Faits :
Une exposition est programmée à Paris sous le nom d’« Exibit-B » par un établissement public. Elle a pour but de dénoncer la violence à l’égard des populations noires et la négation de leurs droits civils durant l’époque coloniale et sous le régime de l’apartheid en Afrique du sud. Cette exposition se présente sous la forme d’artistes immobiles qui constituent des tableaux vivants de situations de violence et d’oppression illustrant cette période. Des associations de lutte contre le racisme ont vu dans cette exposition une référence aux zoos humains dans la mesure où les individus noirs y sont « exposés » comme des animaux. C’est donc la réification de l’être humain qui a choqué ces associations.
Contexte :
Le référé liberté a été créé par la loi du 30 juin 2000. Il est codifié dans le code de justice administrative à l’article L. 521-2 (« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »).
Procédure :
Les associations opposées à cette exposition ont formé un référé-liberté devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin de demander sa suspension. Elles invoquaient une violation de la dignité humaine qu’elles estimaient suffisamment grave pour justifier une atteinte à la liberté d’expression de l’artiste.
Le tribunal de Paris a rejeté leur demande aux motifs que, d’une part, « les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées », et que, d’autre part, le référé liberté ne peut s’exercer que contre une décision de l’administration portant atteinte à une liberté fondamentale. Ce n’était pas le cas en l’espèce.
Les requérantes déboutées ont formé appel de la décision devant le juge des référés du Conseil d’Etat.
Décision :
Le juge des référés du Conseil d’Etat par une ordonnance du 11 décembre 2014 confirme la décision du tribunal au motif que « l’absence d’interdiction, par l’autorité administrative, de cette manifestation, ne portait aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine ».
Portée de l’ordonnance :
Par cette décision, le Conseil d'État se montre favorable à la liberté d’expression en retenant que, ne peut constituer une atteinte à la dignité, la seule abstention de l’administration.
Toutefois, cette décision montre un dévoiement de la notion d’ordre public par la référence au dignité. Elle s’inscrit dans une mouvance jurisprudentielle du Conseil d'État qui retient une approche liberticide de la dignité en opposition avec la conception de dignité-liberté « kantienne ». Cette jurisprudence est née avec l’affaire dite du « lancer de nains » (CE Ass., 27 oct. 1995, Commune de Morsang-sur-Orge) et ne s’est manifestée qu’à deux reprises en près de vingt ans (CE Ord., 5 janv. 2007, Association Solidarité des Français et Avis CE, 16 févr. 2009, Madame Hoffman), avant de revenir en force dans l’affaire Dieudonné (CE Ord., 9 janv. 2014, Ministre de l’intérieur c/ SARL Les productions de la et M. Dieudonné M’Bala M’Bala).
En effet, bien que le Conseil d’Etat n’ait pas accueilli la demande des associations dans cette affaire, il considère toujours que la notion de dignité peut justifier une atteinte à la liberté d’expression au même titre que les autres composantes de l’ordre public (constituées par la sécurité, la tranquillité, la salubrité et la moralité), si contestable soit-elle et si rares soient les occasions de sa manifestation.
Liens :
RL
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