dimanche 24 janvier 2016

Le Règlement UE n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JOUE L 201 du 27.07.2012, p. 107-134)



            Ce texte est relatif aux successions internationales, c’est-à-dire quand il existe un élément d’extranéité dans une succession. Elles vont sûrement se développer avec la mobilité de plus en plus accrue des personnes. Ce règlement unifie les principes du droit international privé régissant les successions internationales dans le cadre de l’UE et introduit le certificat successoral européen. C’est une innovation. En effet, chaque Etat avait ses propres règles en matière de successions jusqu’alors. Le but de ce règlement est de supprimer « les entraves à la libre circulation des personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières » (considérant 7 du préambule du règlement). Il est applicable dans toute l’UE sauf au Royaume-Uni, en Irlande et au Danemark.
Ce texte est entré en vigueur en France le 17 août 2015. Il bouleverse les règles du droit international privé français en matière de successions.

I-Champ d’application
Le règlement s’applique aux successions à cause de mort (art1§1 du règlement). Le règlement définit la succession comme étant « toute forme de transfert de biens, de droits et d’obligations à cause de mort, qu’il s’agisse d’un acte volontaire de transfert en vertu d’une disposition à cause de mort  ou d’un transfert dans le cadre d’une succession ab intestat » (art3§1, a). Le règlement s’applique donc aux successions ab intestat et aux successions volontaires (testament, institution contractuelle).

Par contre, il ne s’applique pas en matières fiscale, douanière, administrative (art 1§1), à l’état des personnes physiques et aux régimes matrimoniaux (art1§2). Ces domaines font l’objet d’autres textes.

II-Les règles de compétence
Le principe est posé à l’article 4 : « Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ». On applique donc la loi de la résidence habituelle. On a ici le principe d’unité successorale : une seule loi applicable à la succession. C’est le changement majeur créé par le règlement.
Il faut préciser que le mot « juridiction » dans le cadre du règlement a un sens large et inhabituel (art3§2 : c’est « toute autorité judiciaire, ainsi que toute autre autorité et tout professionnel du droit compétents en matière de successions qui exercent des fonctions juridictionnelles ou agissent en vertu d’une délégation de pouvoirs d’une autorité judiciaire ou sous le contrôle d’une autorité judiciaire »).

Des compétences subsidiaires sont prévues à l’article 10. Elles ont pour but de rendre compétentes les juridictions d’un Etat membre alors qu’elles sont incompétentes en application du principe. Quand la résidence habituelle du de cujus lors du décès ne se situe pas dans un Etat membre de l’UE, les juridictions du pays dans lequel se situent des biens successoraux sont compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession si le de cujus avait la nationalité de cet Etat lors du décès ou, à défaut, s’il avait sa résidence habituelle antérieure dans cet Etat à condition qu’il ne se soit pas écoulé plus de 5 ans entre le déménagement et la saisine de la juridiction (art10§1). De plus, selon l’article 10§2, si aucune juridiction n’est compétente en vertu de l’article 10§1, les juridictions du pays dans lequel se situent des biens successoraux sont compétentes.

Par ailleurs, quand la loi choisie par le de cujus pour régir sa succession est celle d’un Etat membre, les parties peuvent dans un accord écrit, daté et signé par elles-mêmes, décider que les juridictions de cet Etat ont compétence exclusive pour statuer sur l’ensemble de la succession (art 5). C’est l’accord de l’élection du for.

De plus, les juridictions de l’Etat de la résidence habituelle compétentes en vertu du principe de l’article 4 peuvent décliner leur compétence quand elles considèrent que les juridictions d’un autre Etat membre dont la loi a été choisie par le défunt sont mieux placées pour statuer sur la succession selon le contexte (localisation des biens par exemple).

Mais, le règlement innove surtout concernant les règles de conflit de lois.

III-La loi applicable à la succession
Le règlement est universel, ce qui signifie que toute loi qu’il désigne s’applique même si cette dernière n’est pas celle d’un Etat membre (art 20).

Le principe est posé à l’article 21§1. La loi applicable à la succession est celle du pays dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle lors du décès. On se réfère ici aussi à la résidence habituelle comme critère. Elle n’est pas définie mais le préambule du règlement pose des indices pour pouvoir la déterminer. Il faut que l’Etat entretienne un lien étroit avec le défunt.  Si le défunt a des liens plus étroits avec un autre pays, la loi applicable est celle de ce dernier (art21§2).
Il y a une double rupture par rapport aux règles successorales en vigueur jusqu’à maintenant. En effet, d’une part, le règlement institue le principe d’unité successorale qui n’était pas appliqué par les Etats qui prévoyaient un régime distinct pour les meubles et les immeubles. D’autre part, le lieu de situation de l’immeuble n’a plus d’importance ; ce n’est plus un critère pour déterminer la loi applicable à la succession.
Le principe d’unité successorale n’était pas appliqué en France notamment. Les règles françaises avaient une origine jurisprudentielle. En effet, plusieurs lois étaient applicables à la succession. Pour les immeubles, la loi applicable était celle du lieu de situation de l’immeuble (arrêt chambre civile, Stewart, 14 mars 1837), et pour tous les meubles la loi applicable était celle du lieu d’ouverture de la succession c’est-à-dire celle du dernier domicile du de cujus (arrêt chambre civile, Labedan, 19 juin 1939 et arrêt 1ère chambre civile du 20 octobre 2010). Donc, la succession immobilière pouvait être morcelée vu que des lois différentes étaient susceptibles de s’appliquer. Cela pouvait entrainer une rupture d’égalité entre les héritiers. Ainsi, l’articulation des règles successorales était compliquée et posait des problèmes en pratique. Le règlement européen du 4 juillet 2012 vient simplifier les règles applicables aux successions internationales en choisissant le système de l’unité. 

Cependant, le règlement permet au défunt de choisir et donc d’écarter la loi de résidence habituelle lors du décès. Le de cujus peut choisir comme loi applicable à sa succession celle dont il a la nationalité lors du choix ou lors du décès (art 22). Le règlement réduit le choix à une seule loi pour régir la succession. Cette dernière n’est donc pas divisée en groupes de biens autonomes comme avant. Ce choix doit être exprès.

La loi applicable s’applique à l’ensemble de la succession et régit de nombreuses questions s’y rattachant (art 23) comme la capacité de succéder, le partage successoral, les causes,  le moment et le lieu d’ouverture de la succession.

Les décisions rendues en matière de successions par un Etat de l’UE bénéficient d’une reconnaissance de plein droit, ce qui facilite la circulation des actes. Elles sont exécutoires quand elles sont déclarées comme telles par la juridiction d’un pays suite à une demande des parties.

IV-Le certificat successoral européen
C’est une nouveauté qui va être très pratique pour les notaires. Il est destiné à être utilisé par les héritiers ou légataires ayant droits à la succession et qui, dans un autre pays de l’UE, doivent invoquer leur qualité ou exercer leurs droits (art 63§1). Le certificat est valable de plein droit dans tous les Etats de l’UE.

Ainsi, ce règlement européen change les règles traditionnelles de droit international privé françaises en matière de successions dans un souci de simplification. Le règlement des successions internationales devrait désormais être moins compliqué et plus rapide.


Ce règlement a entrainé des modifications dans notre droit qui ont été instituées par le décret n°2015-1395 du 2 novembre 2015 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE en matière de successions transfrontalières (JORF n°0256 du 4 novembre 2015, p. 20592). Il modifie certains articles du Code de procédure civile avec application rétroactive à compter du 17 août 2015 et crée une nouvelle section dans ce même code relative au certificat successoral européen.

E. L.

vendredi 22 janvier 2016

Actualité Droit de la famille (Loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même de sexe)

    CE, 18 décembre 2015, Union départementale des associations familiales des hauts de Seine et autres, requête n°370459
    CE 18 décembre 2015, M. C... et autres, requête n°369834.
A la suite de l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, le 24 mai 2013, un décret et un arrêté pris pour son application ont été adoptés. La Garde de sceaux a également interprété et rappelé les diverses modifications législatives et réglementaires par une circulaire du 29 mai 2013. Enfin, par une circulaire du 13 juin 2013, le ministre de l'Intérieur a rappelé aux préfets les conditions dans lesquelles les autorités compétentes peuvent célébrer un mariage et les conséquences auxquelles elles s'exposent en cas de refus illégal de procéder à une telle célébration.
Dans un arrêt du 18 décembre 2015, le Conseil d’État, en rejetant une série de recours contre ces textes d'application de la loi du 17 mai 2013, tranche de nombreuses questions. D'où la portée importante de cet arrêt, où l'on observe que la Haute juridiction administrative confirme la conventionnalité, la constitutionnalité et la légalité des textes d'application du mariage pour tous.
Dans un autre arrêt du même jour, le Conseil d’État va rappeler qu'un préfet n'est pas un officier d’état civil et ne peut célébrer lui-même un mariage.

    I) CE, 18 décembre 2015, Union départementale des associations familiales des hauts de Seine et autres, requête n°370459

Plusieurs QPC ont été soulevées devant cette juridiction de renvoi et le Conseil d’État va estimer qu'il n'y a pas lieu de renvoyer ces QPC devant le Conseil constitutionnel.

A) Les différentes QPC soulevées

Une première QPC soulevée portait sur l'article 165 du Code civil, qui selon les requérants méconnaîtrait la liberté de conscience, qui est un principe constitutionnellement garanti, en énonçant le caractère républicain du mariage. Toutefois, le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé dans le cadre d'une QPC du 18 octobre 2013 sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 165 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 mai 2013, et avait à cette occasion, écarté le grief tiré de ce que les officiers d'état civil devraient pouvoir bénéficier d'une clause de conscience. Par conséquent, estimant qu'il n'y a pas eu de changement de circonstances de droit ou de fait depuis cette décision, le Conseil d’État refuse que l'article 165 soit à nouveau examiné, et rend une décision de non-renvoi. En adoptant cette décision, la Haute juridiction administrative confirme sa position sur la conformité de l'article 165 du Code civil à la Constitution.

Une seconde QPC soulevée portait sur le fait que la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, était contraire au régime concordataire existant dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de la Moselle et ne pourrait s'appliquer dans ces départements. Par une décision du 21 février 2013, ce régime concordataire a été déclaré comme ne méconnaissant pas la Constitution et plus particulièrement le principe de laïcité, pilier de la République. Les requérants arguaient que cette contrariété entre la loi du 17 mai 2013 et le régime concordataire créerait une rupture d'égalité entre les personnes domiciliées dans les 3 départements en question et celles qui sont domiciliées sur le reste du territoire. Cependant le Conseil d’État rappelle que les dispositions de la loi du 17 mai 2013 s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et sont sans incidence sur le maintien dans certains départements du régime concordataire. Par conséquent, la question posée n'étant pas nouvelle ou ne présentant pas un caractère sérieux, le Conseil d’État rend une décision de non-renvoi et confirme que la loi du 17 mai 2013 s'applique sur l'ensemble du territoire français sans distinction.

Dans le cadre de ces QPC, le Conseil d’État exerce parfaitement son rôle de filtre et renforce par la même occasion la conformité de la loi du 17 mai 2013 à la Constitution en ne renvoyant pas les QPC devant le Conseil constitutionnel. Ceci montre que le mariage pour tous est devenu une valeur solide et ancrée de notre société qui respecte la Constitution.

B) Le respect des engagements internationaux de la France

Sur la légalité interne, le Conseil d’État va trancher différentes questions, notamment au regard des traités internationaux signés par la France afin de déterminer si la loi du 17 mai 2013 n'est pas en contradiction avec ses engagements internationaux.

Le Conseil d’État juge que la loi du 17 mai 2013 n'est pas en contradiction avec de nombreuses conventions internationales, notamment celles relatives aux obligations qui s'imposent aux États partis à ces dernières pour favoriser l'échange d'informations entre officiers de l'État civil. Ces conventions étant dépourvues d'effet direct, et ayant uniquement pour objet de régir les relations entre États, ne peuvent pas être invoquées par les particuliers. De plus, ces conventions n'ont pas pour effet de limiter la liberté des États contractants de déterminer les personnes aptes à s'unir par mariage. Le Conseil d’État va considérer la même chose concernant la Convention sur le consentement au mariage de 1962 ainsi que la Convention sur les régimes matrimoniaux de 1978 qui n'ont pas pour objet de déterminer les personnes aptes à s'unir par mariage.
Par conséquent, l’État dispose d'une marge d'appréciation, et de manœuvre nationale concernant les personnes aptes à se marier.

Par ailleurs, le Conseil d’État a estimé que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reconnaissant le droit de se marier à l'homme et à la femme, ainsi que la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale n'imposent pas que le mariage et l'adoption soient possibles uniquement en cas d'altérité sexuelle, c'est à dire réservé exclusivement aux couples de sexe différent. Le sujet de l'adoption a été une question sensible en France, avant la loi du 17 mai 2013 les personnes de même sexe ne pouvaient pas adopter, car il fallait être marié, mais depuis que le mariage a été ouvert pour tous, l'adoption ne peut plus être refusée à ces derniers. Cette conséquence directe du mariage pour tous a été acceptée difficilement par certains citoyens français.
Le Conseil d’État en estimant que les engagements internationaux de la France n'imposent pas l'altérité sexuelle, renforce la légitimité du mariage pour tous, et ses conséquences à savoir l'adoption pour les couples de même sexe.

Le Conseil d’État confirme la constitutionnalité ainsi que la conventionnalité des textes d'application de la loi du 17 mai 2013 au regard des engagements internationaux de la France. Son raisonnement montre bien que les États disposent d'une marge d'appréciation dans les matières matrimoniales, ce qui permet à la France de concilier le mariage pour tous et ses engagements internationaux. Le Conseil d'État va dans le même sens que la Cour de cassation qui dans un arrêt du 28 janvier 2015 estime que le mariage pour tous doit être une valeur promue par notre société. En effet, dans son arrêt la Cour de cassation rappelle que la liberté matrimoniale fait partie de l'ordre public international et qu'à partir du moment où on a ouvert le mariage aux personnes de même sexe, ce type de mariage fait partie de la liberté matrimoniale. Par conséquent, le mariage pour tous fait partie de l'ordre public international.Toutefois ce n'est pas réellement ce qu'avait prévu le législateur et cette décision avait provoqué de vives réactions, c'est pour cette raison que la Cour de cassation avait bordé sa solution avec son communiqué, en spécifiant un critère de rattachement et en précisant que c'est la liberté matrimoniale qui fait partie de l'ordre public international.

    II) CE 18 décembre 2015, M. C... et autres, requête n°369834
Dans cet arrêt, le Conseil d’État juge que la circulaire du ministre de l'Intérieur du 13 juin 2013 relative aux conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d'un officier d'état civil, ne méconnaît pas la liberté de conscience puisque qu'aucun texte ni aucun principe ne fait obligations aux officiers d'état civil d'approuver les choix de vie de personnes dont ils célèbrent le mariage. Il estime qu’eu égard à l’intérêt général qui s'attache au bon fonctionnement et à la neutralité du service public de l'état civil, l'interdiction faite aux officiers d'état civil de refuser de célébrer les mariages, en dehors des cas prévus par la loi, ne méconnaît pas la liberté de conscience garantie par la Convention européenne des droits de l'Homme. Le Conseil d'État utilise donc la neutralité, principe essentiel des services publics pour justifier cette interdiction. Il en profite pour rappeler qu'un préfet n'est pas un officier d’état civil, et ne peut pas célébrer un mariage à place des maires, puisque le pouvoir de substitution qui lui est conféré ne s'exerce que dans le domaine administratif sous l'autorité ou le contrôle du préfet et ne s'étend pas.



Le régime juridique des mesures d'assignation à résidence dans le cadre de l'état d'urgence
- QPC : décision n° 395009 du 11 décembre 2015
I) Faits :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État, d'une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité à la Constitution de « l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 ». Ces dispositions fixent le régime juridique des mesures d'assignation à résidence qui peuvent être décidées par le ministre de l'Intérieur lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3 avril 1955.
II) L'évolution dans la rédaction de l'article 6 
Une évolution des conditions d'application de cet article 6 est visible. En effet, dans sa rédaction issue de la loi  n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et en déclarant l’application en Algérie, l'assignation à résidence concernait uniquement les personnes dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public. 
Alors que dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : « Le ministre de l'Intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public.
Cette nouvelle version marque le passage d'une mesure coercitive applicable uniquement dans des cas précis, à savoir où l'activité d'une personne s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public, à une mesure coercitive applicable dans toutes les hypothèses où il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d'une personne constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public. En d'autres termes, son champ d'application se trouve étendu à de nombreuses hypothèses, ce qui est très critiqué.
III) Solution du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a examiné le grief de la méconnaissance des droits garantis par l'article 66 de la Constitution. Cet article énonce que nul ne peut être arbitrairement détenu. Le Conseil constitutionnel va préciser qu'une telle mesure relève de la seule police administrative et ne peut donc avoir d'autre but que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions. Le Conseil constitutionnel a retenu que, tant par leur objet que par leur portée, ces dispositions ne comportent pas de privation de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Cependant, concernant l'astreinte à domicile dont peut faire l'objet une personne assignée à résidence, le Conseil constitutionnel a précisé que la plage horaire maximale de cette astreinte, fixée à douze heures par jour, ne peut être allongée sans que l'assignation à résidence soit alors considérée comme une mesure privative de liberté, et par conséquent, soumise aux exigences de l'article 66 de la Constitution. Il s'agit ici d'une première limitation à l'adresse du législateur.
Ensuite, le Conseil constitutionnel a examiné les griefs tirés de la méconnaissance des droits et libertés garantis par les articles 2 et 4 de la déclaration de 1789 (liberté d'aller et venir) et de l'article 34 de la Constitution (incompétence négative). Il a relevé que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence. Toutefois un équilibre doit être préservé, il faut assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public par le biais de la police administrative et, d'autre part, le respect des droits et libertés des citoyens français. 
Concernant l'atteinte à la liberté d'aller et de venir, les dispositions contestées y portent atteinte, mais le Conseil constitutionnel considère que cette atteinte n'est pas illégale. Le célèbre arrêt Baldy du Conseil d’État du 10 août 1917 énonce que les mesures de police sont l’exception au principe de liberté, et qu'elles doivent être limitées. Cette limitation peut couvrir plusieurs aspects, les mesures de police peuvent être limitées par leur champ d’application, dans le temps ou encore dans l’espace.
Le Conseil Constitutionnel va retenir trois justifications démontrant que cette atteinte n'est pas disproportionnée.
Premièrement, l'assignation à résidence ne peut être prononcée que lorsque l'état d'urgence a été déclaré et une telle assignation n'est possible que contre une personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. 
Deuxièmement, tant la mesure d'assignation à résidence que sa durée, ou encore ses conditions d'application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie, doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. C'est-à-dire que l'état d'urgence n'est pas une justification suffisante pour ordonner une mesure de police administrative, elles doivent faire l'objet d'une motivation précise. Le juge administratif est chargé de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
Troisièmement, la mesure d'assignation à résidence prise cesse au plus tard en même temps que prend fin l'état d'urgence. 
L'assignation à résidence est donc limitée par son champ d'application, dans l'espace, le temps, et est motivée, cette atteinte à la liberté d'aller et venir est donc proportionnelle.
L'état d'urgence, déclaré par décret en Conseil des ministres, doit, au-delà d'un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a apporté deux précisions limitatives aux législateurs et à l'administration. D'une part, la durée de la prorogation ne peut être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. D'autre part, si le législateur prolonge l'état d'urgence par une nouvelle loi, les mesures d'assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées. Ces limitations visent à protéger l'équilibre entre la prévention d'atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés des citoyens.
Pour terminer, le Conseil constitutionnel a écarté les autres griefs et notamment ceux invoquant le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et de mener une vie familiale normale. En conclusion le Conseil constitutionnel déclare les dispositions concernant l'assignation à résidence conforme à la Constitution en écartant l'ensemble des griefs et en profite pour formuler des limitations aux législateurs et de l'administration.



R. M

mardi 19 janvier 2016


La procédure de divorce en présence de demandes concurrentes

Arrêt numéro 14-29322 de la première chambre civile de la Cour de Cassation, rendu le 16 décembre 2015. Il s’agit d’un arrêt de cassation.

I-                   Les faits

Un époux assigne sa femme en divorce pour altération définitive du lien conjugal. A titre principal, l’épouse conclut au rejet de la demande et à titre subsidiaire elle fait une demande reconventionnelle pour le prononcé du divorce aux tors exclusifs de son mari.
La Cour d’Appel de Rennes prononce, conformément à la demande présentée par le demandeur, le divorce pour altération définitive du lien conjugal au motif que la demande reconventionnelle pour le prononcé du divorce pour faute est subsidiaire. La Cour estime que les deux demandes en divorce ne sont pas des demandes concurrentes au motif que la demande de l’épouse pour le prononcé du divorce pour faute, est faite à titre subsidiaire.

La Cour de cassation doit se prononcer dans cet arrêt sur l’ordre procédural à appliquer à deux demandes en divorce lorsque l’une d’elles, la demande en divorce pour faute, est faite à titre subsidiaire.

II-                 Question de droit

L’article 246 du code civil est – il applicable lorsque la demande en divorce pour faute est faite à titre subsidiaire lors d’un procès ?

III-              Solution de la Cour de Cassation

La solution de la Cour de Cassation est particulièrement éclairante : « Alors que selon l'article 246 du code civil, si une demande pour altération définitive du lien conjugal et une demande pour faute sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande pour faute et que ce n'est que s'il rejette celle-ci qu'il peut se prononcer sur la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal ; qu'il en va ainsi même si la demande reconventionnelle en divorce pour faute est présentée à titre subsidiaire »  

Cette solution appelle  deux observations

D’une part, la Cour de Cassation en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’Appel, réaffirme dans un premier temps le contenu de l’article 246 du code civil.

En effet, la Cour de Cassation rappelle que dans le cas d’une demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal et une demande pour faute présentées concurremment, le juge doit examiner en premier lieu la demande en divorce pour faute et ce n’est que lorsque celui-ci rejette la demande pour faute, qu’il statue sur la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Mais la Cour de Cassation innove également dans cet arrêt, puisqu’elle affirme la primauté de l’examen de la demande en divorce pour faute bien que cette demande soit subsidiaire.

D’autre part, la Cour de Cassation opte pour une interprétation large des demandes concurrentes, puisqu’en appliquant l’article 246 du code civil à la demande en divorce pour faute faite à titre subsidiaire, elle considère que même à titre subsidiaire, cette demande en divorce est concurrente à la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Dans cette affaire, l’épouse qui agit en qualité de défenderesse au moment de l’assignation, conclut, à titre principal, au rejet de la demande et à titre subsidiaire, elle émet à son tour, contre le demandeur initial, une prétention propre par voie de conclusion, à savoir le prononcé du divorce pour faute aux torts exclusifs de son époux.
Sa demande correspond à une demande reconventionnelle, elle ne saisit pas à nouveau le juge qui est déjà saisi et doit avoir un lien de connexité suffisant avec la demande initiale. En l’espèce c’est le cas, puisque sa demande vise à contester la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal.

La Cour de Cassation estime que cette demande reconventionnelle équivaut à une demande concurrente, puisqu’elle applique l’article 246 du code civil à cette affaire.

T.C

samedi 9 janvier 2016

Responsabilité civile : Le refus de la minimisation de son dommage par la victime (arrêt Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n°14-16011)



            En droit anglais, la victime d’un dommage a l’obligation de minimiser son préjudice (la mitigation). Cette obligation n’existe pas en droit français où le principe fondamental est le principe de réparation intégrale qui permet à la victime d’être indemnisée du préjudice qu’elle a subi de façon à être dans la situation dans laquelle elle aurait été si le dommage ne s’était pas produit.

Dans un premier temps, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans deux arrêts du 19 juin 2003, montre son hostilité à admettre l’obligation de minimisation du dommage par la victime en affirmant que « l’auteur de l’accident doit réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». En l’espèce, la victime avait subi un préjudice corporel suite à un accident de la circulation.

Puis,  la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 24 novembre 2011, semble revenir sur sa position. Elle indique que la cour d’appel aurait dû relever que la victime avait commis une faute aggravant son préjudice (matériel en l’espèce). Elle admet alors implicitement la minimisation pour le préjudice matériel. S’est alors posée la question de savoir si cette solution était transposable au préjudice corporel. Mais, comment une victime ayant subi un préjudice corporel pourrait le minimiser ? En suivant des traitements sachant que le refus de se soigner est un droit ( arrêt Cass. Civ. 2, 19 mars 1997) ? D’ailleurs, les projets Catala et Terré prévoient le devoir de minimisation de la victime sauf pour le préjudice corporel. La Haute juridiction ne s’est pas encore exprimée en faveur de la minimisation du préjudice corporel.

La Cour de cassation s’est de nouveau prononcée sur la minimisation du dommage dans un arrêt de la première chambre civile rendu le 2 juillet 2014 où il était question de l’indemnisation d’un préjudice matériel. Elle revient sur la position qu’elle avait adoptée en 2011 : « en vertu de l'article 1382 du code civil, l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ». La Cour de cassation semble donc hésitante sur la question de la minimisation du dommage par la victime.

En définitive, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas maintenu cette tendance à admettre la minimisation du dommage, bien au contraire. En effet, dans un arrêt du 26 mars 2015, la Haute juridiction revient à sa position initiale.

En l’espèce, le 23 octobre 2004, une personne est victime d’un accident de la circulation qui entraine des séquelles empêchant la victime de continuer à exercer sa profession.
La victime, en qualité de demanderesse, réclame l’indemnisation de ses préjudices (préjudices corporel et moral) à l’assureur du véhicule impliqué, à la caisse primaire d’assurance maladie de Pau, à la mutuelle et à une association qui ont la qualité de défendeur.

Le 4 septembre 2013, la Cour d’appel de Poitiers rend un arrêt dans lequel elle condamne l’assureur à payer à la victime les sommes de 5 263,81€ au titre de la perte de gains professionnels actuels et 175 898,39€ au titre de la perte de gains professionnels futurs. En effet, elle considère, d’une part, que pour établir la perte des gains professionnels, elle déduit les allocations d’aide au retour à l’emploi perçues par la victime. D’autre part, elle divise par deux la somme destinée à compenser la perte de gains professionnels futurs car la victime a refusé un poste adapté à ses capacités proposé par son employeur. Pour les juges du fond, l’accident ne justifie qu’à 50%  l’impossibilité de retrouver un emploi.

Un pourvoi en cassation est formé par la victime qui a la qualité de demanderesse. Il est composé de deux moyens. L’assureur a la qualité de défendeur.
Premièrement, la victime affirme que seules les prestations versées par des tiers payeurs ouvrant à ceux-ci un recours subrogatoire contre le responsable du dommage peuvent être imputées sur l’indemnité de la victime. Or, l’indemnité versée par l’ASSEDIC n’a pas de caractère indemnitaire donc il n’y a pas de recours subrogatoire pour le tiers payeur ; en conséquence l’allocation d’aide au retour à l’emploi ne peut être déduite de l’indemnité. La cour d’appel a ainsi violé les articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985 et  l’article 1382 du Code civil en considérant que l’allocation était un substitut de salaire et en limitant l’indemnisation de ce poste de préjudice.
Secondement, selon l’expert, la victime ne peut plus exercer la profession de cuisinier mais peut obtenir un emploi adapté à ses capacités grâce à un reclassement. L’employeur de la victime a proposé un autre poste à la victime qui l’a refusé. Elle a donc été licenciée pour inaptitude. La cour a divisé par deux l’indemnité de la victime car elle a refusé cet autre poste. Or, d’après la victime, seule la faute de la victime est une cause d’exonération de la responsabilité de l’auteur du dommage et la victime n’a pas le devoir de minimiser son dommage. La cour a donc violé l’article 1382 du Code civil et le principe de réparation intégrale.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre aux questions suivantes : l’allocation d’aide au retour à l’emploi peut-elle être imputée sur l’indemnité versée à la victime pour réparer son préjudice corporel? La victime d’un dommage doit-elle minimiser son dommage ?

Le jeudi 26 mars 2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation  rend un arrêt de cassation partielle. Elle casse l’arrêt de la cour d’appel seulement sur la condamnation de l’assureur  à payer 5 263,81€ pour la perte de gains professionnels et 175 898,39€ pour la perte des gains professionnels futurs et condamne l’assureur aux dépens sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Elle renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux.
D’une part, elle estime sur le fondement des articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985, que l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ne peut être imputée seulement des prestations payées par des tiers payeurs qui ont un recours subrogatoire contre l’auteur du dommage. La cour d’appel a  violé l’article 29 de la loi de 1985 car les allocations d’aide au retour à l’emploi n’y sont pas citées donc n’accordent pas de recours subrogatoire contre le responsable.
D’autre part, la Haute juridiction, au visa de l’article 1382 du Code civil, considère que l’auteur de l’accident a l’obligation de réparer l’intégralité du dommage. La victime n’a pas à limiter son préjudice dans l’intérêt de celui-ci. La cour d’appel a violé également l’article susvisé en réduisant l’indemnité  pour la perte des gains professionnels futurs au seul motif que la victime a refusé  le poste proposé par son employeur.

Ainsi, la Cour de cassation revient à sa position de 2003. Elle refuse d’admettre la minimisation du dommage pour le préjudice corporel  et pour le préjudice matériel (arrêt Cass. Civ 1, 2 juillet 2014). Elle a une solution protectrice des victimes. L’arrêt de 2011 n’a pas fait naître une nouvelle jurisprudence constante consacrant la minimisation du dommage. La mitigation n’existe toujours pas en France car on reste très attaché au principe de réparation intégrale qui est un pilier de notre droit de la responsabilité. En admettant l’obligation de minimisation du dommage par la victime, cela reviendrait à responsabiliser les victimes mais risquerait de les priver parfois d’indemnité.
Le dernier projet d’Ordonnance de la Chancellerie ne prévoit pas la consécration de la minimisation du dommage.

E. L.