Cour de
cassation, crim, 18 novembre 2015
Pourvoi
n° 14-85591
L'élément intentionnel du délit de harcèlement sexuel
Le harcèlement sexuel a
été crée en 1992 avec une condition tendant à l'existence d'un
rapport d'autorité entre l'auteur et la victime. Cette condition est
supprimée par la loi du 17 janvier 2002 qui fixe une définition du
harcèlement sexuel indépendamment de toute considération de
relation de travail. Le délit de harcèlement sexuel est alors
défini comme le fait de harceler autrui pour obtenir des faveurs
sexuelles. Puis le Conseil Constitutionnel, dans une décision QPC du
4 mai 2012, indique que les éléments constitutifs ne sont pas
suffisamment établis. L'exigence de clarté et de précision des
textes faisant défaut, il abroge l'article. C'est l'occasion de
réaffirmer le principe de légalité du droit pénal en développant
son contrôle. Trois mois plus tard, la loi du 6 août 2012
réincrimine le délit de harcèlement sexuel. Elle en donne une
définition plus précise à l'article 222-33 du Code pénal. La
chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 18
novembre 2015 précise les contours moraux de cette infraction.
Deux salariées d'un
magasin d'alimentation sont employées en contrat à durée
déterminée, le 26 novembre 2012 pour l'une, et le 15 octobre 2012
pour l'autre. Leur chef de rayon adopte un comportement insistant à
leur égard, renouvelle ses invitations malgré le refus de
celles-ci, leur exprime des propositions explicites et implicites de
nature sexuelle et tente des rapprochements physiques. Ces avances
insistantes et renouvelées, de façon verbale ou par message
électronique (SMS), ont installé une ambiance malsaine provoquant
la crainte des deux salariées de se retrouver seules avec leur
collègue et entraînant chez l’une d'elles un stress quotidien et
un état dépressif. Elles alertent l'inspection du travail de cette
situation et portent plainte contre lui pour harcèlement sexuel.
Celui ou celle qui se
prétend victime de harcèlement sexuel peut déposer plainte auprès
du Procureur de la République. Il appartient au parquet de
poursuivre ou pas. Le ministère public met l'action publique en
mouvement dans le procès lorsqu'il choisit de poursuivre.
Le
délit de harcèlement sexuel est réprimé et sanctionné par
l'article 222-33 du Code pénal. Ce texte donne les éléments
constitutifs de cette infraction. Pour qu'elle soit constituée,
l'article 222-3, I prévoit que l'auteur doit imposer à une
personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres
actes à connotation sexuelle, soit portant atteinte à sa dignité
en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant
pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant.
L'article 222-3, II prévoit quant à lui que le harcèlement sexuel
est établi, même en l'absence de répétition, lorsqu'il
s'accompagne d'ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autres
formes de pression graves accomplis dans le but réel ou apparent
d'obtenir une relation de nature sexuelle, à son profit ou au profit
d'un tiers. Dans le cadre du I dudit article, les propos ou actes à
connotation sexuelle sont les moyens qu'utilise l'auteur pour nuire à
la victime, sans rechercher réellement ses faveurs ; alors que
dans le cadre du II du même article les pressions permettent
d'obtenir les faveurs sexuelles de la victime.
En
l'espèce, les poursuites à l'encontre du chef de rayon sont fondées
sur le §1 de l'article 222-33.
Le
tribunal correctionnel déclare coupable le chef de rayon du délit
de harcèlement sexuel et le condamne à payer 1 500 euros d'amende.
Le chef de rayon du
magasin interjette appel. La Cour d'appel de Poitiers, le 3 juillet
2014, confirme le jugement.
La Cour d'appel
recherche si les éléments de faits de l'article 222-33 sont réunis
en l'espèce. Elle constate que le chef de rayon a continué ses
agissements en dépit des refus réitérés de ses collègues. Les
intimées se plaignent de la répétition des invitations et du
comportement de l'appelant, et notamment d'avances formulées
verbalement ou pas message électronique de nature sexuelle et de
tentatives de contact physique. Ces agissements ont provoqué une
situation de malaise et de crainte pour les victimes. La Cour d'appel
précise également que les deux salariées étaient
professionnellement les subordonnées du chef de rayon. Ainsi, les
juges du fond démontrent que l'appelant a imposé à ses collègues
de façon répétée des gestes et propos à connotation sexuelle
créant à leur égard une situation intimidante, hostile et
offensante. L'élément matériel de l'infraction de harcèlement
sexuel se trouve constitué.
