Le
régime juridique des mesures d'assignation à résidence dans le
cadre de l'état d'urgence
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QPC : décision n° 395009 du 11 décembre 2015
I) Faits :
Le
Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État, d'une
question prioritaire de constitutionnalité, relative à la
conformité à la Constitution de « l'article 6 de la loi du 3
avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant
de la loi du 20 novembre 2015 ». Ces dispositions fixent le régime
juridique des mesures d'assignation à résidence qui peuvent être
décidées par le ministre de l'Intérieur
lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3
avril 1955.
II) L'évolution dans la rédaction de l'article 6
Une
évolution des conditions d'application de cet article 6 est
visible. En effet, dans sa rédaction issue de la loi n° 55-385 du 3
avril 1955 relative à l'état d'urgence et en déclarant
l’application en Algérie, l'assignation à résidence concernait
uniquement les personnes dont l'activité s'avère dangereuse pour la
sécurité et l'ordre public.
Alors que dans sa nouvelle rédaction
issue de la loi du 20 novembre 2015 : « Le ministre de l'Intérieur
peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe,
de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons
sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour
la sécurité et l'ordre public.
Cette
nouvelle version marque le passage d'une mesure coercitive applicable
uniquement dans des cas précis, à savoir où l'activité d'une
personne s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public, à
une mesure coercitive applicable dans toutes les hypothèses où il
existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une
personne constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public.
En d'autres termes, son champ d'application se trouve étendu à de
nombreuses hypothèses, ce qui est très critiqué.
III) Solution du Conseil constitutionnel
Le
Conseil constitutionnel a examiné le grief de la méconnaissance des
droits garantis par l'article 66 de la Constitution. Cet article
énonce que nul ne peut être arbitrairement détenu. Le Conseil
constitutionnel va préciser qu'une telle mesure relève de la seule
police administrative et ne peut donc avoir d'autre but que de
préserver l'ordre public et de prévenir les infractions. Le Conseil
constitutionnel a retenu que, tant par leur objet que par leur
portée, ces dispositions ne comportent pas de privation de la
liberté individuelle au sens de l'article 66 de la
Constitution. Cependant, concernant l'astreinte à domicile dont peut
faire l'objet une personne assignée à résidence, le Conseil
constitutionnel a précisé que la plage horaire maximale de cette
astreinte, fixée à douze heures par jour, ne peut être allongée
sans que l'assignation à résidence soit alors considérée comme
une mesure privative de liberté, et par conséquent, soumise aux
exigences de l'article 66 de la Constitution. Il s'agit ici
d'une première limitation à l'adresse du législateur.
Ensuite,
le Conseil constitutionnel a examiné les griefs tirés de la
méconnaissance des droits et libertés garantis par les articles 2
et 4 de la déclaration de 1789 (liberté d'aller et venir) et de
l'article 34 de la Constitution (incompétence négative). Il a
relevé que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le
législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Toutefois un
équilibre doit être préservé, il faut assurer la conciliation
entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public par
le biais de la police administrative et, d'autre part, le respect des
droits et libertés des citoyens français.
Concernant l'atteinte
à la liberté d'aller et de venir, les dispositions contestées y
portent atteinte, mais le Conseil constitutionnel considère que
cette atteinte n'est pas illégale. Le célèbre arrêt Baldy du
Conseil d’État du 10 août 1917 énonce que les mesures de police
sont l’exception au principe de liberté, et qu'elles doivent être
limitées.
Cette limitation peut couvrir plusieurs aspects, les mesures de
police peuvent être limitées par leur champ d’application, dans
le temps ou encore dans l’espace.
Le Conseil Constitutionnel va
retenir trois justifications démontrant que cette atteinte n'est pas
disproportionnée.
Premièrement, l'assignation à résidence ne
peut être prononcée que lorsque l'état d'urgence a été déclaré
et une telle assignation n'est possible que contre une personne
résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence et à l'égard
de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son
comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre
publics.
Deuxièmement, tant la mesure d'assignation à résidence
que sa durée, ou encore ses conditions d'application et les
obligations complémentaires dont elle peut être assortie, doivent
être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la
mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la
déclaration de l'état d'urgence. C'est-à-dire que l'état
d'urgence n'est pas une justification suffisante pour ordonner une
mesure de police administrative, elles doivent faire l'objet d'une
motivation précise. Le juge administratif est chargé de s'assurer
que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la
finalité qu'elle poursuit.
Troisièmement, la mesure d'assignation
à résidence prise cesse au plus tard en même temps que prend fin
l'état d'urgence.
L'assignation à résidence est donc limitée
par son champ d'application, dans l'espace, le temps, et est
motivée, cette atteinte à la liberté d'aller et venir est donc
proportionnelle.
L'état
d'urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit,
au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui
en fixe la durée. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a apporté
deux précisions limitatives aux législateurs et à
l'administration. D'une part, la durée de la prorogation ne peut
être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité
publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence.
D'autre part, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une
nouvelle loi, les mesures d'assignation à résidence prises
antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées.
Ces limitations visent à protéger l'équilibre entre la prévention
d'atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés
des citoyens.
Pour
terminer, le Conseil constitutionnel a écarté les autres griefs et
notamment ceux invoquant le droit à un recours effectif et le droit
au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale.
En conclusion le Conseil constitutionnel déclare les dispositions
concernant l'assignation à résidence conforme à la Constitution en
écartant l'ensemble des griefs et en profite pour formuler des
limitations aux législateurs et de l'administration.
R.
M
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