vendredi 22 janvier 2016

Le régime juridique des mesures d'assignation à résidence dans le cadre de l'état d'urgence
- QPC : décision n° 395009 du 11 décembre 2015
I) Faits :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État, d'une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité à la Constitution de « l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 ». Ces dispositions fixent le régime juridique des mesures d'assignation à résidence qui peuvent être décidées par le ministre de l'Intérieur lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3 avril 1955.
II) L'évolution dans la rédaction de l'article 6 
Une évolution des conditions d'application de cet article 6 est visible. En effet, dans sa rédaction issue de la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et en déclarant l’application en Algérie, l'assignation à résidence concernait uniquement les personnes dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public. 
Alors que dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : « Le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public.
Cette nouvelle version marque le passage d'une mesure coercitive applicable uniquement dans des cas précis, à savoir où l'activité d'une personne s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public, à une mesure coercitive applicable dans toutes les hypothèses où il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une personne constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public. En d'autres termes, son champ d'application se trouve étendu à de nombreuses hypothèses, ce qui est très critiqué.
III) Solution du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a examiné le grief de la méconnaissance des droits garantis par l'article 66 de la Constitution. Cet article énonce que nul ne peut être arbitrairement détenu. Le Conseil constitutionnel va préciser qu'une telle mesure relève de la seule police administrative et ne peut donc avoir d'autre but que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions. Le Conseil constitutionnel a retenu que, tant par leur objet que par leur portée, ces dispositions ne comportent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Cependant, concernant l'astreinte à domicile dont peut faire l'objet une personne assignée à résidence, le Conseil constitutionnel a précisé que la plage horaire maximale de cette astreinte, fixée à douze heures par jour, ne peut être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors considérée comme une mesure privative de liberté, et par conséquent, soumise aux exigences de l'article 66 de la Constitution. Il s'agit ici d'une première limitation à l'adresse du législateur.
Ensuite, le Conseil constitutionnel a examiné les griefs tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par les articles 2 et 4 de la déclaration de 1789 (liberté d'aller et venir) et de l'article 34 de la Constitution (incompétence négative). Il a relevé que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Toutefois un équilibre doit être préservé, il faut assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public par le biais de la police administrative et, d'autre part, le respect des droits et libertés des citoyens français. 
Concernant l'atteinte à la liberté d'aller et de venir, les dispositions contestées y portent atteinte, mais le Conseil constitutionnel considère que cette atteinte n'est pas illégale. Le célèbre arrêt Baldy du Conseil d’État du 10 août 1917 énonce que les mesures de police sont l’exception au principe de liberté, et qu'elles doivent être limitées. Cette limitation peut couvrir plusieurs aspects, les mesures de police peuvent être limitées par leur champ d’application, dans le temps ou encore dans l’espace.
Le Conseil Constitutionnel va retenir trois justifications démontrant que cette atteinte n'est pas disproportionnée.
Premièrement, l'assignation à résidence ne peut être prononcée que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et une telle assignation n'est possible que contre une personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. 
Deuxièmement, tant la mesure d'assignation à résidence que sa durée, ou encore ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie, doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. C'est-à-dire que l'état d'urgence n'est pas une justification suffisante pour ordonner une mesure de police administrative, elles doivent faire l'objet d'une motivation précise. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
Troisièmement, la mesure d'assignation à résidence prise cesse au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence. 
L'assignation à résidence est donc limitée par son champ d'application, dans l'espace, le temps, et est motivée, cette atteinte à la liberté d'aller et venir est donc proportionnelle.
L'état d'urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a apporté deux précisions limitatives aux législateurs et à l'administration. D'une part, la durée de la prorogation ne peut être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. D'autre part, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle loi, les mesures d'assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées. Ces limitations visent à protéger l'équilibre entre la prévention d'atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés des citoyens.
Pour terminer, le Conseil constitutionnel a écarté les autres griefs et notamment ceux invoquant le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale. En conclusion le Conseil constitutionnel déclare les dispositions concernant l'assignation à résidence conforme à la Constitution en écartant l'ensemble des griefs et en profite pour formuler des limitations aux législateurs et de l'administration.



R. M

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