mardi 26 avril 2016

Sans rupture du contrat de travail, aucun droit à l’indemnité pour travail dissimulé

Cass. soc. 2 mars 2016, n° 14-15611 : Sans rupture du contrat de travail, aucun droit à l’indemnité pour travail dissimulé
Heures supplémentaires non déclarées, application d’un forfait sans respecter les limites posées par la jurisprudence, utilisation détournée des stagiaires, travail non déclaré ; le travail dissimulé peut revêtir différentes formes et est courant dans le monde du travail. Cependant, il n’est pas toujours dénoncé par celles et ceux qui en sont victimes, même s’il suscite un contentieux important en raison de l’augmentation des procédures introduites contre des employeurs. L’inconvénient pour le salarié est la privation de l’ensemble de ses droits sociaux.
Le législateur a progressivement renforcé la lutte contre le travail illégal. Le travail illégal vise les cas de travail dissimulé, le prêt illicite de main-d’œuvre, le cumul irrégulier d’emplois, l’emploi irrégulier des travailleurs étrangers et la fausse déclaration en vue d’obtenir des revenus de remplacement.
Depuis la loi du 11 mars 1997 relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal, le terme de travail clandestin a été remplacé par celui de travail dissimulé afin d’éviter la confusion entre la situation des ressortissants étrangers ne disposant pas de titre régulier pour travailler ou de titre de séjour et celle des travailleurs non déclarés par l’employeur.
Le dispositif de lutte contre le travail illégal a une nouvelle fois été renforcé par la loi du 16 juin 2011. Le travail dissimulé est défini et interdit par les articles L.8221-1, L. 8221-2, L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail. La loi détermine les situations dans lesquelles le travail dissimulé est caractérisé. Le Code du travail renvoie à deux hypothèses :
• Le travail dissimulé par dissimulation d’activité
• Le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié
Cass. soc. 2 mars 2016, n° 14-15611 : Sans rupture du contrat de travail, aucun droit à l’indemnité pour travail dissimulé
I) Faits et procédure
Trois salariés, employés en tant que chauffeurs, sont en litige à propos de l’exécution de leur contrat de travail, notamment pour la mention des heures de travail effectuées sur le bulletin de salaire. Ces trois salariés vont alors saisir le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir le paiement de rappel de congés payés et d’heures supplémentaires. De plus, ils vont demander des dommages-intérêts pour absence de repos compensateurs ainsi que des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
La Cour d’appel, par un arrêt du 17 janvier 2013, va faire droit à la demande concernant le rappel de congés payés et renvoyer l’affaire à une audience ultérieure aux fins de production par l’employeur du décompte pour chaque salarié des salaires pour le calcul des heures supplémentaires. Concernant les dommages-intérêts pour l’absence de repos compensateurs et pour l’exécution déloyale du contrat de travail, elle a sursis à statuer.
C’est par un arrêt du 20 février 2014, que la Cour d’appel va faire droit aux demandes des salariés relatives aux heures supplémentaires, à l’indemnité de travail dissimulé ainsi qu’aux dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
II) Problème de droit
Le droit à l’indemnité de travail dissimulé est-il exigible en l’absence de rupture de relation de travail ?
III) La notion de travail dissimulé
L’article L8221-5 du Code du travail précise : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »
La difficulté de cet article est l’exigence de la démonstration du caractère intentionnel de la dissimulation de ces heures par l’employeur, dès lors qu’elles n’ont pas fait l’objet ni d’un paiement ni d’une récupération. Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que le juge ne peut condamner l’employeur à verser au salarié l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé sans établir son intention frauduleuse (Cass. soc. 16 juin 2015, n° 14-16953). Par ailleurs, il faut rapporter la preuve du travail dissimulé. Pour l’employeur, il s’agira de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Pour le salarié il s’agira de fournir les éléments caractérisant le travail dissimulé (article L3171-4 du Code du travail).
Le temps de trajet pour se rendre à son travail en partance de son domicile n’est pas payé. En effet, ce temps de trajet n’est pas considéré comme du temps de travail effectif. Cependant, il existe des cas où les temps de trajet doivent forcément être rémunérés et si l’employeur décide volontairement de ne pas les rémunérer, cela correspond à du travail dissimulé.
Par exemple, lorsque le temps de trajet du salarié dépasse le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail, ce dépassement doit faire l’objet d’une contrepartie soit financière soit sous la forme d’un repos (article L3121-4 du Code du travail). Cependant, le temps de trajet n’est pas pour autant considéré comme du temps de travail effectif, il s’agit uniquement de compenser un trajet anormalement plus long (Cass. soc. 14 novembre 2012, n° 11-18571).
En revanche, lorsque le salarié se déplace entre différents lieux de travail à la demande de son employeur, ce temps de trajet doit être considéré comme du temps de travail effectif (Cass. soc. 8 mars 2005, n° 02-43414). Un employeur a été condamné à ce titre pour avoir refusé obstinément de tenir compte, dans la rémunération des salariés, de ce temps de déplacement malgré des mises en demeure de l’inspection du travail. La Cour de cassation a alors considéré que le fait de ne pas indiquer ces heures dans le bulletin de paie constituait du travail dissimulé (Cass. crim. 2 sept. 2014, n° 13-80665). En effet, le bulletin de paie doit faire apparaître la réalité des heures effectivement travaillées et payées. En l’espèce, dans l’arrêt du 2 mars 2016, il s’agit d’une situation identique. L’employeur ne mentionnait pas sur les bulletins de salaire, les heures correspondant au temps de trajet entre le dépôt et le chantier, qui sont des heures de travail effectif. Par conséquent, cette absence de mention constitue du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
La Cour de cassation va profiter de cette affaire, afin de rappeler un principe primordial dans la solution, pour l’obtention de l’indemnité de travail dissimulé.
IV) Solution : le droit à l’indemnité de travail dissimulé
Le salarié peut demander au Conseil de prud’hommes de constater la rupture de son contrat aux torts de l'employeur ainsi qu’une indemnisation pour travail dissimulé. Le salarié doit établir une situation de travail dissimulé, il aura le droit à une indemnité forfaitaire de six mois de salaire (C. trav., art. L. 8223-1). L’indemnité est due indépendamment du motif de la rupture : licenciement, démission, rupture amiable (Cass. soc., 12 oct. 2004), terme d'un contrat à durée déterminée (Cass. soc., 7 nov. 2006). La jurisprudence est très favorable au salarié qui peut réclamer l’indemnité, peu importe le motif de rupture. Ceci est dans le but d’inciter les salariés a dénoncé le travail dissimulé. Le calcul de cette indemnité prend en compte les heures supplémentaires accomplies dans les 6 mois précédant la rupture (Cass. soc., 10 juin 2003 ; Cass. soc., 18 oct. 2006).
Jusqu’à récemment, elle ne se cumulait pas avec l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 12 janv. 2006). Par conséquent, il fallait verser au salarié, ce qui lui était le plus favorable, soit l'indemnité forfaitaire de 6 mois, soit l'indemnité de licenciement (Cass. soc., 29 nov. 2007). Désormais, la Cour de cassation estime que l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé se cumule avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail, y compris l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Cass. soc. 6 février 2013).
Dans l’arrêt du 2 mars 2016, la Cour de cassation va censurer la décision de la cour d’appel qui avait fait droit à la demande des salariés concernant l’indemnité pour travail dissimulé. En effet, ils dénonçaient l’absence de mention sur leurs bulletins de salaire de toutes leurs heures de travail effectuées, notamment de celles correspondant au temps de trajet dépôt-chantier, rémunérées intentionnellement sous forme de prime. La Cour de cassation va reprocher à la Cour d’appel l’absence de vérification de la rupture de la relation de travail liant chacun des salariés concernés à la société.
La Cour de cassation rappelle un principe de base en la matière, prévu à l’article L8223-1 du Code du travail : le droit à indemnité de travail dissimulé n’est ouvert qu’en cas de rupture de la relation de travail.
En conclusion, cet arrêt réaffirme le principe de l’article L8223-1, selon lequel l’inexécution par l’employeur de ses obligations comme en l’espèce ne suffit donc pas à elle seule à rendre exigible à une indemnité pour travail dissimulé, il faut que la rupture de la relation de travail liant le salarié à l’entreprise soit consommée.
 
R.M

lundi 11 avril 2016

Le préjudice esthétique temporel : un préjudice à part



Le préjudice esthétique temporel : un préjudice à part




Arrêt numéro 10-23.378 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation, le 4 février 2016. Il s’agit d’un arrêt de cassation partielle.



I-                   Les faits



Monsieur X a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule appartenant à la commune de Cannet et conduit par Monsieur Y.



La commune est assurée auprès de la société d’assurance mutuelle des collectivités publiques. La victime agissant en qualité de demanderesse a assigné le conducteur, la commune et l’assureur en réparation de son préjudice corporel.



La Cour d’appel d’Aix en Provence, a rendu un arrêt en date du 2 décembre 2009 dans lequel, pour accorder une certaine somme au titre de la réparation de l’entier préjudice de la victime, elle intègre le préjudice esthétique temporaire dans l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire.



Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a eu à connaître des rapports devant être établis entre le préjudice esthétique temporaire et le préjudice du déficit fonctionnel temporaire.



II-                 Question de droit



Le préjudice esthétique temporaire est-il inclus dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire ?



III-               Solution de droit



La solution de la Cour de Cassation vient préciser et confirmer une jurisprudence antérieure datant de 2014. 




Dans son arrêt en date du 4 février 2016, la deuxième chambre civile précise que «  le préjudice esthétique temporaire n’est pas inclus dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel temporaire et doit être indemnisé séparément ».




La Cour de Cassation opère une distinction entre les deux préjudices. Pour elle, le préjudice du déficit fonctionnel temporaire est destiné à indemniser la gêne dans les actes de la vie courante et en particulier la privation de qualité de vie ». La Cour avait déjà donné une définition de ce préjudice dans un arrêt de principe en date du 28 mai 2009 où elle le définit comme incluant « l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique ». 




Quant au préjudice esthétique temporaire, il est destiné à indemniser la rupture de son apparence physique, de sa gestuelle et de sa démarche tant au regard des autres que de la victime elle-même. 




Par conséquent, la Cour de Cassation estime que la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil et le principe de l’indemnisation de l’entier préjudice subi par la victime.




La Cour fait du préjudice esthétique temporaire, un préjudice à part entière. Cette distinction va dans le sens d’une volonté de protéger les victimes, afin qu’elles soient justement indemnisées pour les préjudices subis. 




Ce n’est pas la première fois que la Cour de Cassation se prononce sur cette distinction. Une telle autonomie du préjudice esthétique temporaire avait déjà été soulignée dans un arrêt en date du 11 décembre 2014 rendu par la deuxième chambre civile.



Dans cet arrêt, la Cour de Cassation précisait la composition du préjudice de déficit fonctionnel en y incluant le préjudice sexuel mais pas le préjudice d’esthétique temporaire et les souffrances endurées au cours de la maladie. 




Le rapport Dintilhac réalisé par un groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels et présidé par J-P Dintilhac, a donné une définition du déficit fonctionnel temporaire comme étant un préjudice cherchant à « à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation ». Il donne également une définition du préjudice esthétique, comme étant un préjudice qui renvoie au fait que « la victime subissait bien souvent des atteintes physiques, voire une altération de son apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers ».




Preuve en est la encore, que le préjudice esthétique est bien un préjudice autonome du poste de préjudice de déficit fonctionnel temporaire, bien que la nomenclature proposée soit dépourvue de caractère obligatoire.

TC