dimanche 12 juin 2016


Cour de cassation, crim, 18 novembre 2015

Pourvoi n° 14-85591

L'élément intentionnel du délit de harcèlement sexuel



Le harcèlement sexuel a été crée en 1992 avec une condition tendant à l'existence d'un rapport d'autorité entre l'auteur et la victime. Cette condition est supprimée par la loi du 17 janvier 2002 qui fixe une définition du harcèlement sexuel indépendamment de toute considération de relation de travail. Le délit de harcèlement sexuel est alors défini comme le fait de harceler autrui pour obtenir des faveurs sexuelles. Puis le Conseil Constitutionnel, dans une décision QPC du 4 mai 2012, indique que les éléments constitutifs ne sont pas suffisamment établis. L'exigence de clarté et de précision des textes faisant défaut, il abroge l'article. C'est l'occasion de réaffirmer le principe de légalité du droit pénal en développant son contrôle. Trois mois plus tard, la loi du 6 août 2012 réincrimine le délit de harcèlement sexuel. Elle en donne une définition plus précise à l'article 222-33 du Code pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 18 novembre 2015 précise les contours moraux de cette infraction.

Deux salariées d'un magasin d'alimentation sont employées en contrat à durée déterminée, le 26 novembre 2012 pour l'une, et le 15 octobre 2012 pour l'autre. Leur chef de rayon adopte un comportement insistant à leur égard, renouvelle ses invitations malgré le refus de celles-ci, leur exprime des propositions explicites et implicites de nature sexuelle et tente des rapprochements physiques. Ces avances insistantes et renouvelées, de façon verbale ou par message électronique (SMS), ont installé une ambiance malsaine provoquant la crainte des deux salariées de se retrouver seules avec leur collègue et entraînant chez l’une d'elles un stress quotidien et un état dépressif. Elles alertent l'inspection du travail de cette situation et portent plainte contre lui pour harcèlement sexuel.

Celui ou celle qui se prétend victime de harcèlement sexuel peut déposer plainte auprès du Procureur de la République. Il appartient au parquet de poursuivre ou pas. Le ministère public met l'action publique en mouvement dans le procès lorsqu'il choisit de poursuivre.

Le délit de harcèlement sexuel est réprimé et sanctionné par l'article 222-33 du Code pénal. Ce texte donne les éléments constitutifs de cette infraction. Pour qu'elle soit constituée, l'article 222-3, I prévoit que l'auteur doit imposer à une personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle, soit portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant. L'article 222-3, II prévoit quant à lui que le harcèlement sexuel est établi, même en l'absence de répétition, lorsqu'il s'accompagne d'ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autres formes de pression graves accomplis dans le but réel ou apparent d'obtenir une relation de nature sexuelle, à son profit ou au profit d'un tiers. Dans le cadre du I dudit article, les propos ou actes à connotation sexuelle sont les moyens qu'utilise l'auteur pour nuire à la victime, sans rechercher réellement ses faveurs ; alors que dans le cadre du II du même article les pressions permettent d'obtenir les faveurs sexuelles de la victime.

En l'espèce, les poursuites à l'encontre du chef de rayon sont fondées sur le §1 de l'article 222-33.

Le tribunal correctionnel déclare coupable le chef de rayon du délit de harcèlement sexuel et le condamne à payer 1 500 euros d'amende.

Le chef de rayon du magasin interjette appel. La Cour d'appel de Poitiers, le 3 juillet 2014, confirme le jugement.

La Cour d'appel recherche si les éléments de faits de l'article 222-33 sont réunis en l'espèce. Elle constate que le chef de rayon a continué ses agissements en dépit des refus réitérés de ses collègues. Les intimées se plaignent de la répétition des invitations et du comportement de l'appelant, et notamment d'avances formulées verbalement ou pas message électronique de nature sexuelle et de tentatives de contact physique. Ces agissements ont provoqué une situation de malaise et de crainte pour les victimes. La Cour d'appel précise également que les deux salariées étaient professionnellement les subordonnées du chef de rayon. Ainsi, les juges du fond démontrent que l'appelant a imposé à ses collègues de façon répétée des gestes et propos à connotation sexuelle créant à leur égard une situation intimidante, hostile et offensante. L'élément matériel de l'infraction de harcèlement sexuel se trouve constitué.

L'appelant reconnaît les propos de nature sexuelle qu'il a tenus aux deux salariées sur leur lieu de travail mais réfute le fait d'avoir insisté. La Cour d'appel en déduit qu'il a une mauvaise appréciation de son comportement. Elle souligne cependant que les messages électroniques entre le chef de rayon et l'une des salariées indiquent clairement les intentions de celui-ci. Elle déclare que l'élément moral de l'infraction est constitué lui-aussi.
Le chef de rayon forme un pourvoi en cassation. La chambre criminelle de la Cour de cassation, le 18 novembre 2015, rejette le pourvoi et approuve l'interprétation fidèle de la Cour d'appel des éléments constitutifs prévus à l’article 222-33 du Code pénal.

Le demandeur au pourvoi invoque la violation de l'article 121-3 et 222-33 du Code pénal. L'article 121-3 dispose que l'intention de commettre un crime ou un délit est nécessaire pour qu'ils soient constitués. Le demandeur invoque ce texte et précise que pour que le harcèlement sexuel soit établi, l'auteur doit avoir conscience d'imposer ses actes à la victime. Il conteste l'élément intentionnel de l'infraction déclaré constitué par la Cour d'appel. Le chef de rayon reproche aux juges du fond de l'avoir jugé coupable alors qu'ils avaient retenu qu'en déclarant n'avoir pas insisté il avait une mauvaise appréciation de son comportement. Par conséquent, selon le demandeur, il n'avait pas conscience d'avoir imposé ses propos et comportements à connotation sexuelle aux défenderesses. Cela suffisait à démontrer la mauvaise appréciation qu’il avait faite de son comportement.

La chambre criminelle en rejetant le pourvoi au visa de l'article 121-3 du Code pénal, réaffirme la nécessité de caractériser l'élément moral de l'infraction. Elle déclare que le demandeur qui, même s'il a mésestimé la portée de ses agissements, a agi en connaissance de cause en imposant des actes à connotation sexuelle aux victime, est coupable de harcèlement sexuel. Elle déduit de la répétition des propositions et de l'insistance du refus des victimes, la volonté et la conscience de l'auteur de harceler. La qualification des faits de harcèlement sexuel suppose un acte conscient mais le fait que le demandeur ait méconnu la portée de ses agissements est sans conséquence sur la caractérisation de l'infraction. Le comportement visé par l’élément matériel de l'infraction suffit à caractériser l’élément intentionnel, peu importe que l’auteur des faits délictueux ait eu ou non, conscience de commettre l’infraction. La portée du comportement du demandeur n'est pas prise en considération. La Cour de cassation n'exige pas que l'auteur de l'infraction ait spécialement voulu placer les victimes dans une situation intimidante, hostile ou offensante. Elle prend simplement en compte la conscience de formuler des propos ou d'avoir un comportement à connotation sexuelle. Il semble donc indifférent que l'auteur n'ait pas voulu le résultat qu'il a engendré. Dans une telle situation le prévenu semblerait dans l'incapacité de rapporter la preuve lui permettant de se disculper c'est-à-dire prouver qu'il n'a pas voulu créer à l'encontre de la victime un environnement intimidant, hostile ou offensant.
Les faits sanctionnés de l'espèce se sont déroulés sur le lieu de travail des deux victimes. Le Code du travail prohibe également le harcèlement sexuel à l'article L1153-3. Cet article précise qu'aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel. Il reprend les éléments constitutifs du Code pénal pour le caractériser. Le Code du travail protège la victime. L'article L1153-4 prévoit que sont nuls de plein droit toute disposition ou tout acte contraire à l'interdiction de harcèlement sexuel. L'article L1152-2 dispose que les salariés victimes de harcèlement sexuel ne peuvent faire l'objet d'aucune sanction. En cas de licenciement par exemple, la sanction est nulle. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation estime que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des salariés. En cas de manquement de l'employeur dans son obligation de résultat en matière de harcèlement sexuel, le salarié a droit à une réparation de son préjudice distincte de celle due en raison du harcèlement sexuel subi.
 
 
C.C

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire