vendredi 26 décembre 2014

ADMINISTRATIF / Dignité : Ordonnance du 11 décembre 2014, Centre Dumas-Pouchkine des Diasporas et Cultures Africaines


Faits :
Une exposition est programmée à Paris sous le nom d’« Exibit-B » par un établissement public. Elle a pour but de dénoncer la violence à l’égard des populations noires et la négation de leurs droits civils durant l’époque coloniale et sous le régime de l’apartheid en Afrique du sud. Cette exposition se présente sous la forme d’artistes immobiles qui constituent des tableaux vivants de situations de violence et d’oppression illustrant cette période. Des associations de lutte contre le racisme ont vu dans cette exposition une référence aux zoos humains dans la mesure où les individus noirs y sont « exposés » comme des animaux. C’est donc la réification de l’être humain qui a choqué ces associations.


Contexte :
Le référé liberté a été créé par la loi du 30 juin 2000. Il est codifié dans le code de justice administrative à l’article L. 521-2 (« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »).


Procédure :
Les associations opposées à cette exposition ont formé un référé-liberté devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin de demander sa suspension. Elles invoquaient une violation de la dignité humaine qu’elles estimaient suffisamment grave pour justifier une atteinte à la liberté d’expression de l’artiste.


Le tribunal de Paris a rejeté leur demande aux motifs que, d’une part, « les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées », et que, d’autre part, le référé liberté ne peut s’exercer que contre une décision de l’administration portant atteinte à une liberté fondamentale. Ce n’était pas le cas en l’espèce.


Les requérantes déboutées ont formé appel de la décision devant le juge des référés du Conseil d’Etat.


Décision :
Le juge des référés du Conseil d’Etat par une ordonnance du 11 décembre 2014 confirme la décision du tribunal au motif que « l’absence d’interdiction, par l’autorité administrative, de cette manifestation, ne portait aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine ».


Portée de l’ordonnance :
Par cette décision, le Conseil d'État se montre favorable à la liberté d’expression en retenant que, ne peut constituer une atteinte à la dignité, la seule abstention de l’administration.


Toutefois, cette décision montre un dévoiement de la notion d’ordre public par la référence au dignité. Elle s’inscrit dans une mouvance jurisprudentielle du Conseil d'État qui retient une approche liberticide de la dignité en opposition avec la conception de dignité-liberté « kantienne ». Cette jurisprudence est née avec l’affaire dite du « lancer de nains » (CE Ass., 27 oct. 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) et ne s’est manifestée qu’à deux reprises en près de vingt ans (CE Ord., 5 janv. 2007, Association Solidarité des Français et Avis CE, 16 févr. 2009, Madame Hoffman), avant de revenir en force dans l’affaire Dieudonné (CE Ord., 9 janv. 2014, Ministre de l’intérieur c/ SARL Les productions de la et M. Dieudonné M’Bala M’Bala).


En effet, bien que le Conseil d’Etat n’ait pas accueilli la demande des associations dans cette affaire, il considère toujours que la notion de dignité peut justifier une atteinte à la liberté d’expression au même titre que les autres composantes de l’ordre public (constituées par la sécurité, la tranquillité, la salubrité et la moralité), si contestable soit-elle et si rares soient les occasions de sa manifestation.


Liens :



RL

mercredi 3 décembre 2014

Décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014


Décision n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014

        § 1 : Rappel de l’actualité juridique

La procédure pénale spécifique à la criminalité organisée (art 706-73 CPP) suscite beaucoup de débat. Le 9 octobre 2014, elle avait déjà fait l’objet d’une QPC concernant la garde à vue de 96h pour une escroquerie en bande organisée (voire notre précédent article). L’escroquerie n’étant pas une infraction portant atteinte à la dignité, sécurité ou à la vie des personnes, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’article 706-73 du CPP permettant la garde à vue de 96h.

§ 2 : Dispositions contestées

Dans la QPC du 21 novembre 2014, il s’agit de la constitutionnalité des 6ème à 8ème alinéas de l’article 706-88 du Code de procédure pénale. Ces alinéas 6 à 8 prévoient le report de l’intervention de l’avocat lors d’une garde à vue. Ce report est décidé par le procureur de la République pour une durée de 24 heures. Pour un délai supérieur à 24 heures, l’autorisation du juge des libertés et de la détention est nécessaire. L’intervention de l’avocat peut donc être différée de 48 heures. Pour les infractions relevant du terrorisme ou du trafic de stupéfiants, le report peut aller jusqu’à 72 heures. La question est donc de savoir si ce report est constitutionnel.

§ 3 : Arguments des requérants

Cette question est légitime. D’une part, le report de l’intervention de l’avocat porte manifestement atteinte aux droits de la défense. D’autre part, la QPC du 9 Octobre 2014 (déjà cité) dispose que l’inscription de l’escroquerie aux infractions de l’article 706-73 du CPP est inconstitutionnelle. Pour comprendre la solution, il est nécessaire d’aborder la jurisprudence antérieure.

§ 4 : Jurisprudences antérieures

Sur cette question, la décision du 2 mars 2004 (lien) est éclairante : « [que], si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières […] c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations».

Cette décision est d’autant plus éclairante qu’elle portait sur la constitutionnalité de la loi du 9 mars 2004 (dite Perben II). La loi Perben II a inséré l’article 706-73 au CPP mais elle a également prévu le report de l’intervention de l’avocat pour certaines infractions.

Le Conseil constitutionnel va donc opérer un contrôle de proportionnalité. Il va regarder si des garanties suffisantes existent pour contrebalancer la violation des droits de la défense. Pour illustrer ce propos, la QPC du 18 novembre est significative : « que, par suite, eu égard aux cas et aux conditions dans lesquels elle peut être mise en œuvre, la faculté d’un tel report assure, entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ». Cette QPC portait sur les dispositions communes du report de l’intervention d’un avocat prévue à l’article 63-4-2 du CPP.

Aussi, il convient de rappeler que dans la QPC du 9 Octobre 2014, seul l’article 706-73 du CPP était déclaré inconstitutionnel. De plus, le Conseil constitutionnel avait retardé l’abrogation dudit article au 1er janvier 2015.

§ 5 : Solution du Conseil constitutionnel

Conformément à sa jurisprudence antérieure, Le Conseil constitutionnel a regardé les garanties permettant le report de l’intervention de l’avocat. Ces garanties sont les suivantes :

·         Il faut d’abord que la personne soit soupçonnée d’avoir commis une infraction prévu à l’article 706-73 du CPP
·         Il appartient au magistrat compétent de fixer la durée du report
·         Le magistrat peut décider d’utiliser l’article 63-4-2 du CPP au lieu de l’art 706-88, permettant ainsi l’entretien de 30 minutes entre l’avocat et la personne soupçonnée
·         La personne gardée à vue est informée de son droit de garder le silence.

Au regard de ces garanties, le Conseil constitutionnel déclare que l’atteinte portée aux droits de la défense n’était pas disproportionnée. Les alinéas 6 à 8 de l’article 788 du CPP sont donc conformes à la Constitution.

Lien de la décision :  www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2014/2014428qpc.htm

lundi 1 décembre 2014

LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme


            Le projet de cette loi a été présenté en Conseil des ministres le 9 juillet 2014 par M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Il fait suite à des affaires très médiatiques portant sur des citoyens français et étrangers partis faire le djihâd en Syrie. Il a été adopté en procédure accélérée.Ce texte vise à renforcer la lutte contre le terrorisme et à prendre en compte les évolutions récentes des actes de terrorisme.
           Deux mesures phares ont été décidées. D’une part, le texte met en place une interdiction de sortie du territoire pour les ressortissants français. D’autre part, il prévoit une interdiction d’entrée sur le territoire français pour les étrangers.
Les personnes concernées seront inscrites dans le Système d’Information Schengen afin de faire respecter les interdictions.

1. S’agissant de l’interdiction de sortie du territoire, celle-ci aura lieu lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un individu projette soit « des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes », soit « des déplacements à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes, dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français ».
Cette interdiction sera décidée par le ministre de l’intérieur. Elle sera de six mois maximum et sera renouvelable "aussi longtemps que les conditions seront réunies" (article L. 224-1 du Code de la sécurité intérieure). La période ne pourra pas excéder deux ans. Concrètement, le passeport sera invalidé. Cette mesure pourra faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision ou de son renouvellement.
Toute personne ne respectant pas son interdiction encourra trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

2. S ‘agissant de l’interdiction d’entrée sur le territoire français, selon le nouvel article L. 214-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ministre de l’Intérieur pourra la prononcer à l’encontre de tout ressortissant étranger ou ressortissant de l’Union européenne ne résidant pas habituellement en France lorsque sa présence en France constitue  une menace grave pour l’ordre public.
Le même code renforce le dispositif d'assignation à résidence de l'étranger (art. L563-1).

3. De plus, la loi pénalise l’"entreprise individuelle à caractère terroriste" visant les cas où une personne seule préparerait un acte terroriste.
C'est une totale nouveauté très curieuse.

4. S’agissant de l’apologie du terrorisme et de la provocation aux actes de terrorisme, les fournisseurs d’accès internet sont fortement impliqués, puisqu’en vertu de l'article 421-2-5 dans le Code pénal, l’administration peut bloquer les sites internet et même déréférencer (retirer le site web des moteurs de recherche et des annuaires qui vont donc le supprimer de leur pages de résultats) les sites.
Ces délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme sont désormais assimilés à des délits terroristes pour étendre les moyens d’enquête. Par la suite, le Sénat a décidé que seuls les délits d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme commis sur Internet seront assimilés à des délits terroristes et devront figurer dans le code pénal. Concernant les supports de presse traditionnels, le régime spécial de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 continuera à s’appliquer à la commission de ces infractions.
Pour s’adapter aux évolutions technologiques, les enquêteurs ont désormais la possibilité de perquisitionner les "clouds". Ils pourront aussi intercepter les discussions sur les logiciels d’appels téléphoniques sur Internet.





Lien: LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme