dimanche 12 juin 2016


Cour de cassation, crim, 18 novembre 2015

Pourvoi n° 14-85591

L'élément intentionnel du délit de harcèlement sexuel



Le harcèlement sexuel a été crée en 1992 avec une condition tendant à l'existence d'un rapport d'autorité entre l'auteur et la victime. Cette condition est supprimée par la loi du 17 janvier 2002 qui fixe une définition du harcèlement sexuel indépendamment de toute considération de relation de travail. Le délit de harcèlement sexuel est alors défini comme le fait de harceler autrui pour obtenir des faveurs sexuelles. Puis le Conseil Constitutionnel, dans une décision QPC du 4 mai 2012, indique que les éléments constitutifs ne sont pas suffisamment établis. L'exigence de clarté et de précision des textes faisant défaut, il abroge l'article. C'est l'occasion de réaffirmer le principe de légalité du droit pénal en développant son contrôle. Trois mois plus tard, la loi du 6 août 2012 réincrimine le délit de harcèlement sexuel. Elle en donne une définition plus précise à l'article 222-33 du Code pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 18 novembre 2015 précise les contours moraux de cette infraction.

Deux salariées d'un magasin d'alimentation sont employées en contrat à durée déterminée, le 26 novembre 2012 pour l'une, et le 15 octobre 2012 pour l'autre. Leur chef de rayon adopte un comportement insistant à leur égard, renouvelle ses invitations malgré le refus de celles-ci, leur exprime des propositions explicites et implicites de nature sexuelle et tente des rapprochements physiques. Ces avances insistantes et renouvelées, de façon verbale ou par message électronique (SMS), ont installé une ambiance malsaine provoquant la crainte des deux salariées de se retrouver seules avec leur collègue et entraînant chez l’une d'elles un stress quotidien et un état dépressif. Elles alertent l'inspection du travail de cette situation et portent plainte contre lui pour harcèlement sexuel.

Celui ou celle qui se prétend victime de harcèlement sexuel peut déposer plainte auprès du Procureur de la République. Il appartient au parquet de poursuivre ou pas. Le ministère public met l'action publique en mouvement dans le procès lorsqu'il choisit de poursuivre.

Le délit de harcèlement sexuel est réprimé et sanctionné par l'article 222-33 du Code pénal. Ce texte donne les éléments constitutifs de cette infraction. Pour qu'elle soit constituée, l'article 222-3, I prévoit que l'auteur doit imposer à une personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle, soit portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant. L'article 222-3, II prévoit quant à lui que le harcèlement sexuel est établi, même en l'absence de répétition, lorsqu'il s'accompagne d'ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autres formes de pression graves accomplis dans le but réel ou apparent d'obtenir une relation de nature sexuelle, à son profit ou au profit d'un tiers. Dans le cadre du I dudit article, les propos ou actes à connotation sexuelle sont les moyens qu'utilise l'auteur pour nuire à la victime, sans rechercher réellement ses faveurs ; alors que dans le cadre du II du même article les pressions permettent d'obtenir les faveurs sexuelles de la victime.

En l'espèce, les poursuites à l'encontre du chef de rayon sont fondées sur le §1 de l'article 222-33.

Le tribunal correctionnel déclare coupable le chef de rayon du délit de harcèlement sexuel et le condamne à payer 1 500 euros d'amende.

Le chef de rayon du magasin interjette appel. La Cour d'appel de Poitiers, le 3 juillet 2014, confirme le jugement.

La Cour d'appel recherche si les éléments de faits de l'article 222-33 sont réunis en l'espèce. Elle constate que le chef de rayon a continué ses agissements en dépit des refus réitérés de ses collègues. Les intimées se plaignent de la répétition des invitations et du comportement de l'appelant, et notamment d'avances formulées verbalement ou pas message électronique de nature sexuelle et de tentatives de contact physique. Ces agissements ont provoqué une situation de malaise et de crainte pour les victimes. La Cour d'appel précise également que les deux salariées étaient professionnellement les subordonnées du chef de rayon. Ainsi, les juges du fond démontrent que l'appelant a imposé à ses collègues de façon répétée des gestes et propos à connotation sexuelle créant à leur égard une situation intimidante, hostile et offensante. L'élément matériel de l'infraction de harcèlement sexuel se trouve constitué.

L'appelant reconnaît les propos de nature sexuelle qu'il a tenus aux deux salariées sur leur lieu de travail mais réfute le fait d'avoir insisté. La Cour d'appel en déduit qu'il a une mauvaise appréciation de son comportement. Elle souligne cependant que les messages électroniques entre le chef de rayon et l'une des salariées indiquent clairement les intentions de celui-ci. Elle déclare que l'élément moral de l'infraction est constitué lui-aussi.
Le chef de rayon forme un pourvoi en cassation. La chambre criminelle de la Cour de cassation, le 18 novembre 2015, rejette le pourvoi et approuve l'interprétation fidèle de la Cour d'appel des éléments constitutifs prévus à l’article 222-33 du Code pénal.

Le demandeur au pourvoi invoque la violation de l'article 121-3 et 222-33 du Code pénal. L'article 121-3 dispose que l'intention de commettre un crime ou un délit est nécessaire pour qu'ils soient constitués. Le demandeur invoque ce texte et précise que pour que le harcèlement sexuel soit établi, l'auteur doit avoir conscience d'imposer ses actes à la victime. Il conteste l'élément intentionnel de l'infraction déclaré constitué par la Cour d'appel. Le chef de rayon reproche aux juges du fond de l'avoir jugé coupable alors qu'ils avaient retenu qu'en déclarant n'avoir pas insisté il avait une mauvaise appréciation de son comportement. Par conséquent, selon le demandeur, il n'avait pas conscience d'avoir imposé ses propos et comportements à connotation sexuelle aux défenderesses. Cela suffisait à démontrer la mauvaise appréciation qu’il avait faite de son comportement.

La chambre criminelle en rejetant le pourvoi au visa de l'article 121-3 du Code pénal, réaffirme la nécessité de caractériser l'élément moral de l'infraction. Elle déclare que le demandeur qui, même s'il a mésestimé la portée de ses agissements, a agi en connaissance de cause en imposant des actes à connotation sexuelle aux victime, est coupable de harcèlement sexuel. Elle déduit de la répétition des propositions et de l'insistance du refus des victimes, la volonté et la conscience de l'auteur de harceler. La qualification des faits de harcèlement sexuel suppose un acte conscient mais le fait que le demandeur ait méconnu la portée de ses agissements est sans conséquence sur la caractérisation de l'infraction. Le comportement visé par l’élément matériel de l'infraction suffit à caractériser l’élément intentionnel, peu importe que l’auteur des faits délictueux ait eu ou non, conscience de commettre l’infraction. La portée du comportement du demandeur n'est pas prise en considération. La Cour de cassation n'exige pas que l'auteur de l'infraction ait spécialement voulu placer les victimes dans une situation intimidante, hostile ou offensante. Elle prend simplement en compte la conscience de formuler des propos ou d'avoir un comportement à connotation sexuelle. Il semble donc indifférent que l'auteur n'ait pas voulu le résultat qu'il a engendré. Dans une telle situation le prévenu semblerait dans l'incapacité de rapporter la preuve lui permettant de se disculper c'est-à-dire prouver qu'il n'a pas voulu créer à l'encontre de la victime un environnement intimidant, hostile ou offensant.
Les faits sanctionnés de l'espèce se sont déroulés sur le lieu de travail des deux victimes. Le Code du travail prohibe également le harcèlement sexuel à l'article L1153-3. Cet article précise qu'aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel. Il reprend les éléments constitutifs du Code pénal pour le caractériser. Le Code du travail protège la victime. L'article L1153-4 prévoit que sont nuls de plein droit toute disposition ou tout acte contraire à l'interdiction de harcèlement sexuel. L'article L1152-2 dispose que les salariés victimes de harcèlement sexuel ne peuvent faire l'objet d'aucune sanction. En cas de licenciement par exemple, la sanction est nulle. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation estime que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des salariés. En cas de manquement de l'employeur dans son obligation de résultat en matière de harcèlement sexuel, le salarié a droit à une réparation de son préjudice distincte de celle due en raison du harcèlement sexuel subi.
 
 
C.C

CEDH 26 novembre 2015 requête n°64846/11


Ebrahimian contre France


Le non-renouvellement du CDD d'un agent hospitalier pour refus d'enlever son voile



Le principe de laïcité de l’État et celui de neutralité des services publics font l'objet d'une législation et d'une jurisprudence fournies.

Dans un premier temps, la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation de l’Église et de l’État, instaure le principe de laïcité en France. Ce dernier est consacré à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, qui reconnaît ainsi la neutralité de l’État à l'égard des cultes.

Le Conseil d’État, dans son avis Mademoiselle Marteaux du 3 mai 2000, déclare que le principe de laïcité et celui de neutralité s'appliquent à l'ensemble des services publics. Il pose également l'interdiction faite aux agents de manifester leurs croyances religieuses dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, le port d'un signe qui marque une appartenance à une religion constitue un manquement de l'agent à ses obligations.

Puis la loi du 15 mars 2004 est intervenue pour encadrer le port de signes religieux manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse. Elle l'interdit dans les écoles, collèges et lycées publics.

Ensuite, dans l'arrêt Degru contre France du 4 décembre 2008, concernant le port de signes religieux à l'école, la CEDH rappelle que l'exercice de la liberté religieuse dans l'espace public est directement lié au principe de laïcité.

La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires consacre la liberté d'opinion et notamment religieuse des agents du service public. Mais cette liberté doit être conciliée avec l'exigence de neutralité religieuse propre au service public, qui en constitue un principe fondamental. Ainsi, le Conseil d’État juge que ce principe justifie que les agents publics soient restreints dans la manifestation de leur appartenance religieuse, dans le cadre de leur fonction. Le Conseil d’État précise que cette limitation doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché et à la liberté d'expression religieuse résultant de l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales (conv.EDH).


L'arrêt en présence concerne la conciliation délicate entre le principe de la liberté de conscience d'une part et le principe de laïcité de l’État et celui de la neutralité des services publics d'autre part. Il confirme la jurisprudence de la CEDH qui cantonne la portée du principe de laïcité aux questions relatives à la liberté de manifester sa religion par les agents des services publics et aux relations entre lesdits agents et les usagers des services publics.
Le centre d'accueil est de soins hospitaliers de Nanterre (CASH) conclut avec la requérante un contrat à durée déterminée de trois mois, du 1er octobre au 31 décembre 2000. La requérante est recrutée en tant qu'assistante sociale en service de psychiatrie. Le 11 décembre 2000, le directeur des ressources humaines (DRH) du CASH informe la requérante du non-renouvellement de son contrat, à compter du 31 décembre 2000, en raison de son refus d'enlever son voile, et dont le port avait suscité des plaintes de la part de certains patients.

La requérante adresse un courrier au DRH et invoque l'illégalité du non-renouvellement de son contrat. Elle considère que celui-ci est motivé par ses croyances religieuses.

Le 28 décembre 2000, le DRH lui indique, également par courrier, que ne lui est pas reproché son appartenance religieuse mais le non-respect des droits et obligations des fonctionnaires, c'est-à-dire l'interdiction d'afficher une telle appartenance. Il mentionne à l'appui de sa décision l'avis du Conseil d’État du 3 mai 2000.
La requérante saisit alors le tribunal administratif de Paris afin de voir annuler la décision du 11 décembre 2000. Le 17 octobre 2002, le tribunal administratif déclare, au visa de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, que le non-renouvellement du contrat est conforme aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Les juges de première instance rappellent que le principe de laïcité de l’État et celui de neutralité des services publics font obstacle à ce que l'agent manifeste sa religion par une extériorisation vestimentaire. Cette obligation s'impose dans tous les services publics. Le tribunal souligne également que ce sont les plaintes formulées par certains patients du CASH, ainsi que le refus de la requérante d'enlever son voile, qui ont conduit le DRH à prendre cette décision. Il en déduit alors que la direction n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
Suite à ce jugement, la requérante interjette appel. La Cour administrative d'appel de Paris, dans son arrêt du 2 février 2004 annule la décision du DRH pour vice de procédure. Les juges du fond considèrent que celle-ci présente un caractère disciplinaire. En effet, ils relèvent qu'elle fut prise en raison du refus persistant de la requérante d'ôter son voile au cours de ses fonctions. La Cour d'appel administrative ajoute que la requérante n'a pas été informée des motifs de la décision envisagée avant qu'elle ne soit prise et n'a pas été en mesure de consulter son dossier.
En application de l'arrêt rendu par la Cour d'appel, le directeur du CASH invite la requérante à prendre connaissance de son dossier et lui confirme le non-renouvellement de son contrat le 13 mai 2005. La Cour d'appel, par courrier en date du 29 juin 2005, précise à la requérante que lorsqu'une décision est annulée pour vice de procédure, le DRH peut rendre la même décision en respectant les formes prescrites. Mais cette dernière peut tout de même être contestée devant le tribunal administratif.
En janvier 2006, la requérante saisit le tribunal administratif de Versailles et demande l'annulation de la décision du 13 mai 2005 en prétendant que l'avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 ne s'applique qu'aux enseignants. Dans son jugement du 26 octobre 2007, le tribunal déboute la requérante sur le fondement du principe de laïcité de l’État et celui de neutralité des services publics. Il s'appuie sur les textes constitutionnels et législatifs qui précisent que ces deux principes s'appliquent à l'ensemble des services publics. Ainsi, le directeur du CASH n'a commis aucune illégalité en décidant de ne pas renouveler le contrat de la requérante pour port d'un vêtement manifestant de manière ostentatoire l'appartenance à une religion.

Non contente de cette décision, la requérante interjette appel. La Cour administrative d'appel de Versailles dans son arrêt du 26 novembre 2009 confirme le jugement.

La requérante forme alors un pourvoi en cassation. Elle considère que la Cour administrative d'appel a privé sa décision de base légale en omettant d'indiquer la nature du vêtement dont le port avait justifié la sanction. Elle relève le caractère disproportionné de celle-ci et sa contrariété avec l'article 9 de la conv.EDH. Mais le Conseil d’État, dans son arrêt du 9 mai 2011, déclare le pourvoi non recevable.
La requérante saisit ensuite la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) en vertu de l'article 34 de la conv.EDH. Elle soutient que le non-renouvellement de son contrat, en raison de son refus d'enlever son voile, viole l'article 9 de la conv.EDH. Dans son arrêt du 26 novembre 2015 la Cour de Strasbourg juge que la décision du directeur du CASH ne viole pas l'article 9 de la conv.EDH.
Les magistrats européens se sont penchés sur le fait de savoir si une décision administrative qui refuse le renouvellement d'un contrat d'un agent hospitalier en raison de son refus d'enlever son voile pendant l'exercice de ses fonctions, constitue ou non une violation de l'article 9 de la conv.EDH.
Ledit article 9 protège la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il prévoit que celles-ci ne peuvent faire l'objet de restrictions, à l'exception de celles prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique.

La CEDH, pour rendre sa décision, examine l'ingérence de l’État sous l'angle de l'article. Elle recherche la présence des trois conditions cumulatives permettant à l’État d'instaurer une limite au droit à la liberté de religion : l'ingérence doit être prévue par la loi, viser un ou plusieurs buts légitimes et être nécessaire dans une société démocratique à la réalisation des buts poursuivis.
Tout d'abord, elle vérifie que la restriction au port du voile par un agent du service public, au cours de l'exercice de ses fonctions, est prévue par la loi.

A cette occasion elle rappelle que l'expression « prévue par la loi » signifie que le texte incriminant la mesure est accessible, compatible avec la prééminence du droit et écrit de manière claire. La notion de loi doit être entendue dans une approche matérielle et non formelle. Elle y inclut donc l'ensemble du droit écrit, c'est-à-dire les textes de rang infralégislatif et la jurisprudence qui l'interprète.

Dans ses moyens de défense, la requérante soutient qu'il n'existait aucun texte de loi qui interdisait à un agent public de porter un signe religieux dans l'exercice de ses fonctions à la date à laquelle le directeur l'informe du non-renouvellement de son contrat. Elle ajoute également que l'avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 ne s'applique qu'aux établissements d'enseignement public.

La Cour de Strasbourg, en réponse, note que l'article 1er de la Constitution française établit le fondement du devoir de neutralité et d'impartialité de l’État à l'égard de toutes les croyances religieuses. Elle relève qu'au regard de la jurisprudence administrative, la neutralité des services publics constitue un élément de la laïcité de l’État. Elle observe également que la jurisprudence du Conseil d’État et celle du Conseil constitutionnel forment une base légale qui autorise les restrictions à la liberté religieuse de la requérante. En effet, dès 1948 le Conseil d’État, dans ses arrêts Demoiselle Pasteau et Demoiselle Jamet, affirme le devoir de stricte neutralité qui s'impose à tout agent d'un service public. Le Conseil Constitutionnel, quant à lui, juge que la neutralité est un principe du service public et que le principe d'égalité en constitue le corollaire. De plus, les magistrats européens considèrent que la requérante ne pouvait ignorer commettre une faute en refusant d'ôter son voile. En effet, l'avis du 3 mai 2000 du Conseil d’État, qui consacre le pouvoir d'ingérence de l’État dans le droit de manifester sa religion, a été rendu plus de six mois avant la décision du directeur du CASH. Il détermine clairement les modalités de l'exigence de neutralité religieuse des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, il satisfait aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi. En conséquence, la Cour juge que la restriction litigieuse est prévue par la loi au sens de l'article 9.

Ensuite, la Cour se penche sur le but légitime de la mesure.

La requérante estime que la restriction en cause ne poursuit pas un but légitime puisqu'aucun trouble ou incident n'est survenu au cours de l'exercice de ses fonctions. Elle invoque l'arrêt Leyla Sahin contre Turquie de 2005 et considère que l’État peut limiter la liberté de manifester sa religion mais uniquement si elle nuit à la protection des droits et libertés d'autrui, de l'ordre ou de la sécurité publique.

La Cour, quant à elle, estime qu'en l'espèce, l'objectif de l’État est de respecter toutes les croyances religieuses des patients, usagers et agents du service public en leur assurant une stricte égalité. Les usagers doivent être traités de manière égale, sans distinction en fonction de leur religion. L'interdiction faite à la requérante de manifester sa religion dans l'exercice de ses fonctions poursuit un objectif de protection des droits et libertés d'autrui. Dans ces conditions, les magistrats européens jugent que l'interdiction faite à la requérante de porter le voile pendant l'exercice de ses fonctions poursuit un objectif de protection des droits et libertés d'autrui et par conséquent un but légitime.

Enfin, la Cour de Strasbourg s'interroge sur la nécessité de cette restriction dans une société démocratique.
Elle reprend ses décisions antérieures rendues en la matière. Elle rappelle tout d'abord, l'arrêt Leyla Sahin contre Turquie dans lequel elle a jugé que l'article 9 ne protège pas tout acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction religieuse. Pour elle, les modalités et l'étendue de la réglementation en la matière doivent être laissées aux États. Elle invoque ensuite l'arrêt Kurtulmu dans lequel elle déclare que « dans une société démocratique, l’État peut limiter le port du foulard islamique si cela ne nuit pas à l'objectif visé de protection de droits et libertés d'autrui et de l'ordre. ». Ainsi, un fonctionnaire doit avoir une apparence neutre en respect du principe de laïcité et de neutralité du service public. Elle précise que le « fonctionnaire doit être nu-tête sur son lieu de travail ».

En l'espèce, il apparaît à la Cour que l'administration du CASH a indiqué à la requérante les raisons pour lesquelles elle devait ôter son voile et qu'elle avait tenté de lui faire renoncer à le porter pendant l'exercice de ses fonctions. Elle observe également que c'est le respect de la liberté de religion de tous et non les convictions religieuses de la requérante qui ont motivé la décision du directeur du CASH. Pour la CEDH, il est concevable que l’État juge nécessaire que la requérante, en contact avec la patientèle, ne fasse pas état de ses croyances religieuses dans le cadre de ses fonctions, afin de garantir l'égalité de traitement des malades. Elle considère qu'ainsi la neutralité du service public peut être liée à l'attitude de ses agents et par conséquent exiger que les patients ne puissent douter de leur impartialité.
La CEDH vérifie en outre qu'en l'espèce l'ingérence est proportionnée au but poursuivi que constitue la protection des droits et libertés d'autrui. Les magistrats européens reconnaissent une large marge d'appréciation aux États en la matière. La Cour va alors se demander si l’État français a outrepassé celle-ci en prenant la décision de ne pas renouveler le contrat de la requérante. Pour ce faire, elle observe que le port du voile par celle-ci constitue un manquement fautif à son devoir de neutralité. Pour évaluer la gravité de cette faute et décider de ne pas renouveler son contrat, le directeur du CASH a pris en compte l'impact du port du voile par la requérante dans l'exercice de ses fonctions. La loi du 13 juillet 1983 ne donnant pas de définition de la faute, l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire en la matière. La Cour considère que ce sont les États les mieux placés pour apprécier la proportionnalité de la sanction. Afin de respecter l'article 9, cette dernière doit être déterminée au regard de l'ensemble des circonstances dans lesquelles un manquement a été constaté. La CEDH rappelle que la requérante en refusant d'enlever son voile ne respectait pas le principe de neutralité du service public et s'exposait en conséquence à une sanction disciplinaire dont elle avait connaissance. Constatant l'absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l'obligation de ne pas les manifester au sein du CASH, le directeur de ce dernier n'a pas renouvelé son contrat. Il a fait ainsi primer l'exigence de neutralité et d'impartialité de l’État. Par ces éléments, la Cour estime que l’État français n'a pas outrepassé sa marge d'appréciation. Elle en déduit qu'en l'espèce, l'ingérence litigieuse est proportionnée au but poursuivi. Ainsi, en l'espèce, l'ingérence de l’État dans la liberté de manifester sa religion est nécessaire dans une société démocratique.



En matière de laïcité, le raisonnement de la Cour se découpe donc en deux temps. Tout d'abord, la violation du principe de laïcité-neutralité par les agents du service public qui arborent un signe religieux, suffit à valider une sanction disciplinaire prise à leur encontre par l'administration. Puis, certains éléments, tels que la nature du signe, la fonction occupée ou le contexte, permettent d'apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée.

En l'espèce, la cinquième section de la CEDH conclut à l'absence de méconnaissance de l'article 9 de la conv.EDH. Elle confirme sa position retenue en matière de manifestation des convictions religieuses dans l'exercice de la fonction publique et effectue une mise en balance entre la liberté de religion de l'article 9 et le principe de protection des droits et libertés d'autrui.

Également, la Cour crée un nouveau terme « le principe de laïcité-neutralité ». Elle le définit comme « l'expression d'une règle d'organisation des relations de l’État avec les cultes, qui implique son impartialité à l'égard de toutes les croyances religieuses dans le respect du pluralisme et de la diversité ». Elle valide l'application de ce principe à tous les agents des services publics français, lequel leur interdit de porter tout signe religieux.


C.C




lundi 6 juin 2016

L'intervention volontaire d'une association dans une procédure d'adoption

1ère chambre civile 15-10577.

L'association « Juristes pour l'enfance » a été créée en 2002, son objet est de défendre les intérêts de l'enfant. Elle s'est immiscée dans plusieurs procédures judiciaires concernant l'état civil d'enfants conçus par procréation médicalement assistée ou gestation pour autrui en tant qu'intervenante volontaire afin de défendre ses idées. En effet, elle donne son avis sur ce qu'est l'intérêt de l'enfant et estime que son adoption par la femme de sa mère n'est pas dans son intérêt, bien que cette dernière l'élève au quotidien.

Ainsi, la Cour de cassation a dû se prononcer sur l'intérêt de cette association à intervenir volontairement dans une procédure d'adoption par la femme de la mère de l'enfant dans l'arrêt du 16 mars 2016.

Mme X et Mme Y se marient le 10 juin 2013 et Mme Y accouche le 16 juin 2013 de A... Y... . Le 11 octobre 2013, Mme X dépose une requête aux fins d'adoption plénière de A... Y... . Un jugement rejette sa demande, ainsi elle interjette appel de ce jugement. Devant la cour d'appel, l'association Juristes pour l'enfance (JPE ) intervient volontairement à la procédure.

La cour d'appel rend un arrêt dans lequel elle déclare l'intervention volontaire de l'association irrecevable.
Un pourvoi est formé.

Selon le moyen, pris en ses 5 branches ;

Premièrement, le demandeur explique que l'intervention volontaire est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. En effet, l'objet de l'association est de « conduire et développer une action d'intérêt général à caractère familial et social centré autour de la défense de l'intérêt des enfants nés, à naître ou à venir, et pour la protection de l'enfance sous quelque forme que ce soit » et « d'être à l'initiative de toute action (…) pour la défense des enfants". Ainsi, l'association invoquait un droit propre puisqu'elle souhaite que l'institution familiale ne soit pas détournée si l'adoption par Mme X est prononcée. La cour d'appel a violé les articles 66 et 329 du code de procédure civile (CPC) et les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) en retenant que l'association n'avait aucune prétention à son profit car elle ne souhaitait que s'opposer à l'adoption proposée et à la confirmation du jugement par la cour d'appel.

Deuxièmement, elle considère que la cour d'appel a violé les articles 66, 330 du code de procédure civile ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme car elle a exigé que l'association ait un lien direct et inséparable de l'une des parties alors que l'intervention d'un tiers est admise bien qu'il ne justifie pas d'un tel lien et même si l'action est accessoire puisque le ministère public était déjà dans la cause.

Troisièmement, la cour d'appel a retenu l'exigence d'un lien de connexité entre l'association et la demanderesse ou sa conjointe ou l'enfant en cause et non pas entre la demande d'adoption plénière et la demande en intervention alors que l'intervention volontaire est recevable lorsqu'elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant. De cette manière, la cour d'appel a violé l'article 325 du code de procédure civile ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Quatrièmement, l'association déclare que son objet est de « de conduire et développer une action d'intérêt général à caractère familial et social centrée autour de la défense de l'intérêt des enfants nés, à naître ou à venir, et pour la protection de l'enfance sous quelque forme que ce soit », elle développe en se justifiant d'un intérêt direct car elle agit dans la défense des intérêts collectifs dont elle a la charge au regard de son objet social. Ainsi, la cour d'appel a violé les articles 66, 325, 328 et 554 du code de procédure civile ensemble les articles 6 et 13 de la Convention puisqu'elle a estimé que l'association était irrecevable car l'intérêt collectif défendu « n'est pas légitime au regard de la nature de l'affaire relative à l'état d'un enfant, instruite et débattue en chambre du conseil, après avis du ministère public »

Cinquièmement, la cour d'appel a ajouté une condition à la recevabilité de l'intervention que la loi ne contient pas car elle a déclaré l'association irrecevable du point de vue de son objet et aux motifs de l'intérêt collectif qu'elle défend. La cour d'appel a violé les articles 325, 328, 554 et 1170 du code de procédure civile ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation rend un arrêt le 16 mars 2016 dans lequel elle rejette le pourvoi.
Elle constate que l'opposition de l'association à la demande d'adoption et à la confirmation du jugement démontre que l'association n'élevait aucune prétention à son profit.
Elle considère également que l'association ne justifiait d'aucun intérêt légitime à intervenir dans une procédure d'adoption.
Ainsi pour la cour de cassation, la cour d'appel a légitimement fondée sa décision.


La 1ère chambre civile de la cassation a rendu 4 arrêts sur ce même sujet le 16 mars 2016 (n°15- 10.576, n° 15-10.577, n° 15-10.578 et n° 15-10.579).

Ces 4 arrêts sont le produit des pourvois formés contre les arrêts de la cour d'appel de Versailles du 11 décembre 2014 (n° 14/03684 et n° 14/04244). Cette dernière, tout comme la Cour de cassation, a considéré que ne justifie pas d'un intérêt légitime à intervenir dans une procédure d'adoption d'un enfant par le conjoint homosexuel, une association qui, œuvrant pour la protection de l'enfance, se borne à s'opposer à une telle demande d'adoption.

Cependant, il existait des hésitations sur la solution. En effet la cour d'appel de Rennes a rendu deux arrêts le 7 mars 2016 (n° 15/ 855° et n° 15/03 859) à propos de la transcription de l'acte de naissance étranger sur les actes d'état civil français d'un enfant né d'une mère porteuse. Dans l'un des arrêts, elle déclare irrecevable l'intervention volontaire de l'association JPE alors que dans l'autre, elle la déclare recevable.

Cette contradiction est due au fait que dans un cas, le ministère public a changé de position devant la cour d'appel, ainsi seule l'association demandait l'annulation du jugement de première instance qui ordonnait la transcription de l'acte de naissance. La cour d'appel de Rennes, en a déduit que cette intervention était à titre principal or celle-ci est exclue dans une instance mettant en œuvre une action attitrée, strictement personnelle au demandeur originaire.

Dans l'autre cas, l'association JPE demandait, tout comme le ministère public, l'infirmation du jugement de première instance. La cour d'appel de Rennes a constaté que l'intervention était recevable car elle était accessoire. La cour explique que l'association appuie les prétentions du procureur de la République et considère que « la condition de lien suffisant avec article 325 du CPC n'exige qu'un lien avec les prétentions des parties et non avec les parties elles-mêmes ».

Dans l'arrêt du 16 mars 201Coura cour de cassation ne fait pas de distinction entre intervention principale et intervention accessoire. Elle déclare toutes les interventions volontaires de l'association irrecevables. Il est possible que la cour ait omis de faire cette distinction afin que la portée de sa solution s'applique aux interventions principales comme aux interventions accessoires. Cela permettrait de contredire l'arrêt de la cour d'appel de Rennes qui admet l'intervention volontaire accessoire de l'association.

La 1ère chambre civile explique également que l'association n'a pas d'intérêt légitime à agir puisqu'elle n'invoquait que la défense d'intérêts collectifs et en aucun cas la défense d'un intérêt personnel.
Avec cet arrêt, elle affirme l'exclusion des interventions volontaires de tout groupement dans les procédures d'adoption. En effet, une association n'a pas d'intérêt dans le cadre d'une procédure relative à l'état civil d'une personne physique avec lequel elle n'a pas de lien. De plus cette immixtion dans des actions privées et familiales n'est pas souhaitable puisque l'intérêt général est déjà représenté par le ministère public.

La portée de l'arrêt peut aussi s'étendre à des procédures relatives à l'état des personnes autres que celles visant l'adoption puisque la cour d'appel de Versailles parlait de « la nature de l'affaire relative à l'état de l'enfant ».

Liens :



A.L.B

CEDH 21 janvier 2016 n°29313/10 Affaire De Carolis et France Télévisions contre France

La liberté d'expression, ou liberté de communication, concernait, lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la parole et l'écrit. L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme a défini cette liberté de façon plus générale, soit en précisant qu'elle recouvre la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées. Cette liberté fonde l'existence de la presse, mais elle suppose aussi des limites, c'est l'exemple de la diffamation réprimandée par le droit français. Ce dernier impose des conditions très strictes, il est difficile pour un journaliste attaqué à ce sujet de prouver que ses propos ne sont pas diffamants. Au contraire, la Cour européenne des droits de l'homme applique des règles beaucoup plus souples. L'arrêt De Carolis et France Télévisions contre France atteste de cette différence d'appréciation.

                Un reportage est diffusé sur la chaîne de télévision France 3 le 8 septembre 2006. Il traite des attentats du 11 septembre 2001 et particulièrement du financement et des soutiens de l'organisation à l'origine des attentats, Al-Qaïda. Le prince Turki Al Faysal est cité et désigné par des personnes interrogées comme un des soutiens majoritaires de l'organisation au moment des attentats et il aurait contribué financièrement à son développement.

Le Prince, en qualité de demandeur, attaque la chaîne, son directeur et la journaliste du reportage qui ont la qualité de défendeurs. Ces derniers se défendent en utilisant l'argument de la bonne foi. Le tribunal correctionnel de Paris rend un jugement le 2 novembre 2007 où il déclare les défendeurs coupables de diffamation publique envers le demandeur. Il évoque le devoir de prudence et d'objectivité qui doit s'attacher à la relation d'accusations lorsque ces accusations n'ont pas encore été examinées par un tribunal.

Les défendeurs interjettent appel. La cour d'appel de Paris confirme le jugement dans un arrêt du 1er octobre 2008. Elle explique que la réalisatrice a pris le parti d'accuser l'intimé alors qu'aucun jugement à son encontre n'a été rendu. Ainsi, elle a manqué d'objectivité, car le reportage ainsi monté ne peut qu’induire à penser le téléspectateur que l'intimé est coupable des faits allégués. Pour la cour, il est porté atteinte à son honneur et à sa considération ; et elle ajoute que la journaliste aurait dû faire preuve d'une particulière prudence.
Les appelants forment un pourvoi en cassation. Dans un arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant que le raisonnement de la cour d'appel est le bon. Elle précise que la liberté d'expression comporte des limites, soit des restrictions ou sanctions, pour permettre la protection de la réputation des droits d'autrui et de la présomption d'innocence.

Les requérants saisissent la Cour européenne des droits de l'homme, ils estiment que leur droit à la liberté d'expression a été violé en se fondant sur l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme. La cour déclare recevable leur requête.

Pour les requérants, le reportage respectait la déontologie journalistique et permettait d'informer le public sur des questions politiques et d'intérêt général. Un débat contradictoire a aussi eu lieu, car la parole a été aussi donnée au Prince qui s'est contenté de répondre aux questions évasivement.
Ensuite, ils contestent toute dissimulation d'éléments en faveur du Prince puisque ce dernier a eu la possibilité de s'exprimer et l'interview du sous secrétaire d'État américain de 2002 à 2005 dégageait le Prince de toute responsabilité.
De plus, pour eux, la Cour de cassation n'a pas mis en balance les données pertinentes lui permettant de résoudre le conflit entre le droit de communiquer des informations d'intérêt général et la protection de la réputation des droits d'autrui. Elle devait également prendre en compte le statut du Prince qui a été le directeur des services de renseignement de l'Arabie Saoudite puis ambassadeur aux États-Unis puisque les limites de la critique admissible sont plus larges pour les hommes politiques et les fonctionnaires que pour les simples particuliers.
Pour finir, ils estiment que l'amende pour diffamation et le communiqué de presse judiciaire sur la chaîne de télévision sont des pressions dirigées vers la presse pour l'inciter à ne pas enquêter sur des personnes puissantes et influentes dans l'exercice de leurs fonctions.

Le gouvernement français se défend en énonçant les articles 23, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui a permis de condamner les requérants. Il reconnaît une ingérence dans leur droit à la liberté d'expression, mais celle-ci se justifie par le paragraphe 2 de l'article 10 de la convention qui pose des limites.
Il justifie la nécessité de la mesure dans une société démocratique, tel que l'énonce le paragraphe 2, en expliquant que les accusations envers le Prince sont d'une extrême gravité.
Il ajoute que les juridictions internes ont à bon droit analysé le reportage comme partial et sans prudence, que la bonne foi des requérants doit être écartée et qu'ils n'ont pas prouvé les éléments qu'ils allèguent sur le Prince.
Enfin, il n'y a pas de risque que les sanctions aient un effet dissuasif sur la presse et elles sont proportionnées vu l'atteinte causée à la réputation du Prince.

Dans son appréciation, la CEDH énonce des passages de l'arrêt Morice contre France du 23 avril 2015 (n°29369/10) afin de rappeler sa jurisprudence. En effet, elle rappelle par ces extraits les principes généraux qui permettent d'apprécier la nécessité d'une ingérence donnée dans l'exercice de la liberté d'expression. Ainsi, elle cite des passages dont l'un explique que la marge d'appréciation de la liberté d'expression d'un État subit un contrôle européen et que cette ingérence doit être proportionnée à l'affaire. Dans le deuxième extrait, elle ajoute que les jugements de valeur doivent dépendre d'une "base factuelle" suffisante car à défaut, ils s'avéreraient excessifs. Dans la dernière citation, elle explique que les peines infligées doivent être prises en compte pour mesurer la proportionnalité de l'ingérence.

Ensuite, la cour rappelle le rôle de chien de garde de la presse qui est indispensable dans une société démocratique, la marge d'appréciation des États est réduite par ce rôle bien que les journalistes doivent faire preuve de bonne foi.

Dans un second temps, la cour applique ces principes généraux à l'affaire.
Pour la cour, la condamnation pénale des requérants constitue une ingérence dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression.
Elle se pose la question de savoir si cette ingérence était "nécessaire dans une société démocratique". Elle précise que pour répondre à la question, elle doit examiner si l'ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes étaient pertinents et suffisants.
La cour constate que la marge d'appréciation de l'État était réduite, car le reportage portait sur un sujet sérieux et le Prince étant un personnage public, les limites à la critique sont plus larges que pour un simple particulier. Elle continue en expliquant que les propos incriminés étaient des jugements de valeur et non pas des déclarations de fait. De suite, elle se pose la question de savoir si la base factuelle sur laquelle reposent ces jugements était suffisante et y répond par l'affirmative.
Pour les termes dits diffamants par le Prince, la cour estime qu'il n'y en a pas puisque la journaliste a utilisé du conditionnel et le terme de "présumé soutien". De plus, les juridictions n'ont pas à se substituer à la presse et à exprimer leur avis sur la technique à utiliser pour le montage des séquences.
Sur la partialité de la journaliste, la cour estime qu'on ne peut pas demander aux journalistes '"qu'ils se distancient systématiquement et formellement du contenu d'une citation qui pourrait insulter des tiers, les provoquer ou porter atteinte à leur honneur".
Ainsi, elle déclare que le reportage faisait preuve d'un journalisme responsable.
Pour finir, la cour mentionne que les sanctions pénales, même très modérées, peuvent avoir un effet dissuasif dans l'exercice de la liberté d'expression. Les peines prononcées envers les requérants sont disproportionnées.

En conclusion, elle déduit de tous ces éléments que l'ingérence n'était pas nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 10 de la Convention, la condamnation s'analysant comme une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression des requérants.


En France, la loi du 29 juillet 1881 est le texte fondamental en matière de presse, il permet de créer librement un journal. Afin d'éviter des dérives, des limites aux droits d'autrui ont été fixées dans la loi, appelées délits de presse, dont celui de la diffamation. La diffamation comporte l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ou d'un corps. Dans l'affaire, le Prince soutient une atteinte à son honneur. Pour se défendre d'une accusation de diffamation, il existe deux moyens, la preuve de la vérité des faits et la preuve de la bonne foi. Pour convaincre un tribunal de sa bonne foi, le journaliste doit prouver qu'il avait un but légitime, c'est-à-dire montrer que l'imputation diffamatoire était utile à l'information du public, qu'il était sincère et qu'il a fait preuve de prudence et d'objectivité, soit que l'enquête a été honnêtement menée. La jurisprudence française en la matière à une conception restrictive de la liberté d'expression et la preuve de la bonne foi est souvent peu retenue. Cela peut paraître éloigné des exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur la liberté d'expression.

De son côté, la CEDH consacre la fonction de la presse comme un outil nécessaire au débat démocratique. Elle utilise même l'expression de "chien de garde de la démocratie" pour définir la presse depuis l'arrêt Guardian & Observer contre Royaume-Uni du 26 novembre 1991. En effet, une société démocratique ne peut exister s'il n'y a pas de lieux de débats.
Le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme pose des limites à la liberté de la presse. La cour laisse une marge d'appréciation nationale aux États pour s'ingérer dans la liberté d'expression de la presse, mais elle se permet de contrôler la nécessité des restrictions litigieuses dans une société démocratique. Elle précise cela dans l'arrêt Handyside du 7 décembre 1976. Dans le même arrêt, elle explique ce que suppose une société démocratique, c'est-à-dire le pluralisme, la tolérance et l'ouverture d'esprit. Cela veut dire que la liberté d'expression vaut aussi bien pour les idées inoffensives ou inopérantes que pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'opinion et les pouvoirs publics. De plus, l'arrêt Lingens du 8 juillet 1986 a énoncé qu'un homme politique doit se montrer plus tolérant envers les attaques dont il est l'objet qu'un particulier ordinaire. La cour a aussi donné la signification du mot « nécessaire » que l'on trouve dans l'expression "outil nécessaire au débat démocratique", elle explique que s'il n'est pas synonyme d'indispensable, il ne signifie pas non plus « admissible, « opportun » ou encore « raisonnable » et il implique un besoin social impérieux. Elle se sert de ce mot dans l'arrêt étudié afin de vérifier la proportionnalité de l'ingérence de l'Etat par rapport au but légitime poursuivi.
Sur son contrôle des ingérences dans la liberté d'expression, la cour laisse une marge d'appréciation nationale aux États bien qu'elle souhaite faire prévaloir un ordre public européen. Elle réduit plus ou moins la marge d’appréciation des États selon les cas. Dans l'arrêt, elle constate que la marge d'appréciation de la France "se trouvait notablement réduite".
Quant aux affaires relatives à la presse, la cour affirme depuis l'arrêt Jersild contre Danemark du 23 septembre 1994 que la liberté d'expression passe par la liberté du mode d’expression des idées : « Il n’appartient pas à la Cour, ni aux juridictions nationales d’ailleurs, de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte-rendu les journalistes doivent adopter ». Elle réaffirme ce principe dans l'affaire De Carolis.
Du point de vue de la sanction pénale infligée par la France à la chaîne et à son directeur, la cour considère que peu importe sa gravité, peu importe son exécution ou non, elle est toujours analysée comme étant une atteinte constitutive à la liberté d'expression appelant une justification particulièrement forte.
La CEDH a une conception de la liberté d'expression différente de celle du droit français, en effet, elle laisse à la presse beaucoup plus de liberté dans l’exercice de son métier.

Liens :




A.L.B

jeudi 19 mai 2016

Loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées



L’adoption définitive

La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel a été adoptée en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 6 avril 2016 au terme de deux années de vifs débats. Ce vote, qui reprend un engagement de François Hollande lors de sa campagne présidentielle de 2012, met fin à un long parcours parlementaire commencé en décembre 2013.
Se prostituer n’est plus un délit mais payer pour un acte sexuel le devient.
En effet, la loi abroge le délit de racolage (225-10-1 du code pénal) instauré par Nicolas Sarkozy en 2003. Par conséquent toutes les références à l’article 225-10-1 au sein du code pénal sont supprimées et celui-ci se trouve ainsi modifié du fait de l’abrogation du délit en question. Par conséquent, la section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :

-               - Après le mot « prostitution la fin de l’intitulé est supprimée
-          L’article 225-12-1 est ainsi rédigé : « Lorsqu’il est commis en récidive dans les conditions prévues au second alinéa de l'article 132-11, le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage est puni de 3 750 € d'amende.
Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. « 
-          Aux premier et dernier alinéas de l'article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l'article 225-12-1 » ;
-          À l'article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et à l'article 
-          À la troisième phrase du sixième alinéa de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l'article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».

Parallèlement à l’abrogation du délit de racolage la loi instaure une contravention de cinquième classe sanctionnant le recours à la prostitution dans son article 20. Concrètement est puni « Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe«. Autrement dit le texte pénalise désormais les clients de prostituées passibles d'une amende de 1 500 € et de 3 750 € d'amende en cas de récidive. Une peine complémentaire de « suivi d'un stage de sensibilisation aux conditions d'exercice de la prostitution » est également créée.

L’accompagnement des prostituées
A la suite des travaux de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, la proposition de loi tend à mettre à place un nouveau dispositif de lutte contre la prostitution.
Pour cela, les mesures prévues sont les suivantes :
Pour les personnes victimes de la prostitution, le texte prévoit le droit de bénéficier d'un système de protection et d'assistance et met en place un parcours de sortie de la prostitution. Une instance chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains sera créée au sein des conseils départementaux.
Un fonds dédié à la prévention de la prostitution et à l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées doit être mis en place.
En contrepartie, les personnes étrangères engagées dans un parcours de sortie de la prostitution se verront délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois.
L'abrogation du délit de racolage entrera en vigueur six mois après la promulgation de la loi.

Quatre passages devant l’assemblée
Le texte a été approuvé par 64 voix contre 12 et 11 abstentions, mais il a divisé sur presque tous les bancs. Si les députés PS et Front de gauche le soutenaient dans l’ensemble, une majorité des Républicains penchaient pour l’abstention, alors que l’UDI avait laissé la liberté de vote. Une majorité des radicaux de gauche et des écologistes étaient également défavorables au texte.
Il s’agissait du quatrième et dernier passage de cette proposition de loi devant l’Assemblée. Le Sénat avait en effet auparavant à chaque fois rejeté ce texte, mais les députés avaient le dernier mot.

Une avancée majeure pour le droit des femmes 
La suppression du délit de racolage et la pénalisation des clients de prostituées sont deux avancées majeures pour les droits des femmes. Députés et sénateurs n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur la principale mesure du texte, la pénalisation des clients. Mais, in fine, ce sont les députés qui auront le dernier mot et imposeront cette mesure.
« L’achat d’acte sexuel » sera sanctionné par une amende de 1 500 euros maximum. En cas de récidive, celle-ci pourra s’élever à 3 750 euros.

Le texte, inspiré de Suède, qui pénalise les clients depuis 1999, crée aussi une peine complémentaire sous la forme d’un stage de sensibilisation aux conditions de la prostitution.

En pénalisant les clients de prostituées, le législateur met la France en cohérence avec la loi de 1981 sanctionnant le crime de viol défini comme « un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise »
L'Assemblée Nationale a en effet reconnu aujourd'hui que la pénétration sexuelle contre argent est de nature contrainte ; donc que la prostitution constitue une violence, et qu'il est ainsi logique que l'auteur de cette relation sexuelle imposée -le "client"- soit pénalisé.
La France devient ainsi le cinquième pays européen à pénaliser les clients de prostituées, après la Suède, pionnière dès 1999, la Norvège, l’Islande et le Royaume Unie.

TC