retour à l’emploi n’y sont pas citées donc n’accordent pas de recours subrogatoire contre le responsable.
D’autre part, la Haute juridiction, au visa de l’article 1382 du Code civil, considère que l’auteur de l’accident a l’obligation de réparer l’intégralité du dommage. La victime n’a pas à limiter son préjudice dans l’intérêt de celui-ci. La cour d’appel a violé également l’article susvisé en réduisant l’indemnité  pour la perte des gains professionnels futurs au seul motif que la victime a refusé  le poste proposé par son employeur.

Ainsi, la Cour de cassation revient à sa position de 2003. Elle refuse d’admettre la minimisation du dommage pour le préjudice corporel  et pour le préjudice matériel (arrêt Cass. Civ 1, 2 juillet 2014). Elle a une solution protectrice des victimes. L’arrêt de 2011 n’a pas fait naître une nouvelle jurisprudence constante consacrant la minimisation du dommage. La mitigation n’existe toujours pas en France car on reste très attaché au principe de réparation intégrale qui est un pilier de notre droit de la responsabilité. En admettant l’obligation de minimisation du dommage par la victime, cela reviendrait à responsabiliser les victimes mais risquerait de les priver parfois d’indemnité.
Le dernier projet d’Ordonnance de la Chancellerie ne prévoit pas la consécration de la minimisation du dommage.

E. L.



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