L'appelant reconnaît
les propos de nature sexuelle qu'il a tenus aux deux salariées sur
leur lieu de travail mais réfute le fait d'avoir insisté. La Cour
d'appel en déduit qu'il a une mauvaise appréciation de son
comportement. Elle souligne cependant que les messages électroniques
entre le chef de rayon et l'une des salariées indiquent clairement
les intentions de celui-ci. Elle déclare que l'élément moral de
l'infraction est constitué lui-aussi.
Le chef de rayon forme
un pourvoi en cassation. La chambre criminelle de la Cour de
cassation, le 18 novembre 2015, rejette le pourvoi et
approuve
l'interprétation fidèle de la Cour d'appel des éléments
constitutifs prévus à l’article 222-33 du Code pénal.
Le demandeur au pourvoi
invoque la violation de l'article 121-3 et 222-33 du Code pénal.
L'article 121-3 dispose que l'intention de commettre un crime ou un
délit est nécessaire pour qu'ils soient constitués. Le demandeur
invoque ce texte et précise que pour que le harcèlement sexuel soit
établi, l'auteur doit avoir conscience d'imposer ses actes à la
victime. Il conteste l'élément intentionnel de l'infraction déclaré
constitué par la Cour d'appel. Le chef de rayon reproche aux juges
du fond de l'avoir jugé coupable alors qu'ils avaient retenu qu'en
déclarant n'avoir pas insisté il avait une mauvaise appréciation
de son comportement. Par conséquent, selon le demandeur, il n'avait
pas conscience d'avoir imposé ses propos et comportements à
connotation sexuelle aux défenderesses. Cela suffisait à démontrer
la mauvaise appréciation qu’il avait faite de son comportement.
La chambre criminelle en
rejetant le pourvoi au visa de l'article 121-3 du Code pénal,
réaffirme la nécessité de caractériser l'élément moral de
l'infraction. Elle déclare que le demandeur qui, même s'il a
mésestimé la portée de ses agissements, a agi en connaissance de
cause en imposant des actes à connotation sexuelle aux victime, est
coupable de harcèlement sexuel. Elle déduit de la répétition des
propositions et de l'insistance du refus des victimes, la volonté et
la conscience de l'auteur de harceler. La qualification des faits de
harcèlement sexuel suppose un acte conscient mais le fait que le
demandeur ait méconnu la portée de ses agissements est sans
conséquence sur la caractérisation de l'infraction. Le comportement
visé par l’élément matériel de l'infraction suffit à
caractériser l’élément intentionnel, peu importe que l’auteur
des faits délictueux ait eu ou non, conscience de commettre
l’infraction. La portée du comportement du demandeur n'est pas
prise en considération. La Cour de cassation n'exige pas que
l'auteur de l'infraction ait spécialement voulu placer les victimes
dans une situation intimidante, hostile ou offensante. Elle prend
simplement en compte la conscience de formuler des propos ou d'avoir
un comportement à connotation sexuelle. Il semble donc indifférent
que l'auteur n'ait pas voulu le résultat qu'il a engendré. Dans une
telle situation le prévenu semblerait dans l'incapacité de
rapporter la preuve lui permettant de se disculper c'est-à-dire
prouver qu'il n'a pas voulu créer à l'encontre de la victime un
environnement intimidant, hostile ou offensant.
Les faits sanctionnés
de l'espèce se sont déroulés sur le lieu de travail des deux
victimes. Le Code du travail prohibe également le harcèlement
sexuel à l'article L1153-3. Cet article précise qu'aucun salarié
ne doit subir des faits de harcèlement sexuel. Il reprend les
éléments constitutifs du Code pénal pour le caractériser. Le Code
du travail protège la victime. L'article L1153-4 prévoit que sont
nuls de plein droit toute disposition ou tout acte contraire à
l'interdiction de harcèlement sexuel. L'article L1152-2 dispose que
les salariés victimes de harcèlement sexuel ne peuvent faire
l'objet d'aucune sanction. En cas de licenciement par exemple, la
sanction est nulle. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour
de cassation estime que l'employeur est tenu d'une obligation de
sécurité de résultat vis-à-vis des salariés. En cas de
manquement de l'employeur dans son obligation de résultat en matière
de harcèlement sexuel, le salarié a droit à une réparation de son
préjudice distincte de celle due en raison du harcèlement sexuel
subi.
C.